Merci patron ! – François Ruffin

François Ruffin a un but : réconcilier la France d’en bas et la France d’en haut. Rétablir l’image de l’un des maîtres du monde, Bernard Arnault, encorné par ses prises des positions comme celle de quitter la France pour un exil fiscal en Belgique, auquel devant le tollé il a renoncé, mais pas pour l’ensemble de ses sociétés financières. Bernard Arnault est un homme puissant, riche, à la tête de LVMH, le plus important groupe de luxe du monde, un exemple de la réussite, du capitalisme. Il est dans les hautes sphères, et très très loin en périphérie se trouve les salariés.

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En 2007, à Poix-du-Nord, il ferme l’usine E.C.C.E. et délocalise la fabrication des costumes Kenzo en Pologne. La déléguée syndicale Marie-Hélène Bourlard intervient durant l’AG de LVMH pour évoquer la situation dramatique des 147 employés de l’usine, sans  résultat.

A Flixecourt, il ne reste plus que des bâtiments des usines textiles à l’abandon de l’empire Boussac Saint-Frères. En 1984, Arnault va reprendre « l’empire » avec les promesses habituelles des grands prédateurs : le maintien de l’emploi. Il n’en sera rien. Il empoche les subventions, démembre le groupe, et ne garde que Christian Dior. A partir de cette marque de luxe, il fonde son empire. Sur le carreau des milliers de salariés et des régions frappés de plein par la paupérisation. Qu’importe : « une entreprise doit gagner de l’argent » et par tous les moyens. La Samaritaine est un nouvel exemple de l’appétit d’Arnault. La transformation d’un grand magasin populaire en un autre entièrement dédié au luxe, à la beauté, à la mode. Et puis, « pour fabriquer des costumes, la Pologne c’est encore trop cher » alors on délocalise en Bulgarie. Mais on réfléchit déjà à partir ailleurs, à réduire encore le coût du travail en allant en  Grèce avec ses milliers de chômeurs près à accepter n’importe quoi pour ne pas mourir de faim.

Dans son tour d’horizon de la prospérité dispensé par LVMH, François Ruffin rencontre la famille Klur. Des gens du Nord, des ch’tis, un couple un enfant, des licenciés d’E.C.C.E. Quatre années se sont écoulées depuis la fermeture de l’usine, ils se sont enfoncés dans la misère. L’amoncellement des lettres de refus à l’embauche sur la table, les Klur survivent avec 3 € par jour. Comment faire ? Un avis d’huissier leur annonce la saisie de la maison. Ruffin sous l’identité de leur fils prend contact avec le groupe LVMH en s’adressant directement à Bernard Arnault. Contre toute attente, un « homme de main » est dépêché à la rencontre du couple. Sa mission est d’éviter que les Klur entraînent d’autres ex salariés du groupe dans une action nuisible à l’image de LVMH. Il leur propose de l’argent contre la signature d’un protocole d’accord les réduisant au silence. La France d’en haut baisse les yeux vers la France d’en bas, mais avec parcimonie, on a ses pudeurs.

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Le film de Ruffin prend alors une incroyable tournure. Des rencontres de la famille Klur avec l’émissaire se joue le grand spectacle du capitalisme le plus odieux – faire taire toute opposition, syndicale et journalistique de préférence. Les plus petits sont les plus dangereux : Fakir le journal satirique de Ruffin terrorise le groupe. Surtout pas d’esclandre durant l’AG des actionnaires et petits porteurs, tout doit se dérouler comme dans le meilleur des mondes. Vendre du rêve, c’est-à-dire faire croire que dans l’accumulation des richesses, de l’argent et dans la redistribution des dividendes tout est moral et honnête. Il faut être bien naïf pour le croire.

La grande force de Merci patron ! est de nous montrer que tout l’édifice ne repose que sur notre acceptation du système, de notre soumission. Un patron de multinational n’est rien de moins qu’un tigre en papier, une bourrasque et tout s’envole aux quatre vents. Chaque individu, chaque famille participent à la construction de la société et c’est collectivement, par des actions concertées, que nous pouvons l’améliorer, au bénéfice de tous.

Merci patron ! est aussi la démonstration de l’importance d’une presse libre et indépendante pour le bon fonctionnement d’un pays démocratique. Chaque média qui tombe dans l’escarcelle d’une multinationale n’est plus qu’un rouage du système et une perte pour la collectivité.

Merci patron ! est un film nécessaire et important, ce que confirme pleinement son succès. Espérons que les révolutionnaires ne se calmeront pas…

Fernand Garcia

merci-patron-afficheMerci patron !  un film de François Ruffin. Intervenants : François Ruffin, Marco Van Hees, Catherine Thierry, Marie-Hélène Bourlard, Jocelyne Klur, Serge Klur, Jérémy Klur, Les Samars, Les Lafleurs, Le « groupe » Fakir, Les CIAGistes… Montage : Cécile Dubois. Producteurs : Johanna Silva, Edouard Mauriat. Production : Mille et Une Productions – Fakir. Distribution : Jour2Fête (Sortie en France, le 24 février 2016). France 2015. 84 mn. Couleur. Tous Publics.