Tuer n’est pas jouer – William Castle

Kit (Sara Lane) et Libby (Andi Garrett) sont deux bonnes copines. Comme toutes adolescentes, elles adorent papoter au téléphone. Profitant d’une soirée en ville de ses parents, Libby invite Kit à venir à la maison. Libby doit s’occuper de sa jeune sœur Tess (Sharyl Locke). Seules dans la grande maison, Libby et Tess entraînent Kit dans son jeu favori de canulars téléphoniques. Elles ne se doutent pas, qu’en composant au hasard le numéro d’un certain Steve Marak (John Ireland), elles vont mettre le doigt dans un engrenage cauchemardesque…

Il y a toujours quelques choses de sympathiques dans les films de William Castle, dans cette manière d’être populaire, d’interagir avec le spectateur, de suivre son film jusque dans les salles de cinéma avec toute une panoplie de gadgets. Castle est un homme de spectacle, d’attractions de foire, on peut voir en lui une filiation directe avec les premiers exploitants du cinéma, les forains. Comme eux, Castel va aller de ville en ville avec ses films donnant ainsi aux spectateurs le sentiment de participer à un moment privilégié, unique. Pour cela, Castle savait créer chez le spectateur cette attente synonyme de désir. Ainsi, Castle présente lui-même Tuer n’est pas jouer aux spectateurs dans une bande-annonce (reprise dans cette édition) calibrée pour intriguer. Il ne fut certes pas le premier à le faire mais sans l’ombre d’un doute l’un des plus inventifs, allant jusqu’à la création d’effets « live » dans les salles, des squelettes volants, des vibreurs sous les sièges, des polices d’assurance en cas de décès devant des images trop horribles. On peut considérer Castle comme le pionnier de la 4D pour prendre un exemple parlant pour ceux qui pensent que les techniques actuelles inventent alors qu’en réalité elles ne font que recycler que des effets des temps passés.

 

Tuer n’est pas jouer est un film à suspense avec son lot de scènes d’horreur. On retrouve dans Tuer n’est pas jouer les deux influences majeures de la dernière partie de la carrière de William Castle: la plus connue et la meilleure, Les diaboliques d’Henri-George Clouzot, la malle avec son cadavre et sa mécanique inéluctable et surtout Alfred Hitchcock avec Psycho. Castle donne ici une intéressante variante de la scène de la douche. Tout comme Hitchcock, Castle va adopter une esthétique réaliste en noir et blanc (proche de la télévision) et se focaliser sur des histoires se déroulant en banlieue dans la middle-class. Il met en scène des personnages communs sans grandes qualités, animés par des pulsions sexuelles qui les conduisent à des actes des plus violents. Le scénario de Tuer n’est pas jouer est sous la surface d’une forme de classicisme commercial pour teenagers offre une lecture des plus intéressantes. Et comme le disait Hitchcock : plus le méchant est méchant, plus le film est intéressant. Il en va ainsi de Steve Marak qu’incarne avec grande conviction John Ireland.

Marak est un bel homme. Avec son élégance naturelle et sa voix, c’est un tombeur né. Pourtant, il séduit les femmes à son corps défendant. Marek cache un terrible secret, il ne peut satisfaire physiquement une femme, il est impuissant et en souffre. Pour ne pas être pris en défaut, Marek n’a qu’une réponse aux sollicitations amoureuses: la violence, une violence irraisonnée qui va le conduire à l’irréparable. Contrairement à d’autres psychopathes de l’écran, Marek ne trouve aucune jouissance dans l’acte de tuer.

Les deux jeunes filles se motivant mutuellement se lancent dans des blagues téléphoniques qui petit à petit s’éloignent du côté bon enfant potache pour s’orienter vers une sexualité à peine masquée. Elles prennent alors des voix toujours plus sensuelles et s’imaginent en amantes d’aventures extraconjugales. Le téléphone est un élément de l’émancipation du langage amoureux, une mise en contact par la parole, sans danger. En proie aux mystères de leurs premiers désirs, c’est par hasard qu’elles composent le numéro de téléphone de Marek. Elles vont « s’acharner » sur lui parce qu’elles trouvent sa voix « si sexy ». C’est donc par le timbre de voix de Marek qu’elles se trouvent toutes émoustillées. L’excitation de l’interdit leur fait franchir la ligne blanche et se rendre à son domicile. Elles affirment ainsi leur indépendance en s’affranchissant de leurs parents. Evidemment ce premier pas ne va pas sans une profonde remise en cause de leur amitié, c’est la naissance d’une jalousie qui ne dit pas encore son nom entre les deux adolescentes. Devant la maison de Marek, Kit refuse de suivre Libby et reste dans la voiture – le poids des conventions est encore trop lourd. Libby se libère de ses attaches et s’aventure sur les sentiers inconnus du désir sexuel par le voyeurisme. Libby n’a pas conscience du combat intérieur de l’homme sur qui elle a jeté son dévolu et se retrouve en « compétition » avec Amy Nelson (Joan Crawford), la voisine amoureuse de Marek. Femme d’âge mûr, Amy voit en Marek la possibilité de dernière histoire d’amour, refusant de voir en lui l’être torturé qu’il est en réalité. A la confrontation entre les deux adolescentes correspond celle entre Libby et Amy. Conflit de générations et de société. Libby et Kit réalisent sans le formuler que, sous la surveillance permanente de leurs parents elles se destinent à de grandes frustrations et à reproduire un schéma familial antédiluvien. En les surprotégeant, le père de Kit et la mère de Libby espèrent ainsi d’annihiler la sexualité naissante de leur progéniture. Ses deux personnages sont reliés par un lien invisible que l’on peut qualifier d’absence de sexualité, le père de Kit est veuf et la mère de Libby est dans une sorte d’hystérie que tout concourt à faire croire qu’elle est physiquement loin d’être épanouie.

Castle n’oublie pas que le cinéma d’horreur est certainement le genre qui donne le plus d’importance aux lieux sur l’adéquation entre l’environnement et l’état psychologique de ses personnages. Ainsi, chaque lieu, extérieur ou intérieur, dans Tuer n’est pas jouer est l’extériorisation des sentiments des personnages. Lieux de passage d’un état à un autre, comme la cabane au fond du jardin celui de l’enfance à l’âge adulte.

Tuer n’est pas jouer est le dernier film tourné aux Etats-Unis par Joan Crawford. Elle poursuit sa carrière en Angleterre avec deux films d’horreur: Berseck ! (1968) de Jim O’Connolly et Trog (1970) de Freddie Francis. De retour à Hollywood, Crawford est dirigée par un jeune réalisateur, Steven Spielberg, dans un épisode de la série fantastique Night Gallery. Quand William Castle fait appel à Crawford, c’est une actrice en perte de vitesse, un  nom de l’ancien Hollywood, mais une valeur encore réelle au box-office. Son dernier titre de gloire est le non moins prestigieux Mais qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane ?, 1963) de Robert Aldrich où elle partage l’affiche avec Bette Davis. Grace au succès du film, elle fait un timide retour sur les frontons des cinémas, mais sa réputation de sale caractère la condamne à de petites productions de série B, où les réalisateurs s’accommodent tant bien que mal des caprices de la star. William Castle la dirige une première fois dans La Meurtrière diabolique (Strait-jacket, 1964) et une deuxième et dernière fois dans Tuer n’est pas jouer.

Grand habitué des petits budgets, Castle tourne rapidement les scènes avec Crawford. Choix judicieux de la part de Castle jouant ainsi à plein sur l’un des rebondissements chocs du film, que je ne dévoilerai pas. A ses côtés, John Ireland est une autre vedette sur le retour, pas une star mais un très solide second rôle, une vraie gueule de cinéma idéale pour incarner les méchants. Une belle carrière où il traîne sa superbe carrure dans les films de John Ford, Anthony Mann, John Sturges, Richard Thorpe. Excellent dans les westerns, il n’en demeure pas moins aussi bon dans les polars. Il est un serial killer tout à fait convaincant dans Tuer n’est pas jouer. John Ireland est le père de l’actrice Jill Ireland, compagne de Charles Bronson et la partenaire privilégiée de l’acteur dans nombre de films.

Tuer n’est pas jouer est un bel exemple du cinéma d’horreur de série B des années 60 et du style William Castle.

Fernand Garcia

Tuer n’est pas jouer est édité par Éléphant films dans la collection Cinéma MasterClass. L’image Full HD noir et blanc est impeccable. En supplément : l’introduction savoureuse de William Castel (1’18’’), une présentation du film par Eddy Moine. Il évoque la carrière de William Castle et des principaux acteurs de Tuer n’est pas jouer (15 minutes). La bande-annonce du film ainsi que d’autres titres de la collection : Meurtre sans faire-part, La Victime, Pour toi, j’ai tué, A Fleur de peau et Espions sur la Tamise. Une galerie photos complète cette section.

Tuer n’est pas jouer (I Saw What You Did) un film de William Castel avec Joan Crawford, John Ireland, Andi Garrett, Sarah Lane, Leif Erickson, Sharyl Locke, Patricia Breslin, John Archer, John Crawford…  Scénario : William McGivern d’après le roman d’Ursula Curtiss. Directeur de la photographie : Joseph Biroc. Décors : Alexander Golitzen & Walter M. Simonds. Montage : Edwin H. Bryant. Musique : Van Alexander. Producteur : William Castle. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1965. 82 minutes. Noir et blanc. Ratio image : 1,85 :1. 16/9e. Encodage Full HD 1920x1080p. Audio : Dolby Digital Dual Mono. VOSTF. Tous Publics.