Sous-sols – Ulrich Seidl

L’image que nous avons des sous-sols est un espace sombre, poussiéreux, un débarras où l’on entrepose toutes sortes d’objets, d’ustensiles qui ne nous sont plus utiles mais que nous gardons sans trop savoir pourquoi. Le temps y passe à son rythme, lent, les vieux livres jaunisses, les outils rouillent… A l’opposé, les caves des immeubles de banlieue, c’est-à-dire des cités défavorisés, nourrissent tous les fantasmes de drogues, de trafic d’armes et de tournantes… Oubliez tout cela, les sous-sols autrichiens qu’investie Ulrich Seidl sont d’une toute autre nature.

Sous-sols Ulrich Seidl

C’est dans des sous-sols aménagés que des Autrichiens laissent libre cours à leur imaginaire. Ils se détachent du discours social dominant pour un espace où s’exprime leur être profond. Chaque portrait que propose Seidl est différent les uns des autres mais l’ensemble dessine un portrait de l’Autriche qui fait froid dans le dos. Mais le cinéaste a le recul nécessaire, et c’est avec un humour noir certain qu’il observe ce théâtre de petits fantasmes. L’imaginaire que j’évoquais quelques lignes plus haut est extrêmement réduit, il n’ouvre ni sur l’autre, ni sur d’autres cultures, il se limite à la dimension de l’espace où les personnages se meuvent. Dans quelques mètres carrés, l’inconscient prend le dessus.

Sous-sols Seidl

Sous-sols intrigue et amuse dans un premier temps, puis petit à petit un malaise s’installe. Les lieux sont ordonnés, ultra-propres, et tous les bibelots sont rangés méthodiquement, mais nous sommes saisis d’un sentiment d’effroi. Le réel nous saute à la figure. Derrière ses pavillons de banlieue à la pelouse impeccable, un univers déphasé, croupi. Une femme descend à la cave mettre une poupée de bébé hyperréaliste dans une boîte à chaussures, scène froide et sidérante. L’air d’Opéra du début disparaît comme une poussière dans le vent au profit de blagues douteuses. Une réunion d’anciens, nostalgiques du IIIe Reich, des portraits du Führer au mur, deux mannequins, un homme, une femme dans des uniformes SS particulièrement sexy genre nazisploitation. Une femme évoque la violence de son mari qu’elle a fait mettre en prison pour violence conjugale. Adepte du bondage, elle aime se soumettre à son maître mais c’est elle qui décide des « sévices ». Un couple anodin s’adonne à des pratiques SM extrêmes.  Le sous-sol devient une pièce secrète pour des jeux extrêmes, mais la pratique déborde et se propage dans l’ensemble de la maison.  Le soumis traîne alors de pièce en pièce à quatre pattes, lèche la cuvette des toilettes sous le regard de sa femme, sa dominatrice. Sous-sols est la description de crimes secrets et de la volonté de domination de l’Autre.

Sous-sols

Ulrich Seidl aborde frontalement un particularisme de la société autrichienne. Ces  refoulements, paroles xénophobes et racistes ont fini par se diluer dans la société dans un rejet de l’Autre. Comme sa compatriote l’écrivaine nobélisée Elfriede Jelinek, Seidl ose le sarcasme et la violence pour révéler la nature profonde et les tendances fascistes d’une société autrichienne refermée sur elle-même. De fiction en documentaire, Ulrich Seidl, à la manière d’un puzzle, dont chaque élément se rajoutant les uns aux autres, redessine les fondements (les sous-sols)  d’un pays.

Fernand Garcia

Sous-sols

Sous-sols, un film d’Ulrich Seidl avec Fritz Lang, Afreda Klebinger, Manfred Ellinger, Josef Ochs, Alessa Duchek, Gerald Duchek, Cora Kitty, Peter Vokurek, Walter Holzer, Uva. Idée et concept : Ulrich Seidl & Veronika Franz. Images : Martin Gschlacht.Caméra aditionnelle : Hans Selikovsky. 2e Caméra additionnelle : Wolfang Thaler. Son : Ekkehart Baumung. Montage : Christoph Brunner. Producteur : Ulrich Seidl. Production : Ulrich Seidl Film Produktion – Coop 99 Filmproduktion en coproduction avec WDR avec la participation de ARTE. Distribution (France) : Damned Films (sortie le 30 septembre 2015). Autriche. Couleur. 2014. 82 mn. Sélection officielle Festival de Venise, 2014 – Festival de San Sebastian, 2014 – L’Etrange Festival, 2015. Tous Publics avec avertissement.