Les évadées du camp d’amour – Edoardo Mulargia

Dans une forêt tropicale, des prisonnières s’esquintent, sous une averse, dans un labeur sans fin. Elles sont martyrisées par les gardiens, dont une ex-prisonnière Marika (Yael Forti). Anna a décidé de s’enfuir dans la jungle. Elle préfère risquer sa vie plutôt que de crever dans cet enfer, malgré l’avis désapprobateur de son amie Kate (Cintia Lodetti). Martinez (Serafino Profumo) et ses hommes partent à sa recherche. Anne est vite rattrapée. La punition est immédiate. Au camp, Zaira (Ajita Wilson) évoque la rumeur selon laquelle Anne a été victime d’un jaguar. Le Dr Farrell (Anthony Steffen) ne croit pas une minute à cette histoire. Un nouveau directeur (Luciano Pigozzi) arrive au camp avec de nouvelles prisonnières…

Les évadées du camp d’amour a été tourné en même temps que Les tortionnaires du camp d’amour, histoires différentes, avec quasiment la même équipe technique et artistique dans les mêmes décors et costumes. Les évadées du camp d’amour s’inscrit dans le sous-genre du film de prison de femmes dans le cinéma Bis, on peut avoir une petite préférence pour Les tortionnaires de camp d’amour, dont le scénario est plus élaboré, mais Les évadées ne démérite pas, il a d’ailleurs connu un succès plus important. Film plus routinier que Les tortionnaires…, Les Evadées misant à fond sur l’érotisme et le sadisme.

Le scénario fonctionne sur l’antagonisme entre le médecin du camp et le directeur. Thème classique que l’on retrouve dans un grand nombre de films de guerre, de prisons, de westerns. Le médecin est un homme brisé, depuis la mort de sa femme, il a sombré dans l’alcool. Il ne sait comment sortir de ce camp ultra violent. Outre l’alcool son refuge c’est la musique classique. Quant au directeur, il est entièrement à sa « mission », il incarne jusqu’à la folie la loi. Profondément sadique et pervers, il punit à tout-va. Maniaque et obsédé par la propreté, le directeur vit dans la hantise des virus, bactéries et microbes qui pourraient affecter son organisme.

Evidemment, les deux hommes se détestent. Le directeur ne supporte pas l’attitude de Farrell, qu’il prend pour de l’arrogance. Cette construction de personnages constitue la colonne vertébrale du film. Autour, les prisonnières subissent toutes sortes de brimades de la part des gardiens. Elles aspirent à la liberté et le seul à pouvoir les aider est le médecin. Le plan des prisonnières est absurde, mais tout est possible dans la série Z.

En termes de « camp d’amour », on a connu mieux, ce camp de travail est un abîme cauchemardesque sur terre. Les prisonnières sont maltraitées, exploitées, humiliées, violées, forcées à des travaux dont la finalité n’est pas très claire. Le film d’Edoardo Mulargie (Tony Moore, au générique) enfonce le spectateur dans cette zone infernale du cinéma Bis des cinémas de quartier des années 80. Tous les ingrédients qui caractérisent le genre sont réunis. Le sadisme, la perversité, le voyeurisme, les scènes de douche, l’érotisme barbare, la promiscuité lesbienne, la gardienne sadique, etc. un véritable camp de dépravation.

Dans Les Evadées du camp d’amour, les scènes de sexe surgissent d’un coup, sans réel lien avec les plans qui précèdent. Le film donne à voir beaucoup de nudité féminine. Les protagonistes sont en haillons ou totalement nus le plus souvent. D’une certaine manière, les scènes de cul participent de l’arbitraire qui sévit au sein du camp. Les gardiens profitent des détenues. Ils n’hésitent pas une seconde à les violer. Dans les cellules, les prisonnières fonctionnent sur système de domination assez proche. Ainsi, Kate domine les autres, par sa carrure imposante. Elle a un droit de cuissage sur la nouvelle entrante, Vivienne (Cristina Lay), tandis que les autres doivent attendre leur tour. Zaira finit par se révolter contre son autorité.

Plus d’un enchaînement tourne à l’absurde, ainsi lors d’une pause des évadées dans la jungle. Zaira a un rêve érotique ! Elle effectue une danse avec une écharpe, la camera glisse le long de son corps. La scène se termine sur un cut alors qu’apparaît, furtivement, une tête blonde de femme entre ses jambes, laissant présager une scène saphique hard. Le décor, la situation, est provient à l’évidence d’un autre film. Elle n’a aucun but, si ce n’est mettre en valeur la plastique de l’actrice trans Ajita Wilson.

Le médecin est incarné par Luciano Pigozzi ; le Peter Lorre italien. Il faut reconnaître qu’il avait une certaine ressemblance, avec ses yeux globuleux, avec l’acteur de M le maudit. Figure du cinéma Bis, il utilise fréquemment le pseudo d’Alan Collins.

Anthony Steffen, une des gloires du western européen, incarne le Dr Farrell. Il avait débuté dans un film musical de Mauro Bolognini, Ci troviamo in galleria, en 1953, sous son véritable nom, Antonio De Teffè. Il enchaîne les petits rôles, une étape importante est la superproduction de la Titanus, Sodome et Gomorrhe (Sodom and Gomorrah, 1962) réalisé par Robert Aldrich (et peut-être pour quelques scènes par Sergio Leone). Mais le vrai tournant de sa carrière est le western, ce n’est pas sous la direction d’un italien qu’il débute, mais sous la bannière de l’allemand Harald Reinl, pour une adaptation de James Fenimore Cooper, Le dernier des Mohicans (Der Letze Mohikaner/El ultimo Mohicano) en 1965. Beau gosse, il a le profil parfait pour devenir un héros de l’Ouest. Il enchaîne les gunfights sous la direction de Mario Caiano, Alberto Cardone, Enzo G. Castellari.

Anthony Steffen rencontre pour la première fois, Edoardo Mulargia en 1965, à l’occasion de Creuse ta fosse, j’aurai ta peau (Perché uccidi ancora), premier des cinq films qu’ils tourneront ensemble. Steffen est aussi scénariste de Django le bastard (Django, il bastardo, 1969) réalisé par Sergio Garrone. Durant, les années 70, Steffen fait quelques rares intrusions dans le cinéma d’auteurs, ainsi, on le retrouve dans La jeune fille assassinée, excellent et méconnu drame érotique de Roger Vadim avec Sirpa Lane (1974) et dans l’expérimental Zoo zéro d’Alain Fleischer avec sa muse, Catherine Jourdan (1979). Il est surtout la vedette de plusieurs gialli et néo-polars. Les Evadées et Les Tortionnaires du camp d’amour se situent à la fin d’une carrière totalement dédiée au cinéma populaire.

Les évadées du camp d’amour, tient debout tant bien que mal, dialogues approximatifs, situations aberrantes, acteurs livrés à eux-mêmes, tout comme les figurants, regards caméra, hésitations, tout y passe, à ceux qui ont l’œil, la deuxième caméra est parfois dans le champ. Film du fin fond d’un temps où finalement tout était possible…

Fernand Garcia

A lire: Les tortionnaires du camp d’amour http://www.kinoscript.com/les-tortionnaires-du-camp-damour-edoardo-mulargia/

Les évadées du camp d’amour, une édition combo (DVD + Blu-ray), Artus Films, master 2K restauré, en version intégrale. En complément de programme : L’enfer des femmes, présentation du film par Christophe Bier, historien du cinéma bis. Il revient sur l’histoire de ce mini sous-genre, du cinéma hollywoodien (Caged) aux productions européennes, avec, entre autres, Jess Franco, grand fournisseur de Women in Prison, en passant par les coproductions américaines avec les Philippines. Il évoque le style et les films de Mulargia, un artisan du cinéma Bis, et son lien avec Anthony Steffen (33 minutes). Emprisonnées !, entretien avec Maurizio Centini, chef opérateur, mais à l’époque du tournage assistant opérateur. Il se remémore ses débuts dans le cinéma en tant qu’assistant d’Ennio Guarnieri, ses documentaires puisla préparation et le tournage des deux films d’Edoardo Mulargie, riche en anecdotes et portraits croustillants, première partie d’un long entretien. La seconde est en complément des Tortionnaires du camp d’amour (19 minutes). Artus Films ajoute dans cette section un diaporama d’affiches et de photos du film.

Les évadées du camp d’amour (Femmine Infernali), un film de Tony Moore (Edoardo Mulargia) avec Anthony Steffen, Cristina Lay, Ajita Wilson, Anna Maria Panaro, Luciano Pigozzi, Maite Nicott, Serafino Profumo, Yael Forti, Zaira Zoccheddu, Adelaide, Cendra, Angela Martinelli, Gilberto Galimberti… Scénario : Sergio Chiusi et Roberto Estevez d’après un sujet de Sergio Chiusi. Directeur de la photographie : Valverde Mateos Manuel. Décors : Gumersindo Andrea Lopez. Montage : Eugenio Alabiso. Musique : Marcello Giombini. Producteurs : Mario Alabiso et Arturo Gonzales. Production : S.N.P.C. (Rome) – Arturo Gonzales (Madrid). Italie – Espagne. 1980. 92 minutes. Telecolor. Interdit aux moins de 16 ans.

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