Les Barbouzes (I) – Georges Lautner

Constantin Benard Shah, célèbre marchand d’armes, lègue à sa jeune veuve Amaranthe un château et une importante collection de brevets qui intéresse les services secrets de plusieurs pays. Ainsi, quatre barbouzes sont envoyées sur place pour récupérer les précieux documents du défunt. Il y a son faux cousin français Francis Lagneau, son faux psychanalyste allemand Hans Müller, son faux frère de lait soviétique Boris Vassiliev et son faux confesseur suisse Eusebio Cafarelli. Mandatés par leurs gouvernements respectifs, tous sont là pour récupérer les secrets et l’héritage de l’industriel, à savoir des brevets d’armes atomiques et bactériologiques. Mais il faudra également compter sur la détermination de l’américain O’Brien avec ses dollars ainsi que sur la présence de nombreux Chinois cachés dans les passages secrets du château. C’est le meilleur agent des services secrets français, Francis Lagneau, qui, recevant l’ordre de séduire la blonde héritière, accomplira sa mission jusqu’au bout.

« Un barbu c’est un barbu ! Trois barbus c’est des Barbouzes ! »

I / Aux origines de l’œuvre

Un an après Les Tontons Flingueurs, la même équipe (ou presque) remet le couvert. Toujours fidèle à ses collaborateurs dans son travail depuis ses débuts, pour Les Barbouzes, Georges Lautner réunit non seulement le même casting principal que Les Tontons Flingueurs (Ventura, Blier, Blanche, Dalban) mais aussi la même équipe technique, des scénaristes, Albert Simonin et Michel Audiard, au compositeur Michel Magne, en passant par le chef opérateur Maurice Fellous.

Marqués par Les Tontons…, animés par cette envie de faire rire et cet amour du burlesque, ils décident avec Les Barbouzes de réitérer la formule à succès : la parodie de genre. Après le film noir, c’est au tour du film d’espionnage, prétexte à outrance, d’être détourné dans Les Barbouzes qui aborde entre autre les sujets de la politique et de l’argent en dénonçant effrontément pour l’époque et égratignant au passage l’archaïsme des nations du vieux continent. Personnage mythique qui fascine toujours aujourd’hui, l’affiche du film qui représente une Barbouze avec un chapeau à col rabattu, un col de manteau relevé et une fausse barbe, annonce d’emblée le ton parodique du film.

« Il y a des micros partout, des couloirs secrets, des personnages qui apparaissent et disparaissent, d’autres qui prennent toutes sortes de déguisements, des attentats, des explosions, des bagarres… » Georges Lautner

Écrivain et scénariste incarnant l’âge d’or du Film Noir français, Albert Simonin est l’auteur de romans policiers qui dépeignent parfaitement l’univers de la pègre parisienne et qui illustrent particulièrement l’usage de l’argot dans le milieu.

Après la célèbre bande originale des Tontons Flingueurs, c’est à nouveau Michel Magne qui signe celle des Barbouzes. Fausse musique d’ambiance dramatique, la bande originale rythme les scènes et souligne le sourire. Notons que l’un des thèmes musicaux du film est une variation de la Marseillaise.

Dès le pré-générique du film, avec une scène d’ouverture de plus de six minutes se déroulant dans un train où les coups fourrés délirants s’enchainent, le spectateur est embarqué dans la pleine histoire du film. L’idée de départ était de mettre en scène une série de meurtres qui allait mettre en place les personnages.

Les premières minutes du film annoncent la liberté de ton et de mise en scène. Les Barbouzes foisonne d’idées, de rebondissements et de ruptures de tons. Lautner était jeune et on sent bien qu’il était animé par l’envie d’une part d’essayer de nouvelles choses (rythme, plans, recherche esthétique,…) et d’autre part de se démarquer des cinéastes reconnus à l’époque comme Grangier ou Verneuil tout autant que du mouvement de la Nouvelle Vague.

Dès le début, la voix off farceuse donne le ton et les sons des silencieux viennent faire écho aux Tontons Flingueurs. Les Barbouzes contient d’ailleurs d’autres clins d’œil aux Tontons… : lorsque l’abbé Cafarelli, le personnage interprété par Bernard Blier, est présenté au début du film, on voit une succession de photographies le montrant dans des situations difficiles rappelant évidemment le personnage de Raoul Volfoni. Plus tard, une réplique de Boris Vassiliev, le personnage interprété par Francis Blanche, vient faire référence à l’alcool « bizarre » du Mexicain dans la célèbre scène de saoulerie dans la cuisine…

Du film noir au film romantique en passant par le cinéma d’action ou encore le burlesque, les différentes séquences des Barbouzes passent en revue différents genres cinématographiques. Les scènes d’actions font directement références aux films noirs tout comme aux westerns avec les rixes des cowboys dans les saloons. A travers cette idée saugrenue (Le fantasme du péril jaune ?) d’utiliser une armada de chinois grouillants dans les couloirs cachés et labyrinthiques du château comme représentant une menace sourde d’envahisseurs agressifs, Lautner se permet même des plans inspirés du cinéma fantastique.

Rapide et efficace, le rythme est très soutenu. Tout va vite. Les plans sont très graphiques. L’humour ici est essentiellement visuel. Dans la séquence de découvertes des pièges que chacun tend aux autres (scorpions dans le lit, chasses d’eau piégées,…), le rythme monte progressivement jusqu’à atteindre un final proche de Tex Avery. L’univers du film se rapproche de celui de bandes dessinés comme celles de Franquin ou encore Gotlib.

Même si, du propre aveu du cinéaste, celui-ci dit regretter avoir un peu sacrifié, dans la deuxième partie du film, la cohérence du scénario au profit de l’action, du rythme et du burlesque, comme pour Les Tontons Flingueurs, la dramaturgie dans Les Barbouzes tient la route. En effet, la scène de l’arrivée en hélicoptère du Colonel Lanoix (interprété par Noël Rocquevert) au milieu du film donne une direction au scénario : « On séduit ; on enlève ; on épouse ». Les Barbouzes est construit sur une alternance de périodes d’actions et de dialogues qui rythme le film de façon précise. Mais certes, l’histoire est ici un prétexte à l’amusement. Car, plus que ne l’était déjà Les Tontons Flingueurs, Les Barbouzes est évidemment lui aussi un film de copains qui, à nouveau, voulaient s’amuser ensemble.

Sur le plateau, son travail est précis comme une horlogerie. La diversité de ses références vient traduire la richesse de sa cinéphilie et son amour du cinéma. C’est avec cette sincérité qui le caractérise que le cinéaste a non seulement su inspirer confiance aux personnes sur le plateau, à commencer par les comédiens, mais aussi qu’il est parvenu à imposer et à faire accepter ses choix, ses idées et sa vision.

A nouveau produit par la Gaumont en la personne d’Alain Poiré, producteur délégué , Les Barbouzes a nécessité huit semaines de tournage durant lesquels Lautner, qui avait fait ses armes en tant qu’assistant réalisateur, a tout mis en œuvre pour respecter les contraintes du budget et du planning imposés par la Gaumont qui avait déjà fixé une date de sortie pour le film avant même son tournage. Malgré cela, Lautner est parvenu à produire une œuvre créative. Il a su concilier les contraintes économiques avec la création artistique.

Les Barbouzes a été tourné en partie au château de Vigny qui avait la réputation d’être hanté. Afin de lui donner une dimension politique internationale plus crédible et réaliste, Lautner a utilisé de nombreuses images provenant des archives des actualités Gaumont (stock-shots) pour le film. Contre toute attente, Lautner est même parvenu à insérer à la fin du film un carton (un sous-titre) à l’écran qui n’était absolument pas dans la « politique » de Gaumont : « Et, (PAR DISCIPLINE) il devint bigame… et, il en eu d’autant plus d’enfants. ».

Steve le Nedelec

A lire : Les Barbouzes II – Les comédiens et leurs personnages

Les Barbouzes est disponible en DVD et Blu-ray édition simple ou en coffret avec Les Tontons flingueurs, Gaumont DVD, master image et son THX. Retrouvez une sélection de films de Georges Lautner en Vod sur la plateforme de notre partenaire imineo.com.

Les Barbouzes un film de Georges Lautner avec Lino Ventura, Bernard Blier, Charles Millot, Mireille Darc, Francis Blanche, Jess Hahn, André Weber, Robert Dalban, Noël Roquevert, Georges Guéret, Philippe Castelli… Scénario : Albert Simonin et Michel Audiard. Dialogues : Michel Audiard. Directeur de la photographie : Maurice Fellous. Décors : Jacques d’Ovidio. Montage : Michelle David. Musique : Michel Magne. Producteur : Alain Poiré. Production : S.N.E. Gaumont – Corona Cinematografica – Sicilia Cinematografica – Ultra Film. France – Italie. 1964. 105 mn. Noir et blanc. Format image : 1,66 :1. Tous Publics.