Silence – Martin Scorsese

Au milieu du XVIe siècle, les Portugais, navigateurs exceptionnels, sont les premiers Européens à débarquer au Japon. Les Portugais, qui ont installé plusieurs comptoirs en Asie, entrent dans l’archipel pacifiquement. Leur but est le commerce. Dans les bagages des lusitaniens – des jésuites. Les Portugais sont impressionnés par la richesse de la culture et de la civilisation nippone. Les jésuites de leur côté se lancent dans l’évangélisation des populations rurales. Si les premiers contacts ont été enrichissants, les rapports entre les Portugais et les seigneurs de guerre se dégradent progressivement… les Portugais sont chassés de l’île. Les jésuites restent et convertissent nombre de villages. Les seigneurs de guerre interdisent la nouvelle religion et pourchassent les chrétiens.

Martin Scorsese, à partir d’un roman de l’auteur catholique japonais, Shûsaku Endô, nous conte un épisode passionnant de cette histoire. Elle débute au XVIIe siècle; les Portugais, les Espagnols, les Anglais et les Néerlandais se partagent le monde. Au Japon, le père Ferreira (Liam Neeson) et ses frères sont arrêtés par l’Inquisiteur. Refusant de renier leur foi, ils sont crucifiés au bord de mer. Seul le père Ferreira est gardé vivant par le seigneur de guerre, mais dans quel but ?… Hors de l’archipel, Ferreira devient une légende. Deux jésuites, Rodrigues (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver), des anciens élèves de Ferreira, profitent du naufrage d’un pêcheur japonais – peut-être chrétien -, égaré en mer de Chine, pour gagner les côtes japonaises afin de retrouver leur mentor.

Silence est de bout en bout passionnant. Scorsese expose une histoire complexe. Sur une trame linéaire, composée de trois parties, Scorsese met en place des enjeux qui vont s’avérer particulièrement emmêlés. La première partie est intégralement du point de vue des deux jésuites. Ils rencontrent les paysans qui vivent leur foi en cachette. Tiraillé par la peur, Rodrigues et Garupe, se cachent tout en poursuivant leur mission d’évangélisation. Ils observent comment l’Inquisiteur forcent les chrétiens à renier leur foi. Il suffit de fouler aux pieds une image pieuse. Certains acceptent et ont la vie sauve, d’autres refusent et sont tués. Rodrigues et Garupe vont s’opposer sur l’attitude à suivre. Est-il possible de renier publiquement sa foi et rester dans le giron de la religion ? Les deux jésuites se séparent avec des vues différentes.

Deuxième partie, Scorsese suit Rodrigues qui finit par être capturé par l’Inquisiteur. Prisonnier, il assiste à des opérations de déchristianisation. Scorsese opère un changement de point de vue. Les Japonais s’avèrent être plus « ouverts », moins obtus que le jésuite. Ils font même preuve d’humour. Scorsese prend à contre pied l’image du Japonais tel que l’a véhiculé le cinéma hollywoodien pendant des années. Rodrigues est totalement aveuglé, c’est l’obscurantisme personnifié, à aucun moment, il n’exprime une quelconque curiosité pour la culture ou la civilisation nippone. Pour le jésuite, les villageois et par extension tous les Japonais, ne sont que des sauvages que seul Dieu – son Dieu – peut sauver leurs âmes du néant. Le seigneur est bien plus lucide, il sait que derrière le jésuite, c’est la colonisation du pays qui est en jeu. La religion est l’arbre, rachitique, qui cache la dimension économique.

La troisième et dernière partie s’attache au reniement et à la mise en immersion de Rodrigues dans la société japonaise. Scorsese se met alors à distance et c’est par le biais d’une voix off d’un marchand néerlandais qu’il conclut ironiquement son histoire. La maitrise du montage de Martin Scorsese et de Thelma Schoonmaker est, encore une fois, impressionnante. Imperceptiblement, nous passons d’un point de vue à un autre, et notre regard sur les protagonistes évoluent, il se fait critique. La grande force de Scorsese est mettre en place des éléments qui ne révèlent leur nature profonde qu’en cours de route. Ainsi ce qui n’est qu’une simple image posée à même le sol,  lors des scènes de reniement, perdue dans un plan d’ensemble, acquière dans la dernière partie, par la magie d’un gros plan, une dimension sacrée.

Les personnages sont particulièrement bien caractérisés, mention pour le seigneur et le pêcheur, à l’opposé l’un de l’autre. Le pêcheur est assailli par le doute, la trahison et la fidélité, perdue dans une complexité religieuse et politique qui le dépasse complètement. Les acteurs japonais sont remarquables, le paysan Mokichi est incarné avec conviction par le réalisateur des cultissimes Tetsuo, Shinya Tsukamoto. Dommage qu’ils ne parlent pas leur langue.

La mise en scène de Scorsese est somptueuse. Elle intègre des années de fréquentation du cinéma japonais et à aucun moment il ne pastiche les grands maîtres. Certains plans sont comme un voyage à l’intérieur d’une cinématographie grandiose. On y perçoit les fantômes d’immenses auteurs : Akira Kurosawa avec des réminiscences de Kagemusha, de Ran, ces barques qui glissent dans la nuit Des Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi, une plongé sur une visage de femme, L’Empire de la passion de Nagisa Oshima, des déplacements de foule de La Condition de l’homme à la cour d’Hara-kiri de Masaki Kobayashi… Il existe une première version du roman de Shûsaku Endô par Masahiro Shinoda réalisée en 1972 et présentée en son temps au Festival de Cannes.

Martin Scorsese ne nous parle pas d’un fait passé, mais d’aujourd’hui. Comment la religion, dans sa forme la plus obscurantiste, ne peut aboutir qu’à une impasse. Silence soulève bien des questions et demande une participation du spectateur qui peut, et c’est son droit, refuser, pourtant par les temps troubles que nous traversons, il n’est pas interdit de se demander quelle place doit avoir la religion dans une société évoluée. Dans le dernier plan du film, injustement critiqué, Scorsese y apporte une réponse des plus clairs : la religion, la foi est une affaire personnelle et elle ne doit être imposée à personne.

Silence est un grand film sur notre époque.

Fernand Garcia

Silence un film de Martin Scorsese avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Ciaran Hinds, Issei Ogata, Shinya Tsukamoto, Yoshi Oida, Yôsuke Kubozuka, Kaoru Endô… Scénario : Jay Cocks, Martin Scorsese d’après le roman de Shûsaku Endô. Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto. Décors & costumes : Dante Ferretti. Montage : Thelma Schoonmaker. Musique : Kathryn Kluge, Kim Allen Kluge. Producteurs : Vittorio Cecchi Gori, Barbara De Fina, Randall Emmett, David Lee, Gaston Pavlovich, Martin Scorsese, Emma Tillinger Koskoff, Irwin Winkler. Production : Cappa DeFina Productions – CatchPlay – Emmett/Furla/Oasis Films – Fabrica de Cine – SharpSword Films – Sikelia Productions – Verdi Productions. Distribution (France) : Metropolitain FilmExport (sortie le 8 février 2017). Etats-Unis – Taiwan – Mexique. 2016. 161 mn. Couleur. Format image : 2,35 :1. Tourné en 35 mm anamorphique pellicule Kodak. DCP. Dolby. Tous Publics avec avertissement.