Le Cercle noir – Michael Winner

Harlem, New York. Une tentative de braquage d’une épicerie tourne mal. Un des assaillants, un jeune Portoricain s’est retranché dans un immeuble. La police encercle le bâtiment, les badauds se sont attroupés, la presse écrite, radio, T.V. sont en place. Tous attendent du spectaculaire. Le lieutenant Lou Torrey (Charles Bronson) arrive sur les lieux. Il est prévenu par un flic: « Il est armé », « Il n’a pas d’avenir », balance lucide Torrey. Il entre dans l’immeuble. Le jeune refuse de se rendre et tente de s’enfuir par l’escalier de secours extérieur. Coincé sur la passerelle entre les policiers, en bas, et Torrey, en haut, il fait le mauvais choix. A ce jeu Torrey est le plus rapide. Le Portoricain se retrouve suspendu dans le vide, mort. Les commentaires assassins sur son intervention et le lâchage de sa hiérarchie poussent Torrey à accepter un poste à Los Angeles dans le district de Pico…

La qualité d’écriture et de réalisation du début du Cercle noir l’encre instantanément dans les années 70, le style est direct, Winner est un virtuose de la courte focale, un héritage acquis lors de ses débuts dans le documentaire british. Le film tire une partie de sa force des lieux parfaitement utilisés par Winner: rues, immeubles, commissariats, bars, parkings, etc. Tout suinte de l’authenticité, de la réalité brute d’une époque. Winner plante sa caméra dans des quartiers de New York et de Los Angeles mal famés et à la mauvaise réputation. L’autre force est évidemment Charles Bronson. Il trouve dans ce rôle de flic l’une de ses meilleures compositions: pas une fausse note, il faut voir avec quel naturel et aisance, il investit les lieux.

Une très belle scène peu après le début entre Torrey et sa femme Helen (médecin légiste) renvoie par un dialogue très fin à la propre vie de Bronson dans une cité minière, à la dureté de la vie, à la fumée des grandes cheminées qui masquait le soleil et qui donnait « le mois de novembre toute l’année, je vois cette ville en toi ». Scène émouvante, unique moment où Torrey se confie (un peu) et finit par partir ne souhaitant même pas avoir l’adresse de sa fille. Torrey est un homme désenchanté.

L’intrigue se développe en deux actions parallèles: tandis que Torrey remonte les fils de l’enquête, Al Vescari (Martin Balsam), parrain de la mafia monte une vendetta. Le film se construit entièrement dans l’action, c’est un film de terrain, de mouvement, de déplacement. Au gré de ses voyages et rencontres, Torrey se retrouve face à une Amérique qui cherche ses marques. Le film ose montrer des flics racistes, une haine indécrottable envers les noirs si poussée qu’elle choque Torrey, lui-même issu de la misère. Mais si le flic de terrain est raciste, le haut de la hiérarchie ne l’est pas moins. Face aux assassinats perpétrés par la mafia, le préfet préfère y voir l’œuvre des communistes, des Black Panthers, tout comme le FBI.

Torrey traverse une Amérique de la désolation, du chacun pour soi, où tout tentative de s’organiser autrement, communautarisme de tous poils et couleurs, est aussitôt réprimé par la police. Dès noirs arrêtés sur de simples suspicions aux hippies en recherche d’un nouveau mode de vie, rien n’échappe à la répression. La mafia n’intéresse pas la police. Pourtant, Torrey va poursuivre ses investigations. Tandis qu’en parallèle, le parrain organise une vendetta des plus sanglantes. La vengeance est décidément un plat qui se mange froid, d’autant plus qu’elle a lieu quarante ans après les faits ! Plan machiavélique dont les basses œuvres sont déléguées à d’anciens soldats du Vietnam (d’autres laissés pour compte de l’Amérique).

Le final offre un enchaînement remarquable en un montage parallèle Torrey / Al Vescari. Dans le feu de l’action, Torrey met hors circuit les tueurs à gages, de l’autre côté, Vescari confesse ses péchés (envers sa femme et ses enfants) omettant les dizaines d’assassinats dont il est le commanditaire. Torrey n’ira pas au-delà, son champ d’action étant limité, le parrain poursuivra ses activités.

Le Cercle noir s’inspire vraiment très librement du roman A Complete State of Death de John Gardner paru en France lors de la sortie du film. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, John Gardner n’est pas américain mais anglais. Il débute par des parodies de l’agent 007 lors du boom du roman d’espionnage au début des années 60. Ironie du sort, il est appelé à prendre la succession d’Ian Fleming et pendant une quinzaine d’années (1981-1996) imagine les nouvelles aventures de James Bond. Du roman d’origine, Gerald Wilson n’en conserve que quelques éléments et encore, il s’agit quasiment d’un scénario original. Wilson est un peu une énigme, car il  n’a pratiquement écrit que pour Winner. A tel point, que certains pensaient qu’il s’agissait d’un pseudonyme ou d’un prête-nom de Michael Winner. Toujours est-il que ses dialogues sont impeccables, construits, nets, juste ce qu’il faut d’humour.

Troisième film de l’association Charles Bronson – Michael Winner, après Les Collines de la terreur (1972) et Le Flingueur (1972), Le Cercle noir est une belle réussite (méconnu) du polar urbain américain estampillé seventies.

Fernand Garcia

Le Cercle noir une édition Sidonis – Calysta avec en bonus une double présentation : « Si on avait dit un jour que je ferai un bonus pour parler de Michael Winner, j’aurais été le premier à penser que c’était une plaisanterie. » Contrairement à Tarantino, Bertrand Tavernier n’apprécie ni l’homme ni le cinéaste, il lui concède toutefois du bout des lèvres « un certain sens de l’efficacité » le curseur bloqué sur Le Justicier dans la ville. Tavernier finit par reconnaître quelques qualités au Cercle noir (Musique, Bronson, rythme), mais les préjugés sont trop forts, et Tavernier transforme une poursuite en voiture en marque de l’inhumanité de Winner ! Et avec une mauvaise foi certaine, il ne voit dans le film que des putes, preuve supplémentaire de la misogynie de Winner, sauf que c’est une erreur, il oublie au passage le personnage de l’ex-femme de Torrey. François Guérif devait être en vacances. Dispensable (20 minutes). L’intervention de Patrick Brion est plus intéressante, après un rapide survol de la carrière de Michael Winner, il revient longuement sur la réalisation du film et sur son aspect documentaire (9 minutes). Toujours dans les suppléments, un document réalisé en hommage à Michael Winner, Quelques traces de Michael Winner. De ses débuts dans la comédie, avant de proposer un western à un studio américain qui hésite un temps: « Mais j’ai quand même fait ce western avec Burt Lancaster ». L’homme de la loi est un gros succès, qui oriente la carrière vers d’autres genres. Son association avec Charles Bronson devient légendaire, Le justicier dans la ville est un triomphe: « pour la première fois, on voyait un citoyen tuer d’autres gens, et être considéré comme un héros ». Winner va alors traîner une sale réputation.  « Michael, c’est un vrai monstre. Mais il a un sens de l’humour diabolique », dit de lui l’actrice Lia Williams. « Tout le monde était content sur mes tournages à part quelques personnes que j’ai virées », raconte goguenard Michael Winner (12 minutes). Et enfin la bande-annonce américaine d’époque (2 minutes).

Le Cercle noir (The Stone Killer) un film de Michael Winner avec Charles Bronson, Martin Balsam, Ralph Waite, Jack Colvin, Paul Koslo, Stuart Margolin, Norman Fell, David Sheiner, Alfred Ryder, Walter Burke, Kelly Miles, Lisabeth Hush… Scénario : Gerald Wilson d’après le roman A Complete State of Death de John Gardner. Directeur de la photographie : Richard Moore. Décors : Ward Preston. Montage : Michael Winner. Musique : Roy Budd. Producteurs : Michael Winner et Dino De Laurentiis. Production : Produzione De Laurentiis Inter MFG CO Spa – Columbia Pictures. Etats-Unis – Italie. 1973. 95 minutes. Technicolor. Format image : 1,85 :1. 16/9e Son Version Originale avec ou sans sous-titres et Version française. Tous publics.