Fou à tuer – David Schmoeller

Une jeune femme (Sherry Buchanan) s’avance à pas de loup dans l’escalier qui mène au grenier de la bâtisse où elle loue une chambre d’étudiante. La porte de son propriétaire, l’étrange Karl Gunther (Klaus Kinski), est ouverte et la pièce plongée dans le noir. Elle enclenche sa lampe torche et tombe sur une femme (Sally Brown) enfermée dans une cage. La pauvre fille ne peut pas parler, Gunther lui a coupé la langue. La jeune femme, épouvantée, tente de fuir, mais Gunther actionne un mécanisme de son invention qui la transperce d’une lance…

Fou à tuer, c’est Klaus Kinski, sans lui, le film n’existerait pas. Il lui donne sa saveur glauque et son atmosphère morbide. Klaus Kinski est de la « race » de ces acteurs qui dès qu’ils entrent dans un plan, tout bascule. Kinski charrie avec lui une folie, une intranquillité qui instantanément rend la moindre bande intéressante. Sa seule présence a sorti de leur médiocrité nombre de films. Fou à tuer est en revanche une série B horrifique de très bonne tenue. Tout d’abord grâce à son réalisateur, David Schmoeller.

Repéré par un curieux film fantastique Tourist Trap (1979), David Schmoeller, originaire du Texas, à un itinéraire des plus singuliers. Né en 1947, Schmoeller débute sa carrière en tant que jeune dramaturge. En 1967 obtient une bourse pour aller étudier à l’Universidad De Las America au Mexique, coup de bol son prof en théâtre s’appelle Alejandro Jodorowski et méga coup de bol celui de cinéma : Luis Buñuel. Il retourne aux Etats-Unis en 1968 et termine sa maîtrise sur la radio-télévision-film à l’Université d’Austin. Schmoeller attire l’attention du monde professionnel avec The Spider Will Kill You (1974-1976), son film de thèse. Grâce à ce court-métrage, il décroche un stage auprès de Peter Hyams sur le tournage de Capricorn One (1977). Sa rencontre avec le producteur Charles Band va être décisive pour la suite de sa carrière. Band, spécialisé dans les petites productions horrifiques sexy, associé à Irwin Yablans (Halloween) produit sa première réalisation Tourist Trap avec Chuck Connors. Une réussite qui incite Yablans à poursuivre avec Schmoeller pour The Seduction/Tele Terror, un thriller avec la belle Morgan Fairchild et l’inquiétant Michael Sarrazin, le film, moins réussi que son premier, passe inaperçu.

Entretemps, Albert et Charles Band font l’acquisition des Studios Dino De Laurentiis, et délocalise toute leur production en Italie. Un taux de change, Dollar/Lire favorable, des coûts de production inférieurs à ceux de Los Angeles et des équipes de grande qualité la machine Empire est en place. Ils contactent David Schmoeller qui prépare un film dont le sujet coïncide parfaitement avec un tournage en studio. Un vétéran du Viêtnam s’enferme dans son grenier et y torture de jeunes femmes dans une reconstitution de prison Viêt-Cong. Schmoeller rejoint les équipes d’Empire à Rome, mais doit adapter son histoire. Charles Band a quelques réserves sur le scénario, non sur la violence et les filles dénudées, mais sur le côté Vietnam de l’histoire. Le marché lui semble saturé de production plus importante sur le sujet. Il propose de garder l’histoire, mais de faire du « héros » un nostalgique du IIIe Reich. Le nom de Klaus Kinski vient sur la table et Schmoeller accepte avec enthousiasme de diriger l’acteur. Il ne se doute pas encore qu’il va vivre un enfer.

Gunther aménage sa maison afin de piéger de jeunes étudiantes. Il circule à l’intérieur du circuit d’aération d’appartement en appartement et observe les jeunes étudiantes. Elles sont destinées à être tôt ou tard victimes de sa folie meurtrière. Karl Gunther est un psychopathe de la pire espèce. Dans son grenier, il maintient en captivité, une femme, crâne rasé, langue coupée, dans un état qui rappelle les prisonnières de camp de concentration. Gunther dans un état avancé de délire, se stimule en projetant des films de propagande nazie. Peut-être conscient qu’il ne pourra changer le monde, après chaque meurtre, il s’adonne à une séance de roulette russe. Une balle enduite de son sang doit l’arrêt ou être la preuve du bien-fondé de son action.

Klaus Kinski est le choix parfait pour ce fils de nazi, pervers et obsédé. Il domine le film, aucun des acteurs à ses côtés n’arrive à sa cheville. Talia Balsam, la fille de l’acteur Martin Balsam, charmante, a un jeu limité. Il en va de même pour le reste de la distribution. Il y a peu de scènes à plus de trois personnages. David Schmoeller opte pour une mise en scène d’angoisse, froide, utilisant des effets de montage à la Hitchcock, comme des plans sur plans dans l’axe ou encore un son se propageant sur plusieurs plans courts. Schmoeller s’applique pour réaliser un film au-dessus du tout- venant des productions d’Empire Pictures. Fou à tuer est un thriller d’horreur en appartement, le film se déroule entièrement dans un huis clos de plusieurs pièces. Le film est d’autant plus réussi que Kinski rend l’ensemble irrespirable, sa présence s’imprime sur chaque image et à lui seul, il fait tenir l’édifice.

Klaus Kinski a 60 ans quand il entame le tournage. Acteur caractériel, provocateur, parcouru par des sautes d’humeurs destructrices, Kinski n’est pas acteur à laisser indifférent. Il mène la vie dure à Schmoeller, multipliant les caprices et les exigences er créant un climat délétère sur le plateau. Il faut dire que Schmoeller avait donné à son personnage de dingue, quasiment le vrai nom de l’acteur : Klaus Günter Karl Nakszynski, de quoi le mettre instantanément de mauvais poil. De cette expérience humaine limite, David Schmoeller, tirera un petit court-métrage sobrement intitulé : Please Kill Mr Kinski en 1999, soit 13 ans après la réalisation de Fou à tuer, et pas fou, 8 ans après la mort de l’acteur.

Fernand Garcia

Fou à tuer une édition Sidonis Calysta, dans la collection Cauchemar, en digibook (combo Blu-ray et DVD) avec un livret. Report HD impeccable. En complément : Un présentation du film par Olivier Père, l’histoire du film et de la maison Empire Picture, de son ascension à sa chute, passionnant (28 minutes). La section se termine sur la bande-annonce d’époque. Fou à tuer, cauchemar sur le plateau, écrit par Marc Toullec, livret de 24 pages, accompagne – pour connaître tous les secrets du film -, cette belle édition.

Fou à tuer (Crawlspace) un film de David Schmoeller avec Klaus Kinski, Talia Balsam, Barbara Whinnery, Carole Francis, Tane McClure, Sally Brown, Jack Heller, Abbott Alexander, Kenneth Robert Shippy, Sherry Buchanan… Scénario : David Schmoeller. Directeur de la photographie : Sergio Salvati. Direction artistique : Giovanni Natalucci. Costumes : C.J. Strawn. FX : John Carl Buechler. Montage : Bert Glatstein. Musique : Pino Donaggio. Producteur exécutif : Charles Band. Producteur associé : Ron Underwood. Producteurs : Roberto Bessi et Michael Deak. Production : Empire Pictures. Etats-Unis – Italie. 1986. 80 minutes. Technicolor. Technovision. Format image : 1.85 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. 2.0. Interdit aux moins de 16 ans (en son temps).