L’homme de la loi – Michael Winner

Les cow-boys de Bronson (Lee J. Cobb) de retour d’un long voyage pour vendre du bétail, font escape dans la petite ville de Bannock. La soirée est arrosée au-delà du raisonnable, dans un délire collectif, ils abusent des femmes et dans la rue principale, ils tirent à tout-va. Une boutique prend feu. Bronson sonne la retraite. Les cow-boys repartent laissant derrière eux, un vieil homme tué par une balle perdue et un chaos indescriptible. Le shérif Maddox (Burt Lancaster) arrive à Sabbath, petite ville tranquille, d’où sont originaires les cow-boys. Sur un cheval, le cadavre d’un des hommes de la funeste soirée. Dans sa poche, la liste de ceux qu’il doit arrêter. Maddox prévient son collègue à Sabbath, le shérif Cotton Ryan (Robert Ryan), que les présumés coupables ont 24 heures pour se rendre…  

L’homme de la loi est une œuvre charnière dans la carrière de Michael Winner, celle où il laisse libre cours à ce qui fera l’essence de son cinéma : le réalisme et l’antihumanisme. Michael Winner a déjà derrière lui quatorze longs-métrages en Angleterre quand il s’embarque pour l’Amérique. Il était alors abonné à de petits films commerciaux, des comédies, des policiers, avec un acteur de prédilection : Oliver Reed, dans l’esprit Swinging London de l’époque. Cette rupture, Winner la doit aussi à une rencontre capitale avec un scénariste américain Gerald Wilson.

Scénariste iconoclaste, Gerald Wilson se spécialise dans les westerns et dans les thrillers avec une approche particulièrement moderne et ambigüe du héros. Eliminé le sentimentalisme et les happy-ends conventionnel du cinéma hollywoodien. Wilson apporte à Winner ce qui manquait à ses films anglais, des sujets avec un fonds fort. Wilson est une sorte de Jack London des années 50. Il bourlingue à 16 ans comme marin dans des cargos de fret. Après un tour du monde, il reprend ses études et devient géologue. Pendant sept ans, Wilson vit auprès des Indiens et des Inuit dans l’Arctique. De ses multiples aventures, Wilson en tire une expérience humaine et politique qui le mène à une réflexion marxiste sur la société et l’histoire. En 1955, il s’installe en Angleterre et écrit pour des séries TV. L’homme de la loi est porté à l’écran avec un total respect du texte par Michael Winner, qui en plus de la réalisation, le produit. L’association est étrange puisque Gerald Wilson est très marqué à gauche tandis que Winner est un conservateur, mais cette relation se poursuivra avec Les Collines de la terreur (1972), Scorpio (1973), Le cercle noir (1973), Le Justicier dans la ville (Death Wish, 1974) auquel Wilson collabore sur quelques scènes  et enfin L’arme au poing (Firepower, 1979) véhicule pour Sophia Loren, dont Wilson désavoue totalement le résultat final. Dans ce corpus de films se trouvent les meilleurs de Winner auxquels on peut ajouter Le Corrupteur (The Nightcomers, 1971) avec Marlon Brando et La Sentinelle des maudits (The Sentinel, 1977) l’un des films d’horreur les plus malsains des années 70.

L’homme de la loi est un western austère à la lisière du classicisme des temps héroïques et de la modernité des années 70. Le film offre une relecture du héros traditionnel dans le cas présent du shérif seul contre tous. Le shérif Maddox est interprété de façon magistrale par Burt Lancaster. Ce shérif est le bras armé de la loi dans son application la plus stricte et aveugle. L’étoile de shérif qu’il porte sur la poitrine est un véritable permis de tuer. Maddox n’a pas la moindre humanité, ce qui déstabilisant pour le spectateur, parce qu’il a raison dans le fonds, mais son application de la loi sans la moindre pitié ou compassion, brouille complètement les cartes. Les pauvres cow-boys et paysans qui s’esquintent dans ses terres désolées ne méritent pas un tel traitement. Le shérif est une machine de guerre, certes avec quelques fissures. Laura (Sheree North) l’a quitté, il la retrouve dans les bras d’un paysan qu’il pourchasse. Maddox vacille l’espace d’une nuit, d’une scène d’amour sans lendemain. Un des plus beaux moments du film.

Cotton Ryan, le vieux shérif de la ville, le double « humain » de Maddox. As de la gâchette, fatigué par la vie, Cotton sait que Maddox ira jusqu’au bout. Les rapports entre les deux shérifs sont écrits avec une grande subtilité, ils représentent deux visions de la loi, deux manières de faire. Cotton Ryan laisse faire en revanche Maddox à une mission à accomplir et il va la remplir, c’est un « Robocop » avant l’heure. Une vision d’un monde d’ordre absolument cauchemardesque.

L’homme de la loi est réalisé avec un grand soin, la reconstitution de l’époque est extrêmement réaliste. Une vérité des décors, des costumes, sélectionnés par Michael Winner, qui renforce la véracité de l’histoire racontée. La mise en scène de Michael Winner est particulièrement dynamique, des mouvements d’appareils assez sophistiqués et des zooms intéressants moins irritants que d’habitude grâce à la grande variété des plans. Winner est dans une esthétique proche du documentaire, choix qui rend le film particulier. La musique de Jerry Fielding qui accompagne l’itinéraire de Maddox accentue le sentiment de folie qui accompagne le shérif.

Autour de Burt Lancaster, une remarquable distribution. Robert Ryan incarne l’autre shérif, un homme d’un autre temps, usé par tant de violence. Robert Ryan, grand acteur du film noir et des westerns crépusculaires, il livre une prestation toute en finesse. L’acteur était alors atteint d’un cancer au poumon qui l’emportera deux années plus tard après un dernier film avec Burt Lancaster : Executive Action en 1973.

Lee J. Cobb tout aussi excellent, incarne le propriétaire, riche notable, personnage récurrent et archétypal du western. Mais il sort du cadre habituel, il est plus complexe, ce n’est plus un assoiffé de vengeance, mais un homme raisonné, les pieds sur terre. Immense acteur, Arthur Miller écrivit pour Lee J. Cobb, Mort d’un commis voyageur. A côté d’eux, les débuts de Richard Jordan qui rempilera avec Burt Lancaster  pour un autre excellent western Valdez (Valdez Is Coming, 1971) réalisé par Edwin Sherin. Robert Duvall, en paysan pleutre a déjà dix années de carrière, son nom grandi petit à petit, au fil d’interprétation remarquable. Duvall enchaîne avec un chef-d’œuvre Le Parrain (The Godfather, 1972) de Francis Ford Coppola.

Sheree North est l’unique personnage féminin important. Elle avait été lancée par la Fox au milieu des années 50 comme une nouvelle Marilyn Monroe, même mensuration, mais le succès est moindre. Beaucoup de comédies en cinémascope, avant de se tourner vers la télévision au début des années 60. Elle retrouve Burt Lancaster après Les parachutistes arrivent (The Gypsy Moths, 1969) de John Frankenheimer. Don Siegel, l’apprécie particulièrement et la dirige à quatre reprises : Police sur la ville (Madigan, 1968), Tuez Charley Varrick (Charley Varrick, 1973), Le dernier des géants (The Shootist, 1976) et Un espion de trop (Telefon, 1977), de véritables réussites.

L’homme de la loi baigne dans une atmosphère de violence permanente, à chaque plan l’irrémédiable peut surgir. Burt Lancaster est impressionnant dans sa raideur morale. Il enchaîne avec un autre western remarquable : Valdez, sorte de faux film jumeau, où son « héros » prend aussi une position morale qui dicte ses actes, mais teintée cette fois-ci d’une compassion pour l’autre totalement absente du shérif Maddox. L’homme de la loi et Valdez deux très grand western à redécouvrir.

Fernand Garcia

L’homme de la loi une édition Sidonis Calysta dans l’indispensable collection Western de légende. Une édition riche en complément : une présentation du film par Patrick Brion « un western dont Michael Winner se sort très bien…» (8 minutes). Une deuxième par Jean-François Giré (15 minutes). La volonté de réussir, documentaire américain sur la carrière de Burt Lancaster (50 minutes). Quelques traces de Michael Winner, retour sur l’œuvre de Michael Winner, réalisateur, dont l’humour, la dérision et le cynisme ont cloué au pilori, mais bien des témoignages (Michael Caine, Roger Moore) dresse de lui le portrait d’un bon vivant, riche, très british et manipulateur, – comme tout cinéaste digne de ce nom – (12 minutes). La bande-annonce d’époque, accès sur la violence, de L’homme de la loi (2 minutes). Cette édition s’accompagne d’un livret sur Burt Lancaster écrit par Jean-Claude Missiaen, chargé de presse et ami de l’acteur. Le cinéaste de Tir groupé se focalise sur trois westerns : L’homme de la loi, Valdez et Bill Doolin, le hors-la-loi, disponible chez l’éditeur (36 pages).

L’homme de la loi (Lawman) un film de Michael Winner avec Burt Lancaster, Robert Ryan, Lee J. Cobb, Robert Duvall, Sheree North, Albert Salmi, Richard Jordan, John McGiver, Ralph Waite, John Beck, J.D. Cannon, John Hillerman, Joseph Wiseman… Scénario : Gerald Wilson. Directeur de la photographie : Robert Paynter. Directeur artistique : Stan Jolley. Montage : Frederick Wilson.  Musique : Jerry Fielding. Producteur : Michael Winner. Production : Scimitar Films – Michael Winner LTD – United Artists Corporation. Etats-Unis. 1970. 99 minutes. Deluxe. Format image : 1,85 :1. 16/9e. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. 2.0. Tous Publics.