Bataille sans merci – Raoul Walsh

Une diligence fonce à grande vitesse sous escorte militaire. A son bord, quatre passagers et une caisse d’or. L’équipage fait escale à la station de Rodger. Jennifer Ballard (Donna Reed) retrouve son futur mari, Ben (Rock Hudson) après une longue séparation dû à la Guerre de sécession. Durant le voyage Jennifer a fait la connaissance de deux autres sudistes qui voyage sous de fausses identités, les hors-la-loi : Frank Slayton (Phil Carey) et Jess Burger (Leo Gordon). La relève yankee arrive et la diligence repart…

Il faut toujours se méfier des petits films des grands cinéastes, souvent, ils éclairent de manière plus directe sur les « obsessions » de leurs auteurs que, parfois, les grandes œuvres. Il en va de même pour Bataille sans merci sur le cinéma d’un géant d’Hollywood : Raoul Walsh. Bataille sans merci est un western réalisé au temps de la première grande vague du relief dans les années 50. Walsh, pionnier du cinéma, est un expérimentateur. Il tourne le premier western en 70mm, La piste des géants (The Big Trail) en 1930. Bataille sans merci est tourné par Raoul Walsh pour le compte de la Columbia entre A Lion Is In the Streets pour Warner Bros. et La Brigade héroïque (Saskatchewan) pour Universal.

La forte charge érotique du film et l’intérêt de Raoul Walsh pour son méchant, un ex-militaire sudiste, décrochent ce western du tout-venant. Frank Slayton a perdu la guerre, mais refuse de se conforter à la nouvelle donne. Il poursuit un rêve morbide, reconstruire un Sud ailleurs, de l’autre côté de la frontière. Tous les moyens sont bons pour la concrétisation de sa folie. Slayton entraîne avec lui, Jeff Burger et un groupe de renégats. Dans la diligence,  Slayton tombe sous le charme de  Jennifer, comme lui, du Sud. Elle doit épouser Ben et devenir agricultrice. Le gâchis intégral pour Frank. Comment une femme si cultivée et distinguée a-t-elle pu s’éprendre de Ben, qui après avoir connu les atrocités des champs de bataille, s’est tourné pacifiste. Ben est aux yeux de Frank : une loque. Jennifer devient plus importante que le coffre d’or pour Frank. Tout cela est sans compter sur Jess, qui refuse catégoriquement que Frank emporte Jennifer dans leur rêve fou d’une reconstruction d’un Sud mythologique. Les rapports entre les deux hommes sont ambigus. Ils partagent la même chambre d’hôtel. Jess, est-il amoureux de Frank ? Furent-ils amants ? Le film traîne une atmosphère à la sexualité trouble.

Après l’attaque de la diligence et le kidnapping de Jennifer, un des bandits demande à porter sa robe, tandis que d’autres l’envisagent comme faisant partie du butin. Frank tente de la voler, une première fois. Jess, qui s’est rebellé contre Frank, est abandonné, ligoté (très bondage) à un poteau. Leur relation d’amour haine est à la limite du sadomasochisme. Frank aura gain de cause, dans un fondu très évocateur où il bloque Jennifer contre une porte. A partir de cet instant, elle ne représente plus rien pour lui. Ce désintérêt est assez étrange, Jennifer ne correspond plus à l’idée que Frank se faisait d’elle ? Elle n’était peut-être pas vierge ? Zone d’ombre qui nourrit l’imagination du spectateur. Slayton se désintéresse de Jennifer, mais en pervers narcissique, il l’utilise comme élément déclencheur de la violence entre les hommes. L’or et l’honneur reprenant le pas sur la femme.

Les grands thèmes de Walsh se retrouvent dans le déroulement de Bataille sans merci, la guerre, l’héroïsme, le machisme, les femmes, les grands espaces avec toujours cette idée qu’aucun retour en arrière n’est jamais possible. Raoul Walsh filme admirablement cette tragédie réduite à une poignée de personnages. Il s’attache à Donna Reed, dont la beauté est le moteur du film. Elle est au centre de toutes les attentions, des désirs les plus sauvages. La manche déchirée de Jennifer est un puissant raccourci érotique. Stella est l’autre femme de Frank, amoureuse exclusive, elle s’oppose à Jennifer. La jalousie est un moteur destructeur. Jennifer suit un chemin (à la Sade) inimaginable pour elle, jusqu’à un bordel à la lisière de la frontière avec le Mexique. Jennifer, lavée par des prostituées, se retrouve l’espace d’un instant dans une position d’infériorité, mais les instincts de classe reprennent vite le dessus avec ses manières de bourgeoise, donneuse d’ordre. Pour Walsh, le combat entre les êtres est permanent.

Bataille sans merci est une course-poursuite. Frank avec Jennifer et sa bande avec à ses trousses, Ben, Jess et un Indien (puis avec Stella, la femme outragée). Tous ont une dent contre Frank. Indien parce que sa famille et sa tribu ont été massacrées par ordre de Frank. Walsh met en scène un combat dans des paysages grandioses et arides comme la violence. Combat au cours duquel Ben, le pacifiste, ne tue personne, laissant la tâche de mort à ses compagnons.

Fernand Garcia

Bataille sans merci, est disponible dans le tome 2 de l’Anthologie en coffret prestige des Grands Classiques de la collection Western de Légende de Sidonis-Calysta (en DVD et Blu-ray) 20 titres. Bataille sans merci de Raoul Walsh est inédit, aucun supplément n’accompagne le titre.

Bataille sans merci (Gun Fury) un film de Raoul Walsh avec Rock Hudson, Donna Reed, Phil Carey, Roberta Haynes, Leo Gordon, Lee Marvin, Neville Brand, Ray Thomas, Robert Herron… Scénario : Ray Huggins et Irving Wallace d’après le roman de Kathleen B. Granger, George Granger et Robert A. Granger. Directeur de la photographie : Lester H. White. Consultant couleur : Francis Cugat. Décors : Ross Bellah. Montage : Jerome Thoms et James Sweeney. Musique : Misha Bakaleinikoff. Poducteur : Lewis J. Rachmil. Production : Columbia Pictures. Etats-Unis. 1953. 82 minutes. Technicolor. 3D. Format image : 1,85 :1. Son : Version Française et Version originale avec ou sans titres français. DTS-HD. Tous Publics.