Trois souvenirs de ma jeunesse – Arnaud Desplechin

Le premier mot qui nous vient aux lèvres c’est « plaisir », le plaisir du cinéma, le plaisir d’être entraîné dans une histoire, le plaisir du romanesque. Il émane de Trois souvenir de ma jeunesse une élégance toute truffaldienne.

Paul Dédalus est sur le départ. Il quitte sa compagne et le Tadjikistan pour un retour en France. Il doit prendre un poste au Quai d’Orsay mais son identité intrigue les services secrets. Qui est vraiment Paul Dédalus ?

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Face à un homme de l’ombre dans un bureau impersonnel, Paul Dédalus doit revenir sur un moment précis de sa vie, un voyage de sa classe en URSS. Dans les dédales de sa mémoire, Paul se remémore l’adolescent qu’il était en trois souvenirs. Sa mère et ses crises de folie hallucinantes. Paul se réfugie chez sa tante. A la morte de sa mère, il revient à la maison et retrouve sa sœur et son frère. Leur père est devenu un homme brisé, conciliant et absent. Paul est depuis toujours face à des responsabilités qu’il accepte naturellement. Ce voyage est sa rencontre avec des Juifs à qui il laisse son passeport dans un geste de pure compassion littéraire. Puis enfin ce souvenir, cette lumière vacillante au fond de sa mémoire, Esther. Son grand amour. Ce qu’il y a de magnifique dans cet assemblage de souvenirs c’est qu’il concerne le regard d’un homme sur son adolescence et que le recul le rend juste. Le regard de Desplechin est d’une sincérité qui lui permet d’éviter tous les pièges de la nostalgie et de l’apitoiement sur le temps qui passe. Paul vit l’instant présent dans ces trois souvenirs sans se rendre compte qu’il s’agit d’un passage vers l’âge adulte.

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L’une des grandes forces du film est la multitude de personnages que croise Paul Dédalus, chacun a son caractère et ses raisons. Les sentiments évoluent, les amitiés aussi. Paul en quittant Roubaix plonge avec Esther dans un amour épistolaire exacerbé par l’absence. Paul à Paris, Esther à Roubaix, la peur de la solitude pour elle, l’envie de croquer la vie pour Paul, Pénélope et Ulysse modernes. Ils plongent dans l’apprentissage de la vie, avec ses joies, ses heurts et les déceptions qui vont avec.

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Dans ce film très écrit, Arnaud Desplechin n’enferme à aucun moment ses personnages dans sa structure dramatique. Trois souvenirs de ma jeunesse assume majestueusement sa filiation avec la Nouvelle Vague. Le film est aussi une interrogation sur les liens entre littérature et cinéma. La littérature par son utilisation de voix off, d’un dialogue qui s’extrait de tout naturalisme, de lettres, et de sa dimension romanesque, le cinéma par le mélange des genres, comédie, film d’espionnage, drame, teenage movie combiné à la richesse du langage cinématographique (split screen, iris…). Trois souvenirs est un film admirablement mis en scène, tout semble simple et tout s’enchaîne à merveille, avec un rythme juste pour les trois souvenirs. A ce titre signalons encore une fois, comme pour tous les films de Desplechin, la beauté du montage, tous s’imbriquent et se défait avec une science et sûreté d’exécution au-delà de tout éloge – l’osmose parfaite entre Arnaud Desplechin et sa monteuse Laurence Briaud. Autre grande réussite du film – son casting. Pas une fausse note. Le dédoublement du personnage Paul Dédalus entre Mathieu Amalric et Quentin Dolmaire est bluffant. Le jeune acteur est impeccable, il retrouve des accents d’Amalric sans en être une vulgaire imitation, c’est tout simplement Paul jeune. Lou Roy-Lecollinet (Esther) est une amoureuse exaspérante, indécise et libre, la petite fille de Monika (Ingmar Bergman) en quelque sorte. Il faudrait les citer tous pour être juste. Et quel plaisir, tout personnel celui-là, d’apercevoir dans l’introduction, Dinara Droukarova, la petite fille du sublime Bouge pas, meurs et ressuscite.

Trois souvenirs de ma jeunesse est un enchantement permanent et un hymne à l’amour, en un mot magnifique.

Fernand Garcia

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Trois souvenirs de ma jeunesse, un film d’Arnaud Desplechin avec Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet, Mathieu Amalric, Dinara Droukarova, Cécile Garcia Fogel, Francoise Lebrun, Irina Vvilova, Olivier Rabourdin, Elyot Milshtein, Pierre Andrau, Lily Taieb, Raphaêl Cohen, Clémence Le Gall, Mélodie Richard… Scénario Arnaud Desplechin & Julie Peyr. Directeur de la photo : Irina Lubtchansky. Décors : Toma Baqueni. Costumes : Nathalie Raoul. Musique : Grégoire Hetzel. Montage : Laurence Briaud. Producteur : Production : Why Not Productions – France 2 Cinéma. Distribution : Le Pacte. France. 2015. 2h. 2,35 : 1. son 5.1. Quinzaine des réalisateurs 2015.

 

 

 

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