The Captain – L’Usurpateur – Robert Schwentke

Un soldat allemand, Willi Herold, cours à perdre haleine dans les bois enneigés. Il est poursuivi, d’autres soldats le traquent avec l’intention de le tuer comme une bête. Willi réussit à leur échapper. Nous sommes en Allemagne dans les dernières semaines de la guerre. Willi est un déserteur. Il a faim, il a froid,  autour de lui, c’est le chaos.  Une voiture sur le bas côté, des affaires abandonnées d’un capitaine. Willi enfile son uniforme et avec ceci, le naturel refait surface, il donne des ordres dans le vide, jusqu’à ce qu’un soldat, peut être un autre déserteur, arrive et craintif se met à son service…

The Captain est un film puissant dont le regard qu’il porte sur les dernières semaines de la guerre, côté allemand, est dérangeant. Des soldats paumés, déserteurs du IIIe Reich se retrouvent pourchassés ou emprisonnés par des milices allemandes. Affamés, taraudés par la peur, ils sont capables des pires exactions: viol, pillage, etc. Les paysans, dès qu’ils mettent la main sur un de ces soldats, n’hésitent pas un instant: c’est des pendaisons, des lynchages sans autre forme de procès. De son côté, l’armée allemande les traque, au mieux, ses soldats sont emprisonnés dans l’attente d’un jugement, au pire, exécutés sauvagement. Allemand contre Allemand, hypocrisie à son comble pour ses hommes et femmes qui furent des soutiens inflexibles et zélés de l’idéologie nazie.

The Captain raconte l’histoire véridique de Willi Herold. Engagé dans les parachutistes de la Wehrmacht en 1943, il combat en Italie avant d’être rapatrié avec sa brigade en Allemagne. En avril, quelques semaines avant la fin de la guerre, il se perd dans le no man’s land allemand. Il a 19 ans et va débuter un périple de quelques mois d’une violence inouïe.

Depuis quelques années, la littérature a réinvesti  le champ de la Seconde Guerre mondiale avec la volonté de pénétrer au cœur du mal. The Captain s’inscrit dans cette démarche que l’on retrouve dans, par exemple, Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Cette manière de mettre à nu les rouages du fascisme et du nazisme a bien évidemment été abordé de front par les précédentes générations, rappelons pour nous en tenir au cinéma, des films qui semblent avoir grandement influencé Robert Schwentke: Les Damnés de Luchino Visconti, Lacombe Lucien de Louis Malle, Salo ou les cent vingt journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, Croix de fer de Sam Peckinpah, entre autres.

J’ai cru dans un premier temps que The Captain était un premier film. On y décèle cette énergie, cette rage, cette manière d’oser aller vers l’inconnu caractéristique des premières œuvres. Pourtant la réalisation, la direction d’acteur, ces brusques changements de ton accréditent le fait que son réalisateur avait de l’expérience. En me penchant sur Robert Schwentke, j’ai découvert qu’il avait non seulement réalisé plusieurs films mais qu’en plus je les avais vus. Ses films ne m’avaient laissé aucun souvenir : Flight Plan, R.E.D., Divergente 2 et 3, des produits hollywoodiens standardisés. Robert Schwentke n’est donc pas américain mais allemand, il a fait ses universités dans le système Hollywoodien.  Il y a appris cette mécanique de réalisation tout entière au service du scénario et soumis au diktat des exécutifs des studios. Considérons cette période américaine comme celle de l’apprentissage et abordons The Captain comme le véritable premier film de Robert Schwentke.

Willi Herold s’enfuit dans le chaos de la campagne allemande. Traqué, il réussit à égarer l’escouade de soldats assoiffés de sang à ses trousses. Dans la campagne régne l’anarchie, les paysans tuent les soldats coupables à leurs yeux des vols dans leurs fermes. Au détour d’un chemin, Willi trouve la voiture abandonnée d’un capitaine. Il enfile ses chaussures, le froid glacial coupe ses doigts de pieds comme des lames de rasoirs… et puis, il enfile l’uniforme du capitaine disparu. Willi se reprend au jeu, celui de l’autorité, de la toute-puissance nazie, dans le paysage désolé qui s’étend à ses pieds, il est à nouveau un rouage du IIIe Reich et lance dans le vide des ordres pathétiques. Il imite ce qu’il a vu et redevient en un instant une cheville ouvrière de l’horreur nazie. Willi  rencontre un soldat perdu et en fait son aide de camp. Ils ne sont pas dupes l’un de l’autre, mais ainsi à deux, ils « retrouvent » l’autorité qui sied aux soldats en exercice. Ils vont ainsi traverser la campagne allemande. En chemin, Willi enrôle d’autres déserteurs et invente une « mission spéciale » sur ordre personnel du Führer, après une parodie de conseil militaire, la traque et l’exécution des déserteurs.

L’une des forces du film est de montrer qu’une fois « incorporés » dans cette« mission spéciale », les soldats dont le cerveau a été laminé par tant d’années de rabotage idéologique redeviennent des monstres de guerre. Ainsi dans le camp de détention des « déserteurs » allemands, les recrues de Willi, qui quelque temps auparavant étaient eux-mêmes des déserteurs, vont torturer et assassiner des soldats pour des motifs qui les auraient condamnés à un sort identique. Aucune pitié, aucune compassion, c’est dire comment le naturel reprend très vite le dessus. Willi est ivre du pouvoir que lui donnent son uniforme et l’idéologie qui l’accompagne. Plus rien ne l’arrête, jugement expéditif, exécution sommaire, massacre collectif, charnier, il se délecte de la boue de sang qu’il crée. Ainsi après une nuit d’atrocités, où une centaine de prisonniers sont exécutés dans une fosse au fusil antiaérien, puis à la mitrailleuse et achevés à la grenade, Willi ordonne une fête. A la destruction du camp par les forces Alliées, Willi et ses hommes vont poursuivre leur carnage en instaurant un régime de terreur dans une petite ville.

Willi Herold n’est pas sans rappeler Lacombe Lucien: même jeunesse, même utilisation du pouvoir pour sa satisfaction personnelle. Dans la dernière partie, le tribunal d’exception installé par Willi et ses scribes évoque directement le centre de la Gestapo du chef-d’œuvre de Louis Malle. Utilisation similaire des lieux, au rez-de-chaussée on condamne et on se saoule, à l’étage, on fait l’amour et on torture dans des chambres à quelques pas les uns des autres. Willi est un usurpateur mais dans son attitude il est un officier. A la « fin » de cet itinéraire de l’apocalypse, le tribunal militaire nazi, qui le juge, le félicite pour ses décisions, un exemple pour les autres.

Willi Herold est incarné par un jeune acteur suisse Max Hubacher. Il est tout simplement époustouflant. Toute la distribution est impeccable – des petits rôles aux rôles les plus importants, pas une fausse note. La direction d’acteur de Robert Schwentke est impressionnante, spectaculaire et inspirée. Il permet à Florian Ballhaus (le fils de Michael Ballhaus) de signer, dans un noir et blanc superbe, la meilleure photographie de sa carrière.

The Captain chamboule le spectateur au point que certaines images laissent une trace durable dans la mémoire. Généralement, je n’aime pas les films qui se terminent en plaçant ses personnages « historiques » dans le champ du réel, de les faire évoluer dans les rues de nos jours (sur ou après le générique de fin). Cette fois-ci l’impression est dévastatrice, l’équipage de Willi roule en toute quiétude dans les rues de la ville où s’est déroulé la dernière partie de son épouvantable histoire sans la moindre réaction de la population. Attitude symptomatique d’une partie de l’opinion publique Européenne (et surtout, de ses institutions) qui laisse se propager et croître des partis ouvertement fascistes et nazis. Schwentke est un homme en colère, d’une colère saine et utile.

Fernand Garcia

The Captain – L’Usurpateur  (Der Hauptmann) un film de Robert Schwentke avec Max Hubacher, Milan Peschel, Frederick Lau, Alexander Fehling, Bernd Hölscher, Britta Hammelstein, Samuel Finzi… Scénario : Robert Schwentke. Directeur de la photographie : Florian Ballhaus. Décors : Harald Turzer. Conception artistique : Sasa Zivkovic. Costumes : Magdalena J. Rutkiewicz-Luterek. Montage : Micha Czarnecki. Musique : Martin Todsharow. Producteurs : Frieder Schlaich, PaoloBranco & Irene von Alberti. Production : FilmGalerie 451 – Alfama Films – Opus Film – Facing East – Worst Case Entertainment – Hands-On Producers – Maria Films. Distribution (France) : Alfama Films (sortie le 21 mars 2018) Allemagne – France – Pologne. 2017. 118 minutes. Noir et blanc. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement.