So Dark The Night (Une nuit de terreur) – Joseph H. Lewis

Henri Cassin (Steven Geray) est le meilleur enquêteur de la sûreté. Pour la première fois depuis 10 ans, il va prendre des vacances. Ses collègues de la préfecture de Paris se sont chargés de tout. Henri arrive à l’hôtel-restaurant du petit village de Sainte-Margo pour un repos bien mérité. Il est accueilli comme une célébrité. Tout à son métier, Henri, la cinquantaine passée, est resté célibataire. Nanette, la fille des aubergistes, voit en lui un bon parti: il est non seulement riche mais pour elle, c’est surtout la possibilité de monter à Paris et de quitter la monotonie de sa vie provinciale. Très vite leur liaison est connue de tous. La mère (Ann Codee) l’encourage mais le père (Eugene Borden) est retissant et surtout son « fiancé » Léon (Paul Marion) y est farouchement opposé. La situation idyllique se complique le jour des fiançailles… puis avec la disparition de Nanette…

Joseph H. Lewis est surtout connu pour son polar sauvage Gun Grazy, sorte de matrice du Bonnie and Clyde d’Arthur Penn. Ce chef-d’œuvre a occulté en grande partie ses autres films. So Dark The Night faisait partie des ses œuvres préférées. Ce magnifique polar est resté, pour des raisons obscures, injustement inédit en France. Sidonis/Calysta a eu la bonne idée de l’éditer en DVD ce qui nous permet de découvrir cet étonnant So Dark The Night.

 So Dark The Night est un polar de série B. Joseph H. Lewis tourne son film en vingt jours sur un plateau de la Columbia en recyclant un décor de village français qui avait été utilisé pour un film sur la Première Guerre mondiale. Avec son chef-décorateur, il le réaménage et complète les parties manquantes. Pour sa distribution, Lewis n’a que des acteurs abonnés aux seconds et petits rôles au sein du studio. L’action se déroulant en France, Lewis fait appel à des vrais français comme Micheline Cheirel (Nanette) mais aussi à d’autres acteurs venus des quatre coins de l’Europe, ce qui nous donne un vrai festival d’accents. Pour ajouter une note de « vérité », le dialogue inclut énormément de petites phrases en français ou débute en français pour se poursuivre en anglais. Tout cela donne au film un côté folklorique et cliché très hollywoodien.

So Dark The Night vaut surtout par de la mise en scène de Joseph H. Lewis. Sur un scénario gentiment habille, oscillant entre Agatha Christie, Simenon et le Dr Jeckyll et Mr. Hyde, Joseph H. Lewis va en faire une lecture d’une intelligence, qui va entraîner le film vers des hauteurs que ses scénaristes, Martin Berkeley et Dwight V. Babcock, n’avaient certainement pas envisagées. So Dark The Night débute sur un rythme de comédie musicale. Le Paris de Lewis est celui typique des studios: rues pavées, petites places, fleuriste, cireur des rues, c’est l’été, les gens sont joyaux et aimables. Henri sort de chez lui, heureux de vivre. La mise en scène de Lewis est fluide, il suit ses pas en travelling latéral et fondu enchaîné, c’est rapide et élégant. Après ses séquences parisiennes, l’action se poursuit à la campagne dans le petit village de Sainte-Margo. Immédiatement le regard d’Henri et de Nanette se croisent. Leurs destins est scellé en un plan, sans aucune ambiguïté. Ce qui suit est à l’image du village idyllique. Séquence remarquable où les deux amoureux se déclarent leurs flammes au bord d’une rivière avec un pont à l’arrière-plan. On pense plus d’une fois au cinéma de Jean Renoir (et à son père, Auguste) pour cette manière d’inclure les personnages dans la nature. Il y a dans plusieurs séquences de Lewis une réelle dimension impressionniste.

La dernière partie, que je me garderai bien de dévoiler, nous plonge dans une enquête où le métier d’Henri reprend le dessus. Lewis fait alors basculer la photographie de son film d’un naturalisme romantique vers un gothique expressionnisme. Les personnages, les lieux prennent une autre dimension, plus sombre, comme si l’horreur entrait par effraction dans ce monde. C’est un dérèglement général que met en scène Lewis. Comme si ce monde idyllique nous glissait sous les pieds. Le rebondissement final est admirablement bien préparé au cours d’une séquence superbement mise en scène. A partir de cette révélation, So Dark The Night prend une dimension assez vertigineuse digne des plus grands films du genre.

Nous n’irons pas plus loin afin de ne pas vous gâcher le doux plaisir de la découverte, ajoutons simplement que le film gagne à chaque nouvelle vision.

Fernand Garcia

So Dark The NightUne nuit de terreur est édité pour la première fois en DVD dans l’excellente collection Film noir de Sidonis/Calysta. Superbe édition spéciale avec trois interventions passionnantes et éclairantes sur le film. Bertrand Tavernier évoque sa rencontre avec Joseph H. Lewis au début des années 60. Rendez-vous qui laisse un souvenir mitigé à Tavernier et il évoque la petite histoire du film (20 minutes). Patrick Brion qui dans un premier temps a été gêné par la vision hollywoodienne de la France, trouve aujourd’hui de grandes qualités au film (12 minutes). François Guérif rencontre Joseph H. Lewis, et contrairement à Tavernier, le trouve très sympathique. Guérif revient sur quelques séquences emblématiques du So Dark The Night (10 minutes). Trois interventions qui se complètement parfaitement. Enfin cette très belle édition propose une galerie d’affiches. Un DVD indispensable à tous les amateurs de polar.

So Dark The NightUne nuit de terreur un film de Joseph H. Lewis avec Steven Geray, Micheline Cheirel, Eugene Borden, Ann Codee, Egon Brecher, Helen Freeman, Brother Theodore, Jean Del Val, Louis Mercier, Paul Marion… Scénario : Martin Berkeley et Dwight Babcock d’après une histoire d’Audrey Wisberg. Directeur de la photographie : Burnett Guffey. Décors : Carl Anderson. Montage : Jerome Thoms. Musique : Hugo Friedhofer. Producteur : Ted Richmond. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1946. 67 mn. Noir et blanc. Format image 1.37 :1. VOSTF. Tous Publics.