Salomon et la reine de Saba – King Vidor

Mille ans avant la naissance de Jésus de Nazareth. A la frontière entre l’Egypte et Israël, la discorde règne. Les soldats du roi David sous le commandement d’Adonias, prince d’Israël (George Sanders), gardent la frontière. Quand un char surgit de la nuit, c’est le prince Salomon (Yul Brynner). Il vient mettre son épée au service de son frère. Au pied de la colline, les Égyptiens se préparent à l’attaque…

« Je suis né avec le cinéma, j’ai grandi avec lui » aimait à dire King Vidor. Salomon et la reine de Saba est un peu plus que son dernier film, une immense douleur dont il ne se remettra véritablement jamais. Dans La nuit américaine, le réalisateur Ferrand qu’incarne François Truffaut est confronté à ce qu’il redoute le plus dans un tournage : la mort d’un acteur. La « chance » du double de Truffaut est que la majorité des scènes avec l’acteur (Jean-Pierre Aumont) sont en boîte, ne reste plus qu’une scène pour laquelle il utilise une doublure. King Vidor n’aura pas cette possibilité. Remontons le fil d’une histoire qui clôturera la carrière d’un des pionniers du cinéma américain.

En 1957, King Vidor vient de décliner la proposition du producteur Sam Zimbalist de mettre en scène Ben Hur. Vidor avait déjà refusé de mettre en scène la version de 1925.  Vidor ne voyait pas comment il pouvait entrer en production d’un film aussi gigantesque en deux mois ! « Si on m’avait offert six à huit mois de préparation en Californie, j’aurai réagi autrement. ». Il faut dire que Vidor sort d’une autre superproduction Guerre et paix dont le tournage en Italie l’avait tenu loin de chez lui pendant un an et demi. Guerre et Paix, produit par Dino De Laurentiis, est un triomphe en Europe, mais, mal distribué aux Etats-Unis, se ramasse au box-office. Dans ses mémoires, King Vidor y voit la main de Cecil B. DeMille, alors tout-puissant à la Paramount, dans l’échec de son film. DeMille qui venait de terminer Les Dix commandements exigea « que deux films d’une durée aussi importante (222 minutes pour Les Dix commandements et 208 minutes pour Guerre et paix) ne passent pas tous deux en exclusivité. ». Sous la pression de DeMille, la Paramount décide de réduire le film de Vidor «  un travail de boucher (.) un désastre pour mon film ». C’est dans cette période de flottement que Vidor reçoit une offre du producteur Edward Small pour diriger Salomon et la Reine de Saba. Le constat stipule que Vidor aura une année pour fignoler le scénario à Hollywood et que le tournage aurait lieu en Espagne. Surtout Small lui laisse la possibilité d’insérer dans le scénario toutes ses idées. Vidor accepte la proposition. L’enjeu pour lui est de s’éloigner le plus possible des films bibliques à la DeMille. Vidor charpente le scénario autour de Salomon et de son devoir envers son peuple « face à l’attraction sexuelle de la reine de Saba. ». Il crée une opposition entre Salomon et son frère, un militaire qui croit en guerre, contrairement à lui. Le film met en scène des conflits intimes face à la réprobation publique.

King Vidor choisit Tyrone Power pour tenir le rôle de Salomon, Gina Lollobrigida pour celui de la reine de Saba et George Sanders dans celui du frère. Arrivée en Espagne pour le tournage, la préparation bat son plein. Une telle superproduction réclame beaucoup de disponibilité pour un réalisateur, ce qui le plus souvent prend le pas sur le travail avec les comédiens. Vidor obtient un report du tournage pour se donner deux semaines de répétitions avec les comédiens afin d’effectuer les derniers ajustements du scénario. Après ce décalage, Vidor doit impérativement débuter le tournage par les scènes en extérieur y compris les scènes de bataille, nous sommes en septembre, dans la région de Saragosse et la saison des pluies approche. Vidor tourne avec Tyrone Power au milieu de l’imposante figuration composée de plus de mille militaires espagnols. Les grandes séquences en boîte, Vidor enchaîne avec Tyrone Power et Gina Lollobrigida. Tout se passe merveilleusement bien. Après les nombreuses scènes tournées en extérieur, l’équipe regagne les studios « pour compléter les scènes d’amour » entre Power et Lollobrigida.

Le drame va se produire un samedi, alors que Vidor vient d’effectuer les derniers réglages de la scène du duel entre Salomon et son frère avec des doublures, il demande à Power de se rendre sur le plateau. Sur la suite des événements, il existe plusieurs versions, laissons la parole à King Vidor : « la doublure de Ty me fut renvoyée, on me demandait s’il possible de tourner d’autres scènes parce que Ty ne se sentait pas très bien. Oui, bien sûr, j’acceptai (.) Bientôt, quelqu’un arriva de la loge de Ty, m’informant qu’il avait été conduit à l’hôpital : il allait mourir en route. » Vidor est sous le choc, Power était plus qu’un acteur pour lui, un ami. La presse s’empare de la mort de Power et monte toutes sortes d’hypothèses et les rumeurs les plus folles circulent. Malgré ce qui avait déjà été fait, il manquait encore beaucoup de scènes d’intimités entre Salomon et la reine de Saba. La décision est prise de poursuivre le tournage avec un nouvel acteur.

Ironie de l’histoire, c’est Yul Brynner, le pharaon Des Dix commandements, qui est choisi par la production. Il débarque en Espagne avec son staff à la grande surprise de Vidor. Brynner est une star qui enchaîne les succès sur scène et au cinéma. Son interprétation de Salomon diffère de celle de Power, aux déchirements intérieurs; Brynner préfère la force intérieure, la puissance sans complexité. L’acteur pinaille sur chaque phrase de dialogues. Vidor ne se retrouve pas dans cette interprétation. Lollobrigida, de son côté, devient capricieuse. Elle réclame à chaque séquence de nouveaux costumes. La fin de tournage est un calvaire pour Vidor. « Malgré tout, le film est achevé en moins d’un mois, comme l’exigeait le contrat de Yul Brynner. ».

King Vidor ne se remettra jamais de ce tournage. Le film qu’il imaginait s’est évaporé avec la disparition de Tyrone Power et pourtant le film que nous connaissons est tout à fait valable. Vidor est particulièrement dur avec Yul Brynner, jugement que nous pouvons nuancer. Il n’est pas d’un bloc comme le suggère Vidor, mais bien plus nuancé dans son interprétation. On ressent parfaitement les démons intérieurs qui le minent, sa fidélité à son peuple et son désir pour la reine de Saba. Il se retrouve dans l’impossibilité de concilier les deux. Et peut-être même que les aspérités entre Brynner et Lollobrigida enrichissent les personnages d’un sentiment d’incompréhension. D’un côté une religion monothéiste représentée par Salomon et de l’autre le paganisme pour la reine de Saba. Ce jeu donne naissance à la confrontation de deux puissances, de deux systèmes de gouvernance élimant ainsi le côté romantique que voulait privilégier Vidor, ce qui en définitif n’est pas si mal.

Salomon et la reine de Saba est une superproduction avec son lot de scènes à grand spectacle dont la célèbre attaque des Egyptiens aveuglés par la lumière sur les boucliers de l’armée de Salomon. Mais le film est aussi d’un érotisme assez osé pour la production hollywoodienne de l’époque, le bain de Gina Lollobrigida toutefois dans le sillage de celui de Claudette Colbert dans Le signe de la croix, un classique du genre, ou plus hot encore sa danse des voiles et l’orgie très chorégraphique qui s’ensuit. Il émane de Gina Lollobrigida et de Yul Brynner une grande sensualité qui fait de Salomon et la reine de Saba un couple d’amants tragiques dont la séparation finale ne peut qu’émouvoir les cœurs les plus endurcis.

Fernand Garcia

Les citations de King Vidor sont issues de La Grande parade, sa truculente autobiographie traduite par Catherine Berge et Marquita Doassans parue aux Editions Ramsay Poche Cinéma, 1986.

Salomon et la reine de Saba est édité par Sidonis Calysta pour la première fois en Blu-ray dans sa collection Grands Spectacles, en version restaurée HD. L’image est impeccable, signalons que Yul Brynner et Gina Lollobridgida se doublent dans la version française. En complément de programme, une présentation de Salomon et la reine de Saba par Patrick Brion, un film sur « la lutte de la chair et l’esprit » (10 minutes). Yul Brynner, l’homme qui devint un roi documentaire sur la star avec les témoignages de ses enfants, d’amis acteurs (Eli Wallach…) et réalisateurs (John Frankenheimer…) entrecoupé par de nombreux extraits (57 minutes). Et enfin, la bande-annonce d’époque du film (2 minutes).

Salomon et la reine de Saba (Salomon and Sheba) un film de King Vidor avec Yul Brynner, Gina Lollobrigida, George Sanders, Marisa Pavan, David Farrar, Harry Andrews, Jean Anderson, John Crawford , Lawrence Naismith, Finlay Currie… Scénario : Anthony Veiller, Paul Dudley et George Bruce d’après une histoire de Crane Wilbur. Directeur de la photographie : Fred A. Young. Costumes : Ralph Jester. Décors : Richard Day. Effets spéciaux : Alex Weldon. Montage : Otto Ludwig. Musique : Mario Nascimbene. Producteur : Ted Richmond et Edward Small. Production : Theme Pictures – United Artists. Etats-Unis. 1959. 141 minutes. Technicolor. Technirama. Format image : 2.35 :1. 16/9e. Son DTS VOSTF et VF. Tous Publics.