Le Bateau Phare – Jerzy Skolimowski

Dans les années 1950, le Capitaine Miller au passé douteux, récupère son fils Alex, un adolescent rebelle avec qui il est en conflit, des mains de la police. De retour sur le Hatteras, un bateau-phare ancré au large des côtes de Virginie, l’équipage recueille trois hommes, trois gangsters en fuite dérivant dans leur canot endommagé…

Suite à  l’échec de son dernier film, Le Succès à tout prix (Success is the best revenge, 1984) avec Michael York, Anouk Aimée, John Hurt, Michel Piccoli et déjà Michael Lyndon qui n’est autre que le fils du réalisateur, Jerzy Skolimowski part travailler aux Etats-Unis et réalise Le Bateau Phare (The Lightship, 1985) avec Klaus Maria Brandauer, Robert Duvall, William Forsythe et Michael Lyndon.

A l’instar du scénario qu’il a écrit pour le premier long métrage de Roman Polanski, Le Couteau dans l’eau (Noz w wodzie, 1962), Le Bateau Phare est un sublime huis clos maritime psychologique et philosophique qui met brillamment en scène le face à face anthologique des deux personnages principaux interprétés par les extraordinaires Klaus Maria Brandauer et Robert Duvall.

« Certains acteurs sont si bons que je n’ai pratiquement rien à faire. Robert Duvall dans Le Bateau Phare était absolument parfait quoi qu’il fasse. Nous n’avons pas eu besoin de parler. J’ai été d’ailleurs très amusé lorsque, deux ans après le tournage, un journaliste lui a demandé quel était pour lui le meilleur directeur d’acteur qu’il ait rencontré. Il a répondu qu’il avait tout appris de Jerzy Skolimowski alors que je ne l’avais pratiquement pas dirigé ! » Jerzy Skolimowski.

Inspiré d’un roman de l’écrivain allemand Siegfried Lenz, proche de l’histoire de Key Largo (1948) de John Huston avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, toujours avec une forme singulière qui lui est propre, le cinéaste reprend dans Le Bateau Phare les thématiques omniprésentes dans toute son œuvre, à savoir ici le huis clos, l’emprise, la rédemption ou encore bien évidemment la difficulté des relations père-fils avec le personnage du Capitaine Miller, magistralement interprété par le comédien Klaus Maria Brandauer (Jamais Plus Jamais (1983), Out Of Africa (1985),…) dont la ressemblance physique avec le cinéaste est troublante, et son fils Alex, interprété par Michael Lyndon, le fils de Jerzy Skolimowski.

Captivant comme rarement, le duel psychologique auquel on assiste à l’écran entre les deux personnages principaux est d’autant plus fascinant quand on sait qu’au départ les rôles des comédiens étaient inversés. En effet, c’est à la dernière minute que le cinéaste a eu l’idée géniale d’échanger les rôles de Klaus Maria Brandauer et de Robert Duvall. Ce qui n’a pas été du goût du premier qui, bien qu’il compose une remarquable interprétation tout en retenue dans le film, a tout simplement été détestable sur le plateau du tournage. Robert Duvall, quant à lui, est tout aussi formidable en gangster élégant et dans le même temps cabotin. A travers son personnage de Calvin Caspary, le criminel qui s’immisce dans l’espace confiné du navire, Robert Duvall incarne mieux que personne l’emprise.

Le Bateau Phare est un film américain. Le Bateau Phare est un film de genre. Mais Le Bateau Phare est avant tout un très beau et bon film d’auteur singulier. Fidèle à sa liberté formelle, à son inventivité, ainsi qu’à ses idées et à son cynisme sur le monde et les hommes, Skolimowski fait du bateau du film une brillante représentation du monde et prend le parti de donner au film le point de vue du jeune Alex qui observe avec distance et désillusion la médiocrité de celui-ci et celle des adultes qui le composent. Toujours existentialiste dans l’âme, le cinéaste nous dit dans Le Bateau Phare qu’on ne naît pas plus lâche qu’on ne naît héros mais qu’on le devient par le choix de nos actes. Une belle leçon de philosophie.

Présenté à la Mostra de Venise en 1985, Le Bateau Phare a remporté le Prix Spécial du Jury. Invisible depuis plus de trente ans, ne manquez surtout pas ce chef-d’œuvre de retour dans les salles.

Steve Le Nedelec

Le Bateau Phare (The Lightship) un film de Jerzy Skolimowski avec Klaus Maria Brandauer, Robert Duvall, Tom Bower, William Forsythe, Michael Lyndon, Tim Phillips, Badja Djola, Arliss Howard… Scénario : William Mai et David Taylor d’après le roman de Siegfried Lenz. Directeur de la photographie : Charly Steinberger. Décors : Holger Gross. Costumes : Nikola Hoeltz. Montage : Scott Hancock et Barrie Vince. Musique : Stanley Myers. Producteurs : Bill Benenson, Moritz Borman et Matthias Deyle. Production : CBS Theatrical Films. Distribution (France) : Malavida (Ressortie le 10 avril 2019). Etats-Unis. 1985. 89 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Son Mono. Restauration 4K par l’Atelier d’images et Malavida avec Titra Film. Tous Publics.

Jerzy Skolimowski – Invité d’honneur – Toute la mémoire du monde – 7ème édition – Festival International du Film Restauré –  Du 13 au 17 mars 2019 à La Cinémathèque Française et « Hors les murs ».