PIFFF 2018 – Jour 3

Jeudi 06 décembre 2018

Au programme aujourd’hui : Un Chef-d’œuvre immortel et un Classique australien oublié pour les Séances Cultes ; Un repas de Noël en huis-clos ; D’horribles fantômes argentins ; Une robe diabolique.

 09h30 : L’Homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man, 1957) – Etats-Unis – La Séance Culte

Suite à un passage en pleine mer dans une nappe de brouillard radioactif, exposé aux radiations, Scott Carey est confronté à un phénomène pour le moins préoccupant : il rétrécit, son corps diminue progressivement. Il flotte dans ses vêtements, puis peine à se hisser sur une chaise, atteint ensuite une taille où son chat devient une menace, où une goutte d’eau se transforme en rivière quasi infranchissable, où son environnement quotidien devient hostile. La décroissance, certes, mais à quel prix ? Quel est la place de l’Homme dans la société et dans l’univers ?

Maître incontestable de la S.F. des années 1950 qui s’inspirait des peurs et des psychoses sociétales, L’Homme qui rétrécit est le film le plus connu et reconnu du cinéaste Jack Arnold (L’Etrange créature du lac noir, Tarantula,…). L’Homme qui rétrécit ne vieillit pas et ne vieillira jamais. Aussi impressionnant par sa technicité que par l’ingéniosité de ses trouvailles visuelles pour donner vie à l’infiniment grand et l’infiniment petit (effets spéciaux sophistiqués, construction de décors et d’accessoires surdimensionnés, jeu avec les transparences et les double-expositions,…), le film s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes et marque immanquablement l’imaginaire des générations de spectateurs. Le scénario du grand Richard Matheson (auteur de nombreux romans et scénariste pour Roger Corman, Jacques Tourneur, Terence Fisher ou encore Steven Spielberg) qui adapte ici son roman éponyme, riche de péripéties improbables et haletantes, se joue avec audace de la notion même de perspective et pose de façon aussi brillante que vertigineuse des questions existentielles.

« Que l’existence ait un début et une fin est une conception de l’homme, non de la nature. Et je sens mon corps diminuer…fondre… devenir rien. Mes peurs ont disparu et à leur place est apparue l’acceptation. Cette vaste majesté de la création doit signifier quelque chose et moi-même, je signifie quelque chose aussi. Oui, plus petit que le plus petit, je signifie quelque chose aussi. Pour dieu, il n’y a pas de zéro. J’existe encore. » Scott Carey dans L’Homme qui rétrécit.

Comme en témoigne sublimement le discours du héros dans l’épilogue du film, au-delà du sensationnalisme de son sujet, refusant la pression des producteurs désireux d’un happy-end qui aurait fait perdre tout son sens et sa valeur au film, Jack Arnold s’approprie le livre de Richard Matheson et propose en sous-texte une réflexion à la fois sociale, sociologique, psychologique, philosophique, spirituelle, existentialiste et même métaphysique sur ce mal étrange qui ronge cet homme sans histoire.

Déjà dirigé par Jack Arnold dans Crépuscule sanglant (Red Sundown, 1955) et Faux-Monnayeurs (Outside the Law, 1956), c’est le comédien Grant Williams qui incarne dans le film le personnage de Scott Carey. On retrouve à ses côtés Randy Stuart, Paul Langton ou encore April Kent.

Allégorie sur la condition humaine, L’Homme qui rétrécit est un conte cruel qui nous rappelle que ce n’est pas l’homme qui domine la Nature mais bien le contraire. Immanquable joyau de la science-fiction des années 50. Chef-d’œuvre.

14h30 : Await Further Instructions – Grande-Bretagne – En Compétition – Première Française

Repas de Noël classique chez les Milgram, avec son lot de tensions à peine larvées. Des bruits métalliques se font entendre. La famille se rend compte qu’elle est bloquée à l’intérieur de la maison familiale, les portes et fenêtres obstruées par une mystérieuse matière noire. Sur l’écran de télévision, un message sibyllin : « Attendez vos instructions ».

De ce postulat qui ne dépareillerait pas dans la série Black Mirror, Johnny Kevorkian et son scénariste Gavin Williams tirent un huis-clos étouffant, aux rebondissements de plus en plus dingues, en roue arrière vers un climax qui pousse la proposition beaucoup plus loin que son concept ne le laissait supposer. Entre le thriller fantastique et le body horror sous prestigieuse influence, pourquoi choisir ? On retrouve au casting du film les comédiens David Bradley, Holly Weston, Sam Gittins ou encore Grant Masters.

 16h30 : Next of Kin (1982) – Australie / Nouvelle-Zélande – La Séance Culte – Première Française

A son décès, la mère de Linda Stevens lègue à sa fille une demeure transformée en une maison de retraite à l’allure vaguement victorienne. L’héritière débarque sur place et vaquant à ses obligations envers ses pensionnaires, elle retrouve le journal intime de sa mère et tombe sur ces quelques lignes : « Il y a quelque chose de diabolique dans cette maison, quelque chose qui y vit et respire le même air que nous ». De fait, d’étranges phénomènes en relation avec ses rêves se produisent et la terrorise. Alors qu’elle tente de comprendre et de trouver une explication logique à ce qui se passe, les morts mystérieuses commencent à s’y multiplier.

Depuis que le documentaire Not Quite Hollywood de Mark Hartley, consacré au cinéma d’exploitation australien, en avait montré quelques superbes images il y a dix ans, les cinéphiles rêvaient de voir une copie restaurée de Next of Kin (également connu sous le titre français Montclare : Rendez-vous Avec l’Horreur). Les voilà exaucés, libres de contempler cette fusion inédite entre Ozploitation et fantastique gothique, à l’ambiance feutrée et aux ralentis traumatisants. Réalisé par l’australien Tony Williams, l’injustement méconnu Next of Kin témoigne du moment de gloire qu’a connu le cinéma fantastique australien au début des années 1980 après la vague des films de Peter Weir dans les années 1970 (Les Voitures qui ont mangé Paris, Pique-nique à Hanging Rock, La Dernière Vague,…) avec entre autres Harlequin de Simon Wincer, Le Survivant d’un Monde Parallèle de David Hemmings ou encore Razorback de Russell Mulcahy et bien évidemment Mad Max de George Miller.

Avec ses silhouettes inquiétantes, les comportements étranges de ses personnages, son angoissante musique signée Klaus Schulze, son utilisation des couleurs et des ralentis et surtout l’incroyable interprétation de Jacki Kerin, son actrice principale, Next of Kin est un film qui privilégie l’ambiance et l’atmosphère aux effets tape-à-l’œil. A noter que le film a reçu le Grand Prix du jury au Festival du Cinéma Fantastique de Paris en 1983.

19h15 : Terrified (Aterrados) – Argentine – En Compétition

Quand il y a quelque chose de bizarre dans le quartier, qui appelle-t-on ? Allbreck, Jano et Rosentock, les chasseurs de fantômes sommés de comprendre le Mal qui gangrène Buenos Aires comme notamment pourquoi un bambin récemment décédé dans un accident s’en revient finir sa décomposition à la table du petit déjeuner. Prélude traumatisant à une série d’événements d’outre-tombe…

Dans le registre du film horrifique à caractère spectral, Terrified est un nouvel exemple qui témoigne de la forte présence du cinéma de genre en Argentine. Pour sa première incursion dans le genre et la création de son atmosphère morbide et crépusculaire, l’influence des choix esthétiques du réalisateur Demian Rugna penche manifestement du côté de la création espagnole et du cinéma indépendant américain. Inventif, intelligent et maîtrisé, Terrified est comme un tour dans un train fantôme doublé de montagnes russes avec son grand huit. De quoi se relever la nuit, juste pour vérifier que rien ne rampe sous son lit.

21h15 : In Fabric – Grande-Bretagne – Hors Compétition – Première Française

La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassiers. Une robe rouge, superbe, et aussi maudite qu’une maison bâtie sur un cimetière indien. Passant de personne en personne, de corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent(e)s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.

En bon cinéaste fétichiste fasciné par le giallo, il était tout naturel que Peter Strickland, après les somptueux Berberian Sound Studio et The Duke of Burgundy, s’abandonne à une exploration du frôlement des étoffes sur la peau, à la façon dont la compulsion de consommation dévore ses victimes. Il s’y livre avec son exigence plastique coutumière et, grande première dans son cinéma, avec humour. Le génial Julian Barratt trouve ici un rôle à la mesure de son allant sardonique. On retrouve aux côtés de ce dernier Marianne Jean-Baptiste, Gwendoline Christie, Hayley Squires… Invités du Festival, le réalisateur Peter Strickland et le producteur Andy Starke seront présents lors de la projection du film.

Steve Le Nedelec