Paul Verhoeven (I)

Un peu plus de cinq ans après avoir été le prestigieux « Parrain » de la 4ème édition du Festival Toute la mémoire du monde en 2016, le sulfureux et iconoclaste cinéaste Paul Verhoeven, enfant terrible du cinéma européen, est de retour à la Cinémathèque Française à l’occasion de la rétrospective intégrale que cette dernière lui consacre.

Auteur d’une œuvre remarquable, à la fois singulière, « commerciale » et provocatrice, Paul Verhoeven, a aussi bien connu des succès phénoménaux que des échecs cuisants au cours de sa carrière en dents de scie. Dans l’impressionnante filmographie en apparence hétéroclite de sa carrière, Verhoeven alterne les genres avec une aisance, une intelligence et une intégrité qui forcent d’autant plus le respect et l’admiration que celle-ci se situe principalement dans trois pays situés sur deux continents différents et à trois époques bien distinctes. Tout au long de sa carrière, que ce soit aux Pays-Bas comme aux Etats-Unis et aujourd’hui en France, il n’a eu de cesse d’éviter, tant que possible, les « concessions » que lui ont imposées les différentes institutions (politiques, sociales, économiques,…) qui ont voulu le brider, le censurer. Anticonformiste, Paul Verhoeven est un artiste libre à l’humour cynique qui explore la condition humaine et cherche à montrer le réel, le sexe et la violence tels qu’ils sont sans avoir à faire de concession, quitte à le montrer crûment et aller à l’encontre de la dictature de la bien-pensance, quitte à choquer l’inculte comme le bourgeois, quitte à provoquer le malaise ou le scandale en faisant voler en éclat l’hypocrisie générale qui règne dans nos sociétés avec ironie. La diversité des films et des chefs-d’œuvre qui composent son impressionnante filmographie témoigne de la richesse de son univers et de son œuvre.

« Beaucoup des idées que vous voyez dans mes films sont très intuitives. Les choses s’expriment d’elles-mêmes par le simple fait que vous montrez dans un film, sans même le vouloir, la personne que vous êtes. Si on était entièrement conscient de toutes les décisions qu’on prend quand on fait un film, ça ne serait plus tout à fait de l’art. Ce serait un pur jeu intellectuel. Je n’essaie pas de prouver quoi que ce soit. La manière dont je procède est beaucoup plus organique. » L’Ironie est un art perdu, entretien avec Paul Verhoeven, Cahiers du cinéma n°715, octobre 2015

Né en 1938 à Amsterdam aux Pays-Bas, Paul Verhoeven effectue d’abord des études de mathématiques et de physique puis, fasciné par la peinture et le mouvement surréaliste, il va suivre des cours de peinture avant de découvrir sa vocation de cinéaste lors de ses études à l’université de Leiden où il réalise plusieurs courts métrages. On remarquera que les films de sa période hollandaise auront tous un rapport avec la peinture…

Verhoeven a grandi après la guerre avec les films américains et a fortement été influencé à l’adolescence par les films de la Nouvelle Vague (Les Quatre Cents Coups, 1959, de François Truffaut, A Bout de Souffle, 1960, de Jean-Luc Godard ou encore Hiroshima mon amour, 1959, d’Alain Resnais) qui lui ont montré qu’on pouvait concevoir et faire du cinéma d’une autre façon. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que les films étaient des œuvres d’art. ». Ont également beaucoup compté dans sa vie, la découverte du cinéma de Fellini avec La Dolce Vita (1960) et 8 ½ (1963) et de celui d’Alfred Hitchcock avec Vertigo (1958), Fenêtre sur Cour (1954), Psychose (1960), et La Mort aux trousses (1959), qui seront pour lui de véritables chocs. Dans nombre de ses films, de Spetters à Black Book avec son héroïne qui change de couleur de cheveux, en passant bien évidemment par Basic Instinct ou encore Showgirls, Verhoeven utilise l’image de la femme fatale en s’inspirant du cinéma d’Hitchcock.

« J’ai très clairement conscience du rôle que joue Hitchcock dans mes films, parce que j’admire son travail et toutes les œuvres qu’il a réalisées. J’ai dû voir « Sueurs Froides » une trentaine de fois, c’est l’un de mes films préférés. « Sueurs Froides » joue dans « Black Book », tout comme dans « Basic Instinct », un grand rôle. La transformation féminine telle qu’Hitchcock l’a conçue m’a toujours fasciné. » Nathan Réra, « Au jardin des délices : entretiens avec Paul Verhoeven, Ed. Rouge Profond, 2010.

Lors de son service militaire au sein de la Royal Netherland Navy, à la demande de l’armée, il réalise des documentaires. Sa formation scientifique et artistique est déjà comme la genèse de la singularité de l’univers de son œuvre marquée à la fois par un réalisme cru, un naturalisme évident, un violent cynisme et une vision sans concession du passé, du présent comme du futur. Il travaille ensuite pour la télévision où il réalise des documentaires et surtout Floris, un feuilleton télé, une série d’aventures, un conte médiéval se déroulant au Moyen-Âge dans lequel on découvre celui qui sera son acteur fétiche, son double cinématographique, son alter-ego à travers lequel il s’exprimera durant la première partie de sa carrière, Rutger Hauer. Floris connaitra un tel succès qu’il donnera à Verhoeven la possibilité de passer au cinéma. Ça a été un bon tremplin pour sa carrière mais juste une étape pour son auteur afin de parvenir à faire ce qu’il a toujours voulu faire, réaliser des films pour le cinéma.

En 1971, après avoir vu son court métrage Le Lutteur, le producteur Rob Houwer proposera à Paul Verhoeven de réaliser son premier long métrage, Qu’est-ce que je vois ? (Wat Zien Ik, 1971) rebaptisé Business is Business, une comédie de mœurs « coquine » dont les héroïnes sont deux prostituées à Amsterdam, et qui, en satire de la bourgeoisie hollandaise, annonce à la fois son style outrancier, son humour et ses obsessions. Alors que la révolution sexuelle traverse le pays, Business is Business sera un énorme succès populaire au Pays-Bas.

Deux ans plus tard, considéré par le réalisateur comme son véritable premier film, l’intense et tragique Turkish Delices (Turkish Delights, Turks fruit, 1973) son second film, est un énorme succès international et sera nommé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger. Dans ce mélodrame provocant et érotique Verhoeven, influencé par la Nouvelle Vague dans son esthétique, son découpage et dans l’attitude des personnages complètement dépourvus de morale, traite déjà au scalpel la passion sexuelle, l’obsession et le fantasme. Son style et ses thématiques sont posés. Racontant l’histoire située au début des années soixante-dix, d’un artiste sculpteur anti-bourgeois d’Amsterdam qui s’éprend et vit un amour passionné avec une jeune fille issue de la petite bourgeoisie hollandaise, Turkish Delices marque la première collaboration au cinéma entre le cinéaste et le comédien Rutger Hauer qu’il dirigera à quatre autres reprises.

Toujours produit par Rob Houwer, Paul Verhoeven poursuit sa carrière aux Pays-Bas en réalisant ensuite Katie Tippel (Katty Typpel, Keetje Tippel, 1975), l’adaptation d’un roman naturaliste et autobiographique de l’autrice néerlandaise Neel Doff situé au XIXe siècle et racontant l’histoire d’une jeune fille pauvre qui s’installe avec sa famille dans les faubourgs d’Amsterdam et devra se prostituer avant de connaître une ascension sociale.

Magnifique portrait de femme ambivalent qui montre l’humiliation et la déchéance de manière frontale, Katie Tippel (« tippel » veut dire « tapineuse ») est un film qui, dans son discours sur l’asservissement enduré par les femmes, est précurseur des combats de notre époque.

Puis, en 1977, Le Choix du destin / Soldier of Orange (Soldaat van Orange), une histoire de Résistance antihéroïque à la forme plus Hollywoodienne qu’Européenne inspirée du best-seller international des mémoires d’Erik Hazelhoff Roelfzema, écrivain néerlandais devenu pilote de la Royal Air Force durant la Seconde Guerre mondiale. Soldier of Orange raconte l’histoire de six étudiants de l’université de Leyde qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, vivent dans l’insouciance. Mais le conflit va changer leur vie de façon radicale, entre ceux qui choisiront la résistance et ceux qui opteront pour la collaboration. L’action du film se déroulant en Hollande pendant la seconde guerre mondiale, période de l’Histoire qui intéresse particulièrement Verhoeven, Soldier of Orange compte également beaucoup pour le cinéaste car il est adapté d’une histoire vraie qu’il a vécu enfant. Soldier of Orange est un film à part dans la filmographie hollandaise du réalisateur tant il semble « sage », tant son aspect semble plus conventionnel. Certes l’ironie du cinéaste et la représentation de la sexualité et du corps y sont bien présentes mais moins directement. Avec un budget qui en fait pour l’époque le film le plus cher jamais réalisé aux Pays-Bas, Soldier of Orange est conçu pour un plus large public. Soldier of Orange et son succès ouvriront les portes d’Hollywood à son comédien Rutger Hauer qui partira y faire carrière avant Verhoeven qui, lui aussi, sera soutenu et invité à Hollywood par Steven Spielberg.

Steve Le Nedelec

Rétrospective Paul Verhoeven du 14 juillet au 1er août à la Cinémathèque Française.