Titane – Julia Ducournau

L’introduction nous présente une petite fille, Alexia, en conflit avec son père. Dans l’habitacle de la voiture, la tension est palpable, mais l’origine de ce ressentiment reste soigneusement hors- champs, laissant le spectateur libre de son interprétation. Il roule à toute berzingue et c’est l’accident inévitable. Une plaque de titane rivé dans la boîte crânienne et la gamine sort de l’hosto, sous le regard coupable du père. Aucun doute n’est permis le père « biologique » est responsable du ou des traumatismes de cette pauvre gamine. Ça embraye vite et le temps passe les étapes. La fille est grande et tatouée, punk de salon en crise d’adolescence. L’atmosphère familiale est pesante, la séparation d’avec le père est consommée, la parole s’éteint et le mépris se pose en points mort de cette famille de petits bourges. La fille communique encore avec la mère sûrement par un effet de compassion en boîte automatique. En rupture avec son milieu, la grande fille (qui vit toujours chez papa et maman) bosse comme danseuse dans les temples de la masculinité, les conventions de bagnoles optimisées. Alexia, lascive et provocante sur le capot d’une Cadillac « enflammé », enclenche le starter du désir autant chez les bas de plafonds qu’auprès de sa collègue, Justine (ah les malheurs de la vertu, où le doux susurrement libertaire laisse place au vrombissement d’un retourne en enfer Sade !).

Evidemment, Titane nique pas trop. Poursuivie par un fan, elle est victime d’une agression sexuelle (il ne peut en être autrement dans les relations homme/femme dans le cinéma actuel). Elle le tue avec un pique (en métal) à cheveux. Julia Ducournau déploie alors sa véritable carte routière : une charge contre la sexualité. Le No sex se substitue au No future. L’ « idéologie » du Slasher année 80, le sexe hors mariage = la condamnation à mort directe, récupérée et inversé de l’hétérosexualité vers le transgenre d’abstinence (rien que ça). Titane, ange exterminateur, piston armé de la punition enclenchée contre l’ancien Monde. Elle massacre à tout-va les jeunes qui s’adonnent encore à l’amour physique. L’amour est un chien de l’enfer tatoué entre ses seins, absorption à contresens de Charles Bukowski. Qu’importe. Elle franchit la ligne séparant l’Ancien du Nouveau dans l’ivresse du sang (de ceux qui n’ont pas encore compris, la nouvelle donne politique). Encloquée (par insémination mécanique) dans une Cadillac, vierge et future mère, elle entame son chemin de croix vers l’acceptation de sa différence et la sainteté. L’élimination des parents, par le feu, ses chiens de l’enfer, est étape libératrice (des valeurs et des normes) qui clôt cette première partie de fureur et de violence.

Libérée d’un lourd poids psychologique, elle n’a plus qu’à se (re)construire une conduite / identité. Cela tombe bien, un chef pompier en mal(e) de paternité, après la disparition de son fils (certainement une fugue, puisqu’il est impossible de vivre avec ses parents), et séparé de sa femme, l’adopte comme garçon. Alexia devient Adrien et (re)plonge dans l’univers de masculinité. Alexia/Adrien dans un entre-deux indéfini, ni femme ni homme, mais un corps enceint qui suinte l’huile de vidange comme les robots (affiches, figurines…) qui pullulent dans le décor. Sa propre customisation est en marche avant. Le chef pompier l’accepte et c’est l’amour (qui n’est plus un chien de l’enfer) qui consume les barrières et réduit en cendres les secrets de famille (vestige de l’ancien Monde, il va de soi). Ah l’amour ! L’amour qui accepte l’autre, le chéri, le cajole, la violence s’estompe face à tant de sentiments positifs. Alexia/Adrien abandonne la violence et accepte le chef pompier (dinosaure du siècle passé) parce que lui-même l’accepte pour ce qu’elle-il est. La famille de demain est celle que l’on se choisit par un effet de cooptation et non celle biologique (beurk, cette intolérable valeur des temps obscures d’avant la révélation).

Enfin réconforté, l’être venu d’ailleurs, achève sa rédemption en extrayant du tunnel de la mort, une vieille dame. Transcendé Sainte Nitrate donne naissance (avec l’aide du son nouveau père) à un être nouveau, né d’aucun père ni d’aucune mère (?) 100 % produits affiliés à l’industrie de consommation de masse et dominante (la voiture étant le premier échelon du capitalisme moderne, lui aussi en voie de transformation du thermique (mécanique) vers l’électrique (et son aseptisation nickel)). Le bonheur est devant nous.

On reste tétanisé devant un tel chapelet de bontés, de l’acceptation de l’autre, avec Bach à fond les enceintes afin d’entériner ce nouvel évangile que conclut un fondu au blanc explicite sur les intentions. Titane ingurgite des pans entiers de films de genre, de culture populaire, des Cronenberg, Miike, Tsukamoto, Carpenter, Pasolini, d’Enfer mécanique jusqu’à un final Génération Proteus, de la littérature SF, Williams S. Burroughs et compagnie, de la mouvance cyberpunk, des mangas pour aboutir à une mélasse huileuse d’un conformisme gluant à l’opposé de ses créateurs et de ses œuvres. Les pauvres chevaux fiscaux de Titane s’échinent à pousser la mécanique vers un avenir de compassion béate, de la victoire du « bien » et surtout de l’aplatissement jusqu’à la normalisation de la subversion. Titane carbure à l’ordre moral d’une reprise en main genre film de nonne.

Fernand Garcia

Titane, un film de Julia Ducournau avec Vincent Lindon, Agathe Rousselle, Garance Marillier, Laïs Salameh, Mara Cisse, Marin Judas, Bertrand Bonello, Céline Carrère… Scénario : Julia Ducournau avec la collaboration de Jean-Christophe Bouzy, Jacques Akchoti et Simonetta Greggio. Image : Ruben Impens. Décors : Laurie Colson, Lise Péault. FX : Mac Guff Ligne. Montage : Jean-Christophe Bouzy. Musique : Jim Williams. Coproducteur : Jean-Yves Roubin, Cassandre Warnauts. Producteur : Jean-Christophe Reymond. Production : Kazac Productions. Coproduction : Frakas Production – ARTE France Cinéma – Canal + – Ciné + – VOO – BeTV – Wild Bunch International. Diaphana Film, le soutien du CNC – Fondation GAN pour le cinéma – Région Ile-de-France – Région PACA… Distribution (France) : Diaphana distribution (Sortie en salles le 14 juillet 2021). France – Belgique. 2021. 108 minutes. Couleur. Format image : 2,35 :1. Son : 5.1. Interdit aux moins de 16 ans. Palme d’Or – Festival de Cannes, 2021.