Ogre – Arnaud Malherbe

Fuyant un passé douloureux, Chloé démarre une nouvelle vie d’institutrice dans le Morvan avec son fils Jules, 8 ans. Accueillie chaleureusement par les habitants du village, elle tombe sous le charme de Mathieu, un médecin charismatique et mystérieux. Mais de terribles événements perturbent la tranquillité des villageois : un enfant a disparu et une bête sauvage s’attaque au bétail. Jules est en alerte, il le sent, quelque chose rôde la nuit autour de la maison…

Après avoir réalisé de nombreux courts-métrages, séries et unitaires pour France télévision ou Arte dans lesquels il a dirigé des comédiens comme Fred Testot, Jonathan Zaccaï, Clovis Cornillac, Olivier Gourmet et Marine Vacth, Arnaud Malherbe signe avec Ogre, son premier long métrage cinématographique qu’il a porté en lui durant plus de dix ans et qu’il tenait absolument à réaliser pour le grand écran.

 « Ogre était un titre de travail, et… nous l’avons gardé ! J’aimais le fait qu’il soit direct et qu’il « claque » sur le plan sonore. Qu’il fasse peur et rêver. Comme les contes de notre enfance. » Arnaud Malherbe.

Né de la résurgence des fantasmes et des sensations, probablement réactivés par les terreurs nocturnes de ses propres enfants, de l’enfance du réalisateur qui a grandi à la campagne et a très tôt développé une relation étroite à l’obscurité et aux bruits nocturnes, Ogre est un conte fantastique qui utilise la beauté et la puissance à la fois terrifiante et salvatrice de la nature, mettant en scène un enfant, Jules, à un moment charnière de sa vie. Le moment où ce dernier va combattre ses peurs et s’émanciper en s’affranchissant du lien fusionnel qu’il a avec sa mère Chloé.

Avec la figure inquiétante de l’ogre au milieu de la forêt qui menace les enfants d’un village comme métaphore des violences intrafamiliales, Ogre emprunte les codes du conte classique qu’il transpose dans une réalité rurale et sociale actuelle.  Principalement axé sur la relation triangulaire entre la mère, l’enfant et le monstre, nourris de multiples références de notre inconscient collectif (Pierre et le Loup, Les Oiseaux, Hansel et Gretel, Le Petit Chaperon rouge…), le scénario du film, co-écrit avec Sebastian Sepulveda, ne laissent rien au hasard et ancrent le récit dans un quotidien réaliste et vraisemblable pour mieux faire surgir le fantastique : Nouvelle institutrice de l’école du village, Chloé est au centre de l’univers des enfants ; malentendant, Jules a développé d’étranges rapports avec la nature et les oiseaux en particulier ; l’utilisation du manga comme mise en abyme de l’histoire ; maigre et affamé l’incarnation de l’ogre va à contre-courant de l’imagerie populaire ; …

Tourné en format Scope, proche des personnages, des corps et des sensations, et dans le même temps témoignant de l’imposante et oppressante nature qui constitue le principal décor du film, organique et précise, la mise en scène d’Arnaud Malherbe parvient à concilier de manière saisissante l’invisible et l’immense. Le sujet de la peur du noir impose évidemment de nombreuses séquences nocturnes et oriente également l’esthétique non seulement visuelle mais encore sonore du film. Très travaillée dans les détails et la photographie (ombres, noirs profonds, saturation de soleil, couleurs, silhouettes,…) signée de la cheffe-opératrice Pénélope Pourriat, pour appuyer et répondre au scénario mais également pour lui donner des allures d’illustrations de conte, l’esthétique à la fois angoissante et poétique de Ogre permet au réalisateur de jouer sur les différents niveaux de lecture du film mais aussi de laisser volontairement planer l’ambiguïté pour le spectateur sur la réalité ou non de ce qu’il voit. Le spectateur est-il témoin d’évènements réellement fantastiques ? Un ogre dévoreur d’enfants sévit-il vraiment dans le village ? Ou est-il le témoin de la réalité fantasmée de l’enfant ?

Du fait du handicap du jeune Jules qui dans l’histoire est malentendant et porte un appareil auditif, le son tient lui aussi une place importante dans Ogre. Qu’entend-t-il ou comment entend-t-il lorsqu’il coupe son appareil pour s’isoler du monde ? Véritable cœur battant du film, le design sonore créé par l’ingénieur du son Vincent Piponnier et son équipe pour effectuer le traitement de la perception auditive très particulière de l’enfant est époustouflant car il vient en quelque sorte traduire le silence. Composée par Flemming Nordkrog, l’envoûtante et délicate bande originale est en parfaite harmonie avec les ambiances sonores et visuelles du film.

 De la peur à la douceur, du spectaculaire à l’angoisse psychologique irrationnelle la plus intime, Ogre est un film de genre ludique à l’image de l’intensité des émotions que vivent les enfants encore en construction d’eux-mêmes.

Incarnés par des comédiens remarquables que l’on sent à l’écran très investis, les personnages sont tous incroyablement bien développés et crédibles. Le personnage de Chloé qui cherche à fuir un compagnon violent et à reconstruire sa vie avec son fils est interprété par la comédienne Ana Girardot que l’on a pu voir entre autres à l’affiche de Simon Werner à disparu (2010) de Fabrice Gobert, La Prochaine fois je viserai le cœur (2014) de Cédric Anger, Un Homme idéal (2015) de Yann Gozlan, Saint Amour (2016) de Benoît Delépine et Gustave Kervern, Soleil Battant (2017) de Clara et Laura Laperrousaz, ou encore Ce qui nous lie (2017) et Deux moi (2019) de Cédric Klapisch.

 Le film épousant en grande partie le point de vue de l’enfant, le personnage de Jules est très important dans l’histoire. Après plusieurs mois de casting, le choix du réalisateur s’est arrêté sur le jeune Giovanni Pucci qui avait déjà une « expérience professionnelle ». Sa prestation est impressionnante.

La qualité de jeu, la prestance naturelle et le physique ambivalent, pouvant autant charmer qu’inquiéter, de Samuel Jouy le rendent parfait dans le rôle de Mathieu, le médecin de campagne. Samuel Jouy a entre autres joué dans Du bleu jusqu’en Amérique (1999) de Sarah Lévy, Un Français (2014) de Diastème, Burn Out (2017) de Yann Gozlan, Rebelles (2018) de Allan Mauduit ou encore Le Lion (2019) de Ludovic Colbeau-Justin.

Dans la lignée des récents films français comme La Nuée (2020) de Just Philippot ou Teddy (2021) de Ludovic et Zoran Boukherma, avec Ogre, dont l’action s’inscrit dans la région du Morvan, Arnaud Malherbe emploie le genre pour traiter et dénoncer des sujets sociaux et sociétaux contemporains. En effet, Ogre est une œuvre audacieuse et étonnante qui, à travers sa dimension « fantastique », nous parle de notre société démographique, de « notre » politique socioculturelle et du profond déséquilibre qu’elle engendre entre l’urbanisation des villes et l’effrayante désertification des villages de campagne qu’on abandonne et laisse mourir dans la plus grande indifférence. Derrière son image de conte, intemporel et universel, Ogre utilise brillamment les forces archaïques qui nourrissent notre imaginaire pour nous parler des comportements des individus et de leurs conséquences, pour nous sensibiliser sur nos choix de vie et l’avenir compromis de nos campagnes.

Ogre vient confirmer que le cinéma de genre est loin d’être une niche mais bien du cinéma à part entière. Ce qu’il a toujours été. Alors, arrêtons une bonne fois pour toute de préjuger des attentes du public et du goût des autres pour justifier le fait qu’on ne veut pas programmer un film dans les salles parce qu’il ne ressemble pas au dernier (mauvais) film qui a fait des entrées. Ces préjugés ne font que révéler un manque de curiosité, un manque de courage, un manque de goût, un manque de professionnalisme. Comme le goût est le reflet de la culture, on a les goûts de sa culture. Ces préjugés ne font que révéler le manque de culture de celles et ceux qui occupent les postes clés, dans le privé comme le public, des « décideurs » dont va dépendre la carrière et la vie d’un film mais qui ne sont en fait animés que de velléités de « travailler » dans le secteur cinématographique. Ces préjugés ne font que témoigner de leur incompétence dangereuse pour la création et l’avenir du cinéma. Pour celles et ceux qui n’ont pas de culture cinématographique qui remonte avant les années 2000, sachez que l’histoire du cinéma témoigne du fait que les films dit « de genre » s’avèrent fréquemment être des films d’auteurs et des succès populaires qui, pour beaucoup, sont devenus des classiques incontournables. C’est pourquoi il est important de souligner ici le courage, l’engagement et le professionnalisme des producteurs (Gloria Films Production et 2.4.7 Films) et du distributeur (The Jokers) de Ogre.

Singulier et maîtrisé, Ogre est le premier film très réussi d’un cinéaste talentueux à suivre. Riche en thématiques sociales et psychologiques symbolisées par une imagerie fantastique, Ogre apporte une bouffée d’air frais dans la production du cinéma français. Ogre est un film pour toute la famille et est incontestablement à voir en salle sur grand écran !

Ogre a été présenté au Festival de Deauville ainsi qu’au Festival du Film Fantastique de Gérardmer.

Steve Le Nedelec

Ogre un film d’Arnaud Malherbe avec Ana Girardot, Giovanni Pucci, Samuel Jouy, Albertine Rivière, Yannick Mazzilli, Hubert Delattre, Fabien Houssaye… Scénario : Arnaud Malherbe et Sebastian Sepulveda. Adaptation et dialogues : Arnaud Malherbe. Image : Pénélope Pourriat. Décors : Laure Girardeau et Antoine Rivière. Costumes : Valérie Araguës. VFX : Digital District & l’Atelier 69. Production et supervision VFX : Alexis Vieil et Arnaud Leviez. Maquillage VFX : Olivier Afonso et Cyril Hipaux. Montage : Floriane Allier. Musique : Flemming Nordkrog. Producteurs : Laurent Lavolé, Marc-Antoine Robert et Xavier Rigault. Production : Gloria Films Production – 2.4.7. Films. Distribution : The Jokers – Les Bookmakers (sortie le 20 avril 2022). France. 2019-21. 103 minutes. Couleur. Format image : 2,35:1. Festival de Deauville, hors compétition. Festival de Gerardmer 2022. Tous Publics avec avertissement.