Moonlight (I) – Barry Jenkins

Après avoir grandi dans un quartier difficile de Miami, Chiron, un jeune homme Noir tente de trouver sa place dans le monde. Moonlight évoque son parcours, de l’enfance à l’âge adulte.

Huit ans après Medicine For Melancholy, le premier et précédent long métrage du réalisateur salué par la critique lors de sa sortie aux Etats-Unis mais malheureusement resté inédit en France, Barry Jenkins revient en signant le bouleversant et magnifique récit initiatique en trois chapitres d’un jeune homme sur une vingtaine d’années.

Avec un indéniable soin apporté à l’écriture de ses dialogues et de son scénario évoquant les rapports entre un jeune garçon qui affronte les brimades et la toxicomanie de sa mère, et un dealer qui, avec le soutien de sa petite amie, devient son père de substitution, le cinéaste aborde avec finesse et retenue des sujets comme l’appartenance communautaire, la masculinité, la famille et les origines sociales, l’homosexualité, ou plus précisément, la sexualité et l’amour. Moonlight est une émouvante quête d’identité transcendée par l’élégance de la forme et l’empathie évidente du réalisateur pour ses personnages. Le traitement du film, la structure claire et simple du récit, le montage poétique et l’angle d’approche du personnage de Chiron désamorcent avec une intelligence rare les clichés et écueils du genre. Loin des carcans communautaristes, Moonlight ne raconte pas l’histoire d’une énième descente aux enfers mais bien celle d’une renaissance au monde et à soi. Le cinéaste, véritable virtuose, dépeint l’intimité des émotions pour mieux nous plonger au cœur même des sentiments humains. En parlant de l’intime, avec Moonlight Jenkins touche à l’universel. C’est sans misérabilisme mais sans édulcorer pour autant son propos que le cinéaste rend compte ici avec beaucoup de poésie de la construction d’un homme qui se fabrique tant bien que mal une image en réaction aux déconstructions (violences et agressions aussi bien physiques que psychologiques) qu’il a connu (subi) lorsqu’il était enfant. La dimension universelle des thèmes abordés dans le film transcendent son contexte particulier pour toucher chacun d’entre nous au plus profond de notre être. Qui n’a jamais ressenti le sentiment d’être différent, incompris, isolé ou empêché ?

Né dans le cadre d’une école d’art dramatique, c’est le dramaturge Tarell Alvin McCraney, originaire de Miami et membre de la troupe théâtrale Steppenwolf, qui, en écrivant la pièce autobiographique In Moonlight Black Boys Look Blue, a eu l’idée de Moonlight qui en est l’adaptation cinématographique. Grâce à sa trilogie Brother/Sister qui se déroule dans une cité de la Louisiane, McCraney s’est imposé comme un auteur majeur de la communauté noire. Par l’intermédiaire d’un membre du Borscht Festival, Jenkins avait déjà lu  le texte de McCraney et avait été touché par la manière très personnelle dont il racontait sa jeunesse à Miami.

« Tarell avait formidablement évoqué le calvaire des jeunes Noirs qui grandissent dans les cités de Miami. J’y ai vu l’occasion de m’inspirer de mes propres souvenirs d’enfance, en les relatant par le prisme du magnifique regard de Tarell. Son histoire correspond assez bien à la mienne. C’était donc une rencontre idéale. » Barry Jenkins.

Profondément émus par le script de Moonlight, les producteurs Jeremy Kleiner et Dede Gardner se sont rapprochés de Barry Jenkins peu de temps après la sortie de Medicine for Melancholy et c’est au festival de Telluride, en 2013, que leur collaboration sur le film s’est concrétisée. Plan B Entertainment (la société de production de Brad Pitt co-présidée par Kleiner et Gardner) présentait 12 Years a Slave de Steve McQueen au festival et il se trouve que Jenkins animait un débat avec le réalisateur après la projection.

« L’écriture était magnifique et, comme son film précédent, il possédait une grande élégance et simplicité dans sa construction », déclare Kleiner.

Tout comme McCraney, le réalisateur Barry Jenkins est lui-même originaire de Miami et a grandi dans la même cité violente de Liberty City où se déroule l’essentiel du film et où crimes et délits font partie du quotidien. Jenkins et McCraney ne se connaissaient pas quand ils étaient enfants mais ils ont vécu une adolescence comparable. Ils ont fréquenté la même école et le même collège et sont devenus tous les deux artistes. Deux artistes qui s’inspirent de leur vécu et dont les œuvres sont habitées par des thèmes communs comme l’identité, la communauté et la masculinité. Ils ont également tous les deux grandi auprès d’une mère toxicomane. La mère de Jenkins a surmonté sa toxicomanie tout en restant séropositive pendant 24 ans, tandis que celle de McCraney a fini par mourir du Sida. Le fait qu’ils aient tous les deux appartenu à cette communauté accroît immanquablement le côté brut et cru de cette réalité sociale et politique que le cinéaste transcende avec l’émotion qu’il fait naître par la maîtrise de son style singulier et une sensibilité inouïe.

La ville de Miami, pour de multiples raisons, tient une place importante dans cette histoire. Elle est incontestablement un personnage à part entière dans Moonlight. La métropole de la Floride joue en quelque sorte ici son propre rôle et exprime dans le même temps les sentiments et le ressenti des personnages.

Barry Jenkins et son équipe ont tourné dans le quartier de Liberty Square qui fait partie de la cité de Liberty City. Celui-ci a la triste réputation d’être l’une des zones les plus dangereuses des États-Unis. Pour Jenkins, il était essentiel de restituer la beauté du milieu où, adolescent, il s’est construit, tout comme celui-ci façonne la personnalité de Chiron. De plus, il était également essentiel pour le réalisateur de montrer la solidarité qui unit les personnes qui vivent dans cette cité.

« Liberty City est l’un des quartiers les plus déshérités de Miami, mais ce qu’on voit dans le film, ce sont ses couleurs chatoyantes. Tous les immeubles sont peints dans des teintes pastel de bleu, rose et orange. Ils n’ont pas été rénovés depuis 40 ans mais les couleurs tiennent toujours. Moonlight aborde des sujets graves, mais je tenais à dépeindre l’éclat inattendu de ce quartier, surtout lorsqu’il est éclairé par la lumière propre à Miami » déclare le cinéaste.

« C’est une ville unique au monde et c’est le seul endroit que je connaisse sans pouvoir le décrypter. Miami souffre des innombrables difficultés qui frappent l’Amérique, mais elle semble hors du temps car, le plus souvent, c’est un paradis sur terre. On ne peut pas vraiment se retrouver enfermé dans la routine du quotidien quand il fait bon et chaud en permanence et qu’on est environné de palmiers ! Il y a aussi une dimension atemporelle propre à cette ville qu’on retrouve dans Moonlight. On y ressent toutes les émotions caractéristiques de Miami, sans que le réalisateur ait omis d’évoquer sa luxuriance » explique à son tour McCraney.

Sur le plateau de tournage de Moonlight, Barry Jenkins a travaillé avec le chef-opérateur James Laxton qui n’a pas son pareil pour capter et restituer à l’écran les fantastiques couleurs de Miami et la chaude lumière spécifique à la Floride qui éclaire ici les personnages et les scènes de façon si singulière. Son talentueux travail révèle également toute la poésie que contiennent les visages des comédiens.

« À Miami, on a l’impression qu’un millier d’univers différents se télescopent. Les influences des Caraïbes et de Cuba se mêlent aux traditions sud-américaines ; les plus fortunés côtoient les plus pauvres ; et même les couleurs vives utilisées pour peindre les maisons et les immeubles sont spécifiques à la ville. En outre, le climat tropical favorise une végétation omniprésente – à tel point que l’atmosphère est presque fluorescente » James Laxton.

 « On se répétait souvent tous les deux que notre film n’avait rien à voir avec le néo-réalisme. L’intrigue est ancrée dans la réalité mais on lui a aussi donné une dimension onirique à bien des égards. Pour nous, ce film s’apparente à une hallucination. On voulait que Moonlight nous plonge au cœur de la ville. Les personnages regardent souvent le spectateur droit dans les yeux, comme pour indiquer qu’il est avec eux à Miami. » Barry Jenkins.

Steve Le Nedelec

A lire : Moonlight (II)

Moonlight un film de Barry Jenkins avec Alex R. Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes, Mahershala Ali, Janelle Monae, Naomie Harris, Jaden Piner, Jharrell Jerome, Andre Holland… Scénario : Barry Jenkins. Histoire originale de Tarell Alvin McCraney. Image : James Laxton. Décors : Hannah Beachler. Costumes : Caroline eselin-Schaefer. Montage : Nat Sanders. Musique : Nicholas Britell. Producteurs : Adele Romanski, Dede Gardner, Jeremy Kleiner. Production : A24 – Plan B Entertainment. Distribution (France) : Mars Films (Sortie le 1er février 2017). Etats-Unis. 2016. 111 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Tous Publics. Sélection officielle : Tiff – New-York Film Festival – Telluride – BFI London. Oscars 2017 : Meilleur film, Meilleur acteur second rôle (Mahershala Ali), Meilleur adaptation. Golden Globes 2017 du Meilleur film dramatique.