Le Sang des Innocents – Dario Argento

A Turin, un tueur sadique assassine des jeunes filles en suivant les paroles d’une comptine enfantine dans des circonstances identiques à celles d’une série de meurtres perpétrés il y a près d’une vingtaine d’années. Après dix-sept ans d’absence, Giacomo Gallo revient à Turin, sa ville natale qu’il avait quitté en plein drame alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Sa mère s’était fait sauvagement assassiner sous ses yeux sans qu’il ait pu identifier le meurtrier. La disparition du principal suspect avait à l’époque mis définitivement fin à l’enquête. Mais, la nouvelle série de meurtres, identiques à celui qu’il a connu à l’époque, va le pousser à croire que le cauchemar n’est pas encore terminé. Aidé par le commissaire à la retraite Ulysse Moretti, qui fut autrefois chargé de l’enquête, Giacomo décide de traquer l’assassin…

Après les déconvenues artistiques et les douloureux échecs commerciaux de ces derniers films, Trauma (1993) réalisé aux Etats-Unis, Le Syndrome de Stendhal (La Sindrome di Stendhal, 1996) et Le Fantôme de l’Opéra (Il Fantasma dell’Opera, 1998), le cinéaste Dario Argento cherche à renouer avec son glorieux passé et décide de retourner au genre qu’il maitrise à la perfection, le giallo. Une comptine pour enfants qui serait à la fois le leitmotiv de l’assassin et le fil rouge de l’enquête dans le film est l’idée de départ du nouveau projet du cinéaste. C’est en collaboration avec Franco Ferrini et le romancier Carlo Lucarelli, que le cinéaste va écrire Le Sang des Innocents (Non ho sonno) qu’il réalise en 2001.

Pour la quatrième fois de sa carrière, Dario Argento situe l’action de son film dans la ville de Turin. Après L’Oiseau au plumage de cristal, Les Frissons de l’Angoisse et Inferno, le cinéaste retrouve la ville industrielle et composite du Nord de l’Italie. Avec sa profusion d’images et ses différents styles, Turin est une ville à l’architecture passionnante qui offre plusieurs visages. Pour le cinéaste, Turin est une ville magique, une ville ésotérique. Ville de la magie noire, Turin est sa ville fétiche pour composer les paysages urbains de ses films.

Véritable concert d’images, de sons et de sensations, dès son premier film en 1969, L’Oiseau au plumage de cristal (L’Uccello dalle piume di cristallo) et ses références cinéphiles au cinéma d’Alfred Hitchcock ou de Michelangelo Antonioni, Argento invente un langage cinématographique moderne dans lequel l’apparente simplicité et le symbolisme se mêlent magistralement à la plus grande sophistication technique et sensorielle, à la recherche expérimentale la plus inspirée. Dès son premier film, Dario Argento propose une authentique nouvelle expérience cinématographique et pose dans le même temps les bases du nouveau thriller à l’italienne.

A la fois transgressive et agressive, l’œuvre du cinéaste est en avance sur son temps et sa modernité est indiscutable. Affranchi des règles et des codes, Argento sublime l’alliance entre le cinéma de genre classique dit « populaire », avec les codes et les schémas que le spectateur connait et est heureux de retrouver, et la modernité qu’il apporte à ses films, en envoyant voler en éclat nos habitudes de spectateurs. Le cinéma d’Argento fait table rase de ce qui était acquis en mettant à mal les certitudes du spectateur. Il déstabilise et crée la surprise en proposant autre chose au public.

Faisant référence à la couleur jaune des couvertures des romans policiers en Italie, comme nombre de ses œuvres précédentes, de sa « Trilogie animale » (L’Oiseau au plumage de cristal, 1969 ; Le Chat à neuf queues, 1970 et Quatre mouches de velours gris, 1971) en passant par le chef d’œuvre Les Frissons de l’Angoisse (Profondo Rosso, 1975) ou encore l’excellent Ténèbres (Tenebre, 1982) mais aussi Opéra (1987) et Trauma (1992), Le Sang des Innocents répond aux codes du giallo. Parsemée de citations et références cinéphiliques qui servent de matières premières à la singulière vision qu’en a le réalisateur, cette nouvelle enquête policière qu’il nous livre ici reprend et renouvelle les bases de son style et va légitimement contribuer à faire du film une réussite incontestable et confirmer son auteur, si besoin en était encore à l’époque, comme un cinéaste définitivement culte.

Avec ses indéniables partis pris formels tout aussi bien novateurs que référentiels, Dario Argento a créé un genre de cinéma différent. Un genre nouveau qui va porter encore plus haut le « giallo » dont les bases avaient été posées par Mario Bava en 1963 avec La Fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo) et Six femmes pour l’assassin (Sei donne per l’assassino) en 1964, dans lequel, un assassin masqué massacrait de jeunes et jolies mannequins dans un atelier de haute couture. Un genre plus violent et plus sophistiqué dans lequel le suspense « Hitchcockien » sollicite l’attention et l’intelligence du spectateur. Les scènes baroques de violence surprennent et séduisent. La stylisation à l’excès des meurtres choque autant qu’elle réjouit.

En plus de la mise en scène à proprement parler qui va venir décrire les actes criminels et ainsi venir mettre l’accent sur la violence de ces derniers plus que sur l’horreur qui en découle, les nombreux fétiches du mystérieux tueur sadique, comme les gants, le chapeau, le cuir, l’imperméable ou les armes blanches vont venir de manière singulière et parfaitement maîtrisée, codifier le genre. Tout en se réinventant à chaque fois, la forme et l’esthétique singulière du cinéma de Dario Argento vont faire de lui, à l’instar de l’immense David Lynch, un cinéaste de l’inconscient. Le Maître du genre. Le Maître du giallo, de l’horreur et de l’épouvante.

« Dans une même scène, deux points de vue s’affrontent : le premier, c’est le point de vue de la caméra, le second, c’est le point de vue du spectateur qui veut entrer et regarder la scène. Vision objective et subjective se mélangent toujours. C’est pourquoi mes personnages se trompent aussi souvent sur ce qu’ils voient. Il leur manque toujours un autre point de vue ». Dario Argento

Caractéristique de son œuvre, typique du style et de la poésie du cinéaste, pour illustrer la manière unique qu’à ce dernier pour créer le suspense donnons les exemples de la séquence nocturne dans le tramway, typique d’un état de rêve, où on retrouve une femme isolée et une présence menaçante dans la nuit qui l’observe et semble lui parler, ou encore, celui de ce plan-séquence sur un tapis, où l’on aperçoit juste les pieds des gens qui marchent dessus et un aspirateur en action, qui, avec son long et lent mouvement en travelling et l’incertitude du point de vue qui semble être multiple (à la fois objectif et subjectif), va peu à peu transformer la perception du spectateur et susciter son angoisse. Où le cinéaste veut-il nous mener et dans quel état d’esprit souhaite-t-il nous mettre avec ce mouvement de caméra ? Qu’allons-nous découvrir au bout de ce travelling ? Que va-t-il se passer ?

Relecture jouissive de ses premières œuvres, hommage aux Frissons de l’Angoisse, Le Sang des Innocents est une pépite qui, dès sa remarquable séquence d’ouverture de près de vingt minutes dans un train en mouvement et dont la mise en scène aussi brillante qu’époustouflante crée un suspense saisissant, capte le spectateur pour ne jamais le lâcher jusqu’à son dénouement final. Sans le moindre plan de coupe avec des plans qu’ils auraient tournés dans un wagon reconstruit en studio, sans utilisation de fonds bleus ni même de travelling, tournée dans un vrai train en marche avec uniquement une caméra installée sur un sac à dos en fer porté par un technicien qui courre tête baissée dans les couloirs, à couper le souffle, cette scène d’introduction cauchemardesque est une leçon de cinéma à elle seule.

« Nous avons loué une portion de rails de 50 km que nous avons parcouru des nuits entières. C’était épuisant mais au final, on voit que c’est vrai. Cette crédibilité est indispensable à l’impact de la scène et à l’identification du spectateur avec la jeune femme ». Dario Argento

Le Sang des Innocents marque donc le retour de Dario Argento à son genre de prédilection, le giallo, thriller codifié avec : une scène d’ouverture « traumatique » qui se passe dans le passé ; une comptine qui permet ici à Argento de placer dans le film son rapport obsessionnel aux animaux récurrent dans son œuvre où pullulent chats, oiseaux, corbeaux, lézards, mouches, abeilles, chiens, insectes et animaux en tous genres ; la musique d’un groupe devenu culte lui aussi (Goblin) ; une photographie très travaillée signée du directeur de la photo Ronnie Taylor, et bien évidemment, une mise en scène minutieuse et précise avec des scènes horrifiques de meurtres sanglants.

Avec la comptine qui met en scène un certain nombre d’animaux de la ferme et sert de modèle aux meurtres et avec les références directs au Lac des cygnes de Tchaïkovski et à La Ferme des animaux de Georges Orwell ou encore le perroquet du commissaire, l’obsession du cinéaste pour les animaux franchit un cap avec ce film quand le cinéaste déguise les humains eux-mêmes en animaux. Associées à un animal et tuées comme des animaux, les victimes du film traduisent l’animalisation du monde et des hommes.  

Notons au passage pour l’anecdote que la comptine du film avec cette histoire du fermier qui tue ses animaux, a été composée par Asia Argento, la fille du cinéaste.

Comme dans ses gialli (pluriel de giallo) précédents, dans Le Sang des Innocents on assiste à une série de meurtres violents dont les victimes ont un lien bien spécifique entre elles. Le fil conducteur est un, ou comme ici, deux personnages, un enquêteur professionnel à la retraite et un témoin, victime collatérale du tueur, que l’on va suivre, et qui, comme nous spectateurs du film, se retrouvent d’abord spectateurs de l’histoire. Un des personnages est le témoin impuissant d’un meurtre qui ne comprend pas ou qui comprend mal ce qu’il a vu ou a cru voir, ce qu’il a entendu ou a cru entendre. Puis, obsédé par la scène à laquelle il a assisté, le personnage devient acteur de l’histoire pour tenter de décrypter ce dont il a vraiment été témoin et découvrir le tueur et ses motivations, découvrir la vérité. Ce n’est que dans les dernières minutes du film, dans un final toujours inattendu, que l’on démasque l’assassin et que l’on apprend ses motivations. Si la structure du film et celle du scénario semblent comme posséder la mémoire de Profondo Rosso (Les Frissons de l’Angoisse) réalisé il y a un peu plus de 25 ans auparavant, Le Sang des Innocents ne manque pas, par de nombreux éléments à la fois scénaristiques et techniques, de faire références à d’autres films du cinéaste.

« La Vérité a plusieurs visages. C’est ce que je cherche à démontrer. La Vérité n’est pas une vérité. Il y a plusieurs vérités. Chaque point de vue a sa vérité. Pour chaque personne il y a une vérité différente ». Dario Argento

Réunissant toutes les caractéristiques du parfait giallo, Le Sang des Innocents prouve une nouvelle fois que le cinéaste aime s’amuser à tromper les sens du spectateur. Le personnage principal est le témoin visuel, du moins partiellement, et auditif d’un meurtre. Ce dernier va alors chercher à « faire la lumière » sur cette affaire. On retrouve donc dans ce film les obsédantes thématiques de la mémoire et des sens, ici l’ouïe et la vision (l’image), chères à l’auteur. Comme dans L’Oiseau au plumage de cristal ou Les Frissons de l’Angoisse, et plus généralement, comme souvent dans les gialli d’Argento, mais bien évidemment toujours avec des variations aussi subtiles qu’importantes, c’est la « vision » partielle d’un évènement (il manque un élément pour permettre de comprendre ce qu’il s’est réellement passé) qui déclenche non seulement l’enquête, l’histoire du film, mais c’est également autour de ce postulat de base que s’effectuent tout le travail de construction scénaristique ainsi que les choix de mise en scène. Ici encore, les personnages vont devoir faire travailler leur mémoire, se remémorer des bruits ou chuchotements à peine audibles et examiner dans les moindres détails les images qu’ils ont gardées en tête pour découvrir la vérité. Les sens et la mémoire tiennent un rôle primordial dans l’histoire du film et dans sa construction même. Comme notre mémoire peut nous jouer des tours, nos sens sont imparfaits et biaisent nos perceptions. Ils nous mentent… Comme pour le développement de la pensée philosophique, pour parvenir à la Vérité, nous devons douter de tout à commencer de notre propre mémoire et plus particulièrement de nos sens qui nous induisent insidieusement en erreur.

Aidé de son visage peu enclin à l’extériorisation qui donne à son jeu une sobriété exceptionnelle pouvant aller de l’inquiétant ou menaçant à la confiance la plus totale avec une « facilité » et un naturel déconcertant, on retrouve dans le rôle du personnage vieillissant du commissaire retraité Ulysse Moretti, l’immense star internationale, l’acteur suédois Max von Sydow qui, avec son talent, est un des rares comédiens capable d’interpréter une galerie de personnages aussi éclectiques que ceux qu’il a incarnés dans sa riche carrière cinématographique. Premier choix du réalisateur pour le rôle, l’accord de Max von Sydow a été un bonheur pour Argento qui lui avait fait lire le script du film lors d’une rencontre sur les hauteurs de Nice.

« Il connait très bien William Friedkin avec lequel je suis très lié. Je crois que William lui a parlé de moi, de mes films, ce qui a dû contribuer à sa décision. » Dario Argento.

Le personnage de Moretti permet au cinéaste d’aborder pour la première fois le thème de la vieillesse comme responsable ici, à défaut des sens, des déficiences de la mémoire. Le thème de la mémoire étant l’obsession récurrente des gialli d’Argento, pour nous donner une idée de l’âge avancé de son personnage, ce dernier ne va pas hésiter à nous le décrire comme une personne seule, une personne qui fait les choses lentement et parle seul avec son perroquet. Puis, lorsque Moretti se met à repenser et à reparler des crimes passés, lorsqu’il se plonge à nouveau dans les dossiers, qu’il rencontre des personnages qu’il a peut-être déjà rencontré et qu’il est confronté à des situations qui lui procurent une sensation de déjà-vu, celui-ci retrouve peu à peu une vivacité d’esprit. Ce sont les crimes qui, paradoxalement, vont lui donner une nouvelle santé. Ce sont les crimes qui vont lui redonner vie. Comme Ténèbres était un commentaire du début des années 1980, par le biais du personnage de Moretti, Le Sang des Innocents devient celui du début des années 2000. Comme Moretti cherche à se souvenir du passé pour son enquête, avec Le Sang des Innocents, Argento cherche à se souvenir des films qu’il a réalisés dans le passé. Le travail du souvenir du personnage de la fiction et celui de son créateur peuvent être mis ici en parallèle. Avec ses techniques d’investigation un peu datés, le personnage de Moretti n’est pas sans rappeler non plus le personnage de Sherlock Holmes.

« Pour lui, une bonne enquête se base sur le raisonnement, l’intuition, l’instinct et non pas sur des techniques sophistiquées et inhumaines ». Dario Argento

Max von Sydow a, entre autres, aussi bien joué dans Les Fraises sauvages (1957) ou Le Septième Sceau (1957) réalisés par Ingmar Bergman, que dans La Plus grande histoire jamais contée (1965) de George Stevens, David Lean et Jean Negulesco, La Lettre du Kremlin (1970) et A Nous la victoire (1981) réalisés par John Huston, L’Exorciste (1973) de William Friedkin où il interprète l’inoubliable Père Merrin, Les Trois jours du Condor (1975) de Sydney Pollack, Cadavres exquis (1976) de Francesco Rosi, La Mort en direct (1979) de Bertrand Tavernier, Dune (1984) de David Lynch, Hannah et ses sœurs (1986) de Woody Allen ou encore dans Jusqu’au bout du monde (1991) de Wim Wenders et Europa (1991) de Lars von Trier. Après Le Sang des Innocents, on retrouvera le comédien à l’affiche par exemple de Minority Report (2002) de Steven Spielberg, Shutter Island (2010) de Martin Scorsese ou encore Robin des Bois (2010) de Ridley Scott. Autant de films qui demeurent des œuvres notoires, voir des classiques incontournables de l’histoire du cinéma.

Aux côtés de Max von Sydow, on retrouve dans le rôle du jeune Giacomo Gallo, le comédien Stefano Dionisi que l’on a pu voir à l’affiche de films comme Farinelli (1994) de Gérard Corbiau, Fugueuses (1995) de Nadine Trintignant, La Trêve (1997) de Francesco Rosi, Bambola (1997) de Bigas Luna ou encore La Fin de l’innocence sexuelle (1999) de Mike Figgis.

Le comédien Roberto Zibetti joue le personnage de Lorenzo, l’ami d’enfance de Giacomo. Ce dernier a également travaillé avec des réalisateurs comme Klaus Maria Brandauer (Mario et le magicien, 1995), Bernardo Bertolucci (Beauté volée, 1996) ou Abel Ferrara (Pasolini, 2014). Le personnage de Gloria, l’amie d’enfance de Giacomo devenue joueuse de harpe, est interprété par la comédienne Chiara Caselli. Elle est également à l’affiche de films comme L’Année de l’éveil (1991) de Gérard Corbiau, My Own Private Idaho (1991) de Gus Van Sant, La Petite Apocalypse (1992) de Costa-Gavras, Fiorile (1992) de Paolo et Vittorio Taviani, Par-delà les nuages (1995) de Michelangelo Antonioni et Wim Wenders, ou encore Mr. Nobody (2009) de Jaco van Dormael.

Grand auteur dramatique et metteur en scène de théâtre, trop rare sur les écrans, l’acteur et réalisateur Gabriele Lavia est tout simplement extraordinaire ici dans le rôle de Maître Betti, le père de Lorenzo. Avant Le Sang des Innocents, ce dernier a déjà collaboré par deux fois avec le cinéaste Dario Argento sur Les Frissons de l’Angoisse (1975) et Inferno (1980). On a également pu voir ce dernier dans Zeder (1983) de Pupi Avati, Scandaleuse Gilda (1985) qu’il a lui-même réalisé, La Légende du pianiste sur l’océan (1998) de Giuseppe Tornatore ou Souviens-toi de moi (2003) de Gabriele Muccino.

Le magnifique travail effectué sur l’image du Sang des Innocents est dû au chef opérateur anglais Ronnie Taylor qui a déjà travaillé par deux fois avec le cinéaste sur Opéra (1987) et Le Fantôme de l’Opéra (1998). Ronnie Taylor est connu notamment pour son travail avec un autre cinéaste, culte lui aussi, Ken Russel, d’abord en tant que cadreur-opérateur sur les films Les Diables (1971), Le Messie sauvage (1972) et Valentino (1977) puis comme chef opérateur sur Tommy (1975). Taylor a également été cadreur-opérateur sur des films comme Les Chemins de la haute ville (1959) et Les Innocents (1961) réalisés par Jack Clayton, La Bataille des sexes (1959) de Charles Crichton, The Rough and the Smooth (1960) de Robert Siodmak, Le Bobo (1967) de Robert Parrish, Théâtre de sang (1973) Intervention Delta (1976) et L’Ultime Attaque (1979) réalisés par Douglas Hickox, Star Wars (1977) de George Lucas, Le Grand Sommeil (1978) de Michael Winner, ou encore sur les incontournables classiques que sont Phantom of the Paradise (1974) de Brian De Palma et Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick. Son travail en tant que chef opérateur sera ensuite surtout remarqué pour ses collaborations avec le réalisateur Richard Attenborough sur les films Gandhi (1982) qui lui a valu de recevoir l’Oscar de la meilleure photographie, Chorus Line (1985) et Cry Freedom (1987). Il sera également le chef opérateur de films comme Sea of Love (1989) d’Harold Becker ou Le Voleur d’arc-en-ciel (1990) d’Alejandro Jodorowsky. Notons également qu’entre 1965 et 1995, Ronnie Taylor a également régulièrement été cadreur-opérateur ou chef opérateur sur la série télé Chapeau melon et bottes de cuir.

Le connaissant de longue date, Dario Argento a confié le soin de fabrication des effets spéciaux du film à Sergio Stivaletti à qui l’on doit déjà les maquillages et/ou effets spéciaux des films Phenomena (1985), Opéra (1987), Le Syndrome de Stendhal (1996) et Le Fantôme de l’Opéra (1998) réalisés par Dario Argento, Démons (1985) et Démons 2 (1986) réalisés par Lamberto Bava, ou encore Sanctuaire (1988), La Secte (1990) et Dellamorte Dellamore (1994) réalisés par Michele Soavi. Après Le Sang des Innocents, Sergio Stivaletti retrouvera Argento sur les films Card Player (2004), Vous aimez Hitchcock ? (téléfilm – 2005), Mother of Tears (2007), Giallo (2009), Dracula 3D (2012) et le tout dernier Lunettes noires (Occhiali Neri, 2022) dont on attend toujours impatiemment la sortie en salle en France.

« Il y a de nombreuses façons de composer de la musique de peur : une note tenue et basse ou une comptine un peu dissonante, comme dans Profondo Rosso par exemple. En fait, tout est dans le contraste. Mais il y a de nombreuses manières d’effrayer les gens : regardez ce que fait John Carpenter, c’est un génie. Il est capable d’effrayer n’importe qui avec trois notes ! » Claudio Simonetti

Le Sang des Innocents marque également le retour du groupe Goblin dans sa formation d’origine comme compositeur de la bande originale. Après avoir collaboré aux Etats-Unis avec Pino Donaggio, le compositeur « attitré » du réalisateur Brian De Palma, sur Deux Yeux maléfiques et Trauma, et après avoir retrouvé pour ses deux derniers films, Le Syndrome de Stendhal et Le Fantôme de l’Opéra, le compositeur Ennio Morricone, Le Sang des Innocents marque les retrouvailles de Dario Argento avec son groupe fétiche. Précisons ici que le groupe s’est séparé au début des années 80 et que sa dernière collaboration dans sa (presque) formation d’origine avec le cinéaste était pour le film Ténèbres. En effet, après Ténèbres, les bandes-originales de Phenomena et Opéra ont principalement été composées par Claudio Simonetti ancien membre du groupe. C’est à la demande de Dario Argento à Claudio Simonetti lors d’une soirée au festival du film de Sitges en 1999, que le groupe s’est spécialement reformé pour composer la musique du Sang des Innocents.

Goblin est un groupe de rock progressif italien dont l’emblème est un diable jouant du violon. Le groupe est constitué de Claudio Simonetti au clavier-synthétiseur, Massimo Morante à la guitare, Fabio Pignatelli à la basse et Walter Martino aux percussions. C’est en 1975, pendant le tournage des Frissons de l’Angoisse que le réalisateur va les rencontrer. Après trois collaborations fructueuses avec Ennio Morricone, Dario Argento souhaite changer de registre musical. Insatisfait des thèmes composés par le jazzman Giorgio Gaslini, qui avait signé la bande originale de Cinq jours de révolution (ou Cinq jours à Milan), que le cinéaste trouve trop « légers » et trop « intellectuels », Argento décide de contacter les grands groupes de rock progressif de l’époque, comme Led Zeppelin, Deep Purple ou encore Pink Floyd, mais ceux-ci seront tous, soit en tournée mondiale, soit en studio d’enregistrement. C’est alors qu’il s’est souvenu d’un groupe encore inconnu de jeunes musiciens romains qui sortaient du conservatoire et qui lui avaient envoyé une cassette de démonstration. Il l’a écouté et, séduit les a contactés. Le style unique de leur musique, comme une violence sonore qui s’exprime de manière aussi bien électrique que désespérée, a beaucoup plu au cinéaste. Ils se sont donc rencontrés et chaque nuit, après le tournage, ils partaient composer. La musique des Frissons de l’Angoisse a donc été composée pendant la réalisation de la seconde partie du film, contrairement à celle de Suspiria, leur seconde collaboration, où une première version fut composée avant le tournage. Les Frissons de l’Angoisse va marquer le début d’une riche et longue collaboration avec Goblin à la composition des bandes originales de ses films. Des compositions qui restent encore aujourd’hui indissociables des œuvres d’Argento. La bande-son des Frissons de l’Angoisse fait écho à Tubular Bells de Mike Oldfield, musique rendue célèbre par L’Exorciste (1973), chef-d’œuvre de William Friedkin, sorti dans les salles en Italie cinq mois avant Les Frissons de l’Angoisse. Le thème musical des Frissons de l’Angoisse a également connu un grand succès atteignant la première position des meilleures ventes d’albums les plus vendus en Italie à l’époque. Goblin est aujourd’hui devenu un groupe culte inscrit dans la légende pour toujours.

Aussi fascinante qu’incontournable, avec ses grands thrillers horrifiques, ses gialli et ses inévitables grands classiques du cinéma de genre (fantastique et/ou horreur symbolisant ouvertement la psychanalyse) marqués par une esthétique graphique baroque et expressionniste singulière utilisant des codes (gros plans, caméra subjective, zooms, caméra à l’épaule…), des références psychanalytiques ou fétichistes, une érotisation de la violence, mais aussi par des bandes sons originales de rock progressif hypnotiques (Ennio Morricone, Keith Emerson, Pino Donaggio mais aussi et surtout le groupe Goblin), l’œuvre de Dario Argento témoigne, depuis plus d’un demi-siècle, du fait que non seulement son statut de Maestro, de Magicien de la Peur, n’est pas usurpé, mais également que son travail et ses films qui questionnent sans cesse les sens, la mémoire et la vérité, inspirés eux-mêmes par les œuvres de cinéastes comme Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Mario Bava, Sergio Leone, Michael Powell ou encore Alfred Hitchcock, continuent de nourrir l’imaginaire des spectateurs et de toute une nouvelle génération de cinéastes.

Cruel et jouissif, Le Sang des Innocents, dont le titre original Non ho sonno peut se traduire par « je n’ai pas sommeil », est le quinzième film de Dario Argento et premier giallo du nouveau millénaire. La réussite et la redoutable efficacité du Sang des Innocents témoignent non seulement du fait que son auteur maîtrise toujours parfaitement, et plus que jamais, le langage cinématographique, mais aussi que sa précieuse singularité fait de lui un des plus grands cinéastes de sa génération. Le maître incontesté et incontestable du film de terreur. Inimitable !

Steve Le Nedelec

Le Sang des Innocents (Non ho sonno) un film de  Dario Argento avec Max von Sydow, Chiara Caselli, Stefano Dionisi, Gabriele Lavia, Paolo Maria Scalondro, Roberto Zibetti, Roberto Accornero, Rossella Falk, Barbara Lerici… Scénario : Dario Argento et Franco Ferrini avec la collaboration de Carlo Lucarelli. Directeur de la photographie : Ronnie Taylor. Direction Artistique : Antonello Geleng. Costumes : Susy Mattolini. FX : Sergio Stivaletti. Montage : Anna Napoli. Musique : Goblin. Producteur exécutif : Claudio Argento. Producteur : Dario Argento. Production : Medusa Film – Opera Film – Tele+.  Distribution (France) : Pretty Pictures (Sortie France le 13 mars 2002). Italie. 2001. 117 minutes. Couleur. Eastmancolor. Panavision. Format image : 1.85 :1. Dolby Digital. Interdit aux moins de 16 ans.