La Bataille de la vallée du Diable – Ralph Nelson

Territoire Apache. Un cadavre d’homme est suspendu, ses mains brûlées indiquent qu’il a été torturé. Jess Remsberg (James Gardner) découvre la désolation. Caché entre deux blocs de rocher, il aperçoit au loin une silhouette sur un cheval. Il s’agit d’une cavalière, Ellen Grange (Bibi Andersson). Tandis que deux Indiens cavalent en sa direction, la femme s’effondre sous le poids de la fatigue et du soleil. Jess n’hésite pas et tire sur les Indiens, l’un est tué sur le coup, mais l’autre réussit à s’enfuir. Ellen se relève et reprend son chemin, laissant son cheval mort. Sous les tirs de l’Indien, Jess rejoint Ellen. Dans un état second, Ellen lui parle en Apache. Jess réussit à fuir avec Ellen. Il la ramène en ville où elle retrouve son mari, Willard Grange (Dennis Weaver)…

Ralph Nelson, c’est la rage, rien de surprenant à ce qu’il ouvre La Bataille de la vallée du Diable par des coups de couteau qui déchirent littéralement l’écran. L’effet est saisissant.  Nelson est aujourd’hui un cinéaste quelque peu oublié, pourtant son Soldat Bleu (Soldier Blue, 1970) est entré, comme par effraction, dans l’histoire du western et du cinéma. Cette reconstitution du massacre de Sand Creek en 1864, d’une violence inouïe, renvoyée à un autre massacre celui de Mỹ Lai au Vietnam. La violence et le racisme parcourent tout le cinéma de Ralph Nelson, abordé à chaque fois de manière différente. Il y a une analyse de la nature humaine par le prisme des communautés et des civilisations où le conflit s’avère inévitable par accumulation d’ambitions personnelles. Cette approche lui vient en partie de sa fréquentation de l’œuvre de William Shakespeare. Ralph Nelson l’adapte à plusieurs reprises pour des dramatiques en direct à la télévision américaine. Des retransmissions qui feront date dans l’histoire de la télévision. Dans la foulée, il réalise des dizaines d’épisodes de série. Nelson est de la génération issue du petit écran qui va au tout début des années 60 être recruté par les Majors. Ralph Nelson, avec ses collègues, Arthur Penn, John Frankenheimer, Sydney Pollack, William Friedkin, et bien d’autres, va apporter un souffle nouveau au cinéma américain.

La Bataille de la vallée du Diable, est le premier des trois westerns que donnera Ralph Nelson, suivra Le Soldat Bleu et La colère de Dieu (The Wrath of God, 1972). Il dirige son premier film pour le grand écran en 1962, Requiem pour un champion (Requiem for a Heavyweight), adaptation d’un dramatique TV écrite par Rod Serling, l’homme des Twilight Zone. Interprété par Anthony Quinn, excellent, le film est une réussite, qui fera l’admiration de Jean-Pierre Mocky, le citant régulièrement comme l’un de ses films préférés. Les Lys des champs (Lilies of the Field, 1963) est une date importante dans sa carrière, il y dirige pour la première fois Sidney Poitier, qui remporte l’Oscar du meilleur acteur, le premier pour un acteur afro-américain et cinq prix au Festival de Berlin en 1963. Avec ce drame, puissant, sur le racisme, la carrière de Ralph Nelson est lancée.

Il dirige Steve McQueen dans La dernière bagarre (Soldier in the Rain, 1963) adaptation d’un roman de William Goldman (Marathon man) par Blake Edwards. Nelson tourne vite et ses films décrochent nomination et Oscars, celui du meilleur scénario pour Grand méchant loup appelle (Father Goose, 1964), du meilleur acteur (Cliff Robertson) pour Charly (1968). Il dirige Alain Delon pour ses débuts aux Etats-Unis dans le thriller Les tueurs de San Francisco (Once a Thief, 1965). Nelson aime et attire les stars : Charlton Heston (La symphonie des héros / Counterpoint, 1967), Glenn Ford (Le crash mystérieux / Fate is the Hunter, 1964), Cary Grant et Leslie Caron (Grand méchant Loup appelle), Robert Mitchum et Rita Hayworth pour sa dernière apparition au cinéma (La Colère de Dieu). Son dernier film notable : Embryo (1975) avec Rock Hudson et la magnifique Barbara Carrera, cette histoire de science-fiction décrivant des expérimentations sur des fœtus humains, mérite le détour. Quant à A Hero Ain’t Nothin’ But a Sandwich (1977), son dernier film pour le cinéma, sur une famille noire confrontée à la drogue, jouit d’une excellente réputation aux Etats-Unis, le film est inédit en France.

La Bataille de la vallée du Diable, est un western intéressant et surprenant. Ralph Nelson inverse beaucoup de situation et évite tout manichéisme. La violence n’est pas le fait des blancs, mais aussi des Indiens. Trop de mensonges et de ressentiments ont entrainé de part et d’autre une escalade de haine et violence. Une spirale infernale. Ainsi, Jess recherche l’assassin de sa femme cherokee, scalpé par un blanc. La valeur d’une femme Indienne est nulle, son scalp a été jouer au poker. Le mépris jusqu’à l’invisibilité. Jess est un homme meurtri qui cherche à faire son deuil et justice. Ellen a été enlevée par les Apaches. Durant sa captivité, elle a été la maîtresse du fils du chef Chata, un enfant est né de cette union. De retour dans la « civilisation », auprès de son mari, elle n’a qu’un désir retournée dans la réserve auprès de son bébé. Dans la ville, elle est traitée comme une prostituée. Son mari, regrette son retour plutôt que de son cheval ! Plus personne ne la respecte. Ellen est victime d’une tentative de viol collectif. Pour la collectivité, elle est une trainée. La situation n’est pas plus enviable du côté Apache, les autres femmes la traite plus bas que terre, l’insulte, lui crache dessus. Le Chef lui promet de l’enterrer vivante avec son fils mort au combat.

Autre habileté du scénario, le personnage de Sidney Poitier, un bandit, ex de l’armée américaine, qui a combattu les Indiens. A aucun moment, il n’est fait cas de sa couleur de peau. Il est un Américain comme les autres, parfaitement intégré. Il va même prendre le commandement de cette unité de soldat. Aucune trace de racisme direct à l’encontre de cet ex-« sergent noir ». Il faut pourtant être attentif, dans une courte scène, entre Troller et Ellen, une simple réplique dans la bouche cette femme ballottée entre deux civilisations, en dit long sur la mentalité de l’époque. Elle veut rejoindre les Apaches parce que son fils, un métis, ne sera jamais accepté comme blanc. Elle le dit à un noir, s’ensuit un silence qui en dit long.

La bataille de la vallée du Diable est l’adaptation d’un western, Apache Rising de Marvin H. Albert. L’écrivain cosigne le scénario avec Michael M. Grilikhes. Romancier de pulp, Marvin Albert œuvre principalement dans le western et le policier, mais aussi dans la novélisation (adaptation de succès cinématographiques en roman), secteur dont il en est l’un des virtuoses. Il est le créateur d’un personnage de détective, Tony Rome, qui donnera naissance à deux polars remarquables Tony Rome est dangereux (Tony Rome, 1967) et La femme en ciment (Lady in Cement, 1968), réalisés par Douglas Gordon avec Frank Sinatra, excellent. Il coadapte, avec Christopher Trumbo, son roman Don Angelo est mort (The Don Is Dead, 1973) pour Richard Fleischer, produit dans le sillage du Parrain (The Godfather, 1971) de Francis Ford Coppola. Marvin H. Albert quitte les Etats-Unis et s’installe à Menton dans les Alpes-Maritimes. Il invente un privé, franco-américain, Pierre-Ange Sawyer, dont les histoires se déroulent sur la Côte d’Azur. Ses polars sont disponibles dans la Série noire de Gallimard.  

La musique de La Bataille de la vallée du Diable de Neal Hefti joue, avec bonheur, sur le contrepoint musical, une fantaisie qui anticipe sur les génériques de série TV. Hefti, compositeur et arrangeur, s’est illustré dans la comédie avec toujours une sorte de décalage bienvenu. Il est l’auteur de la musique de la série TV, pleine de paf, bing, splash de Batman. Hefti est avant tout une autorité dans le bebop, genre auquel il donna ses lettres de noblesse. Claude Nougaro a repris le titre Girl Talk, pour Dansez sur moi, ce qui correspond finalement assez bien aux compositions de Neal Hefti.

Ralph Nelson a dirigé à trois reprises Sidney Poitier, Le lys des champs (Lilies of the Field), La Bataille de la vallée du diable et dans Le vent de la violence (The Wilby Conspiracy, 1975). Trois genres différents, mais un même constat, le racisme gangrène les sociétés.  

La Bataille de la vallée du Diable marque les grands débuts dans le cinéma américain de la Suédoise Bibi Andersson. Grande actrice bergmanienne, elle va tourner par la suite sous la direction de John Huston (La lettre du Kremlin, 1970), Anthony Page (Jamais je ne t’ai promis un jardin de roses, 1977), Robert Altman (Quintet, 1978), David Lowell Rich (Airport 80 – Concorde, 1979), mais principalement avec des Européens : Alberto Sordi (Scussi, lei e favorevole, o contrario, 1966), Jacques Doniol-Valcroze (Le Viol, 1967), Sergio Gobbi (La rivale, 1974, Blondy, 1976), André Cayatte (L’amour en question, 1978), Marco Bellocchio (Le rêve du papillon, 1994), entre autres. Bibi Andersson est le personnage principal de l’unique film américain (en partie) d’Ingmar Bergman : Le Lien (The Touch, 1970). Et bien sûr, d’une série de chefs-d’œuvre du maître suédois : Sourires d’une nuit d’été (1955), Le septième sceau (1957), Les fraises sauvages (1957), Au seuil de la vie (1958), Le Visage (1958), L’œil du diable (1960), Toutes ses femmes (1964), Persona (1966), Une passion (1968) et Scènes de la vie conjugale (1973). Bibi Andersson est parfaitement crédible et à sa place dans La Bataille de la vallée du Diable, elle apporte une dignité et une sensibilité « réaliste » à son personnage. N’oublions pas que beaucoup de Scandinaves ont immigré au Nouveau Monde avec la promesse d’une vie meilleure. La réalité, comme toujours, fut toute autre. Ralph Nelson était d’origine norvégienne et apparaît dans le rôle du Colonel Foster au générique sous le nom de Alf Elson !

La Bataille de la vallée du Diable en 1966 participe d’un renouveau du western par son réalisme et sa violence. A redécouvrir.

Fernand Garcia

La Bataille de la vallée du Diable, une édition Sidonis Calysta dans l’incontournable collection Western de légende (DVD ou combo Blu-ray-DVD), en compléments : Une présentation par Patrick Brion. « On a un peu sous-estimé à l’époque » le film qui « pose à nouveau le problème des guerres indiennes (.) un western attachant » (16 minutes). Une deuxième présentation par Jean-François Giré « La première chose qui saute aux yeux, c’est la violence et le réalisme » (23 minutes). Sur le tournage de La bataille de la vallée du Diable, document d’époque en noir et blanc (5 minutes env.). La section se termine sur le Film-annonce (3 minutes).

La Bataille de la vallée du Diable (Duel At Diablo) un film de Ralph Nelson avec James Garner, Sidney Poitier, Bibi Andersson, Dennis Weaver, Bill Travers, William Redfield, John Hoyt, John Crawford, John Hubbard, Bill Hart… Scénario : Marvin H. Albert et Michael M. Grilikhes d’après Apache Rising de Marvin H. Albert. Directeur de la photographie : Charles F. Wheeler. Décors : Alfred C. Ybarra. Costumes : Yvonne Wood. Montage : Fredric Steinkamp. Musique : Neal Hefti. Producteurs : Ralph Nelson et Fred Engel. Production : Rainbow Productions – Brien Productions – Nelson-Engel-Cherokee Productions – United Artists. Etats-Unis. 104 minutes. Couleur. DeLuxe. Format image : 1,66 :1. Son : Version originale avec ou sans-titres français et Version Française. DTS-HD. Tous publics.