Les Chasseurs de scalps – Sydney Pollack

Après des mois d’hiver dans la montagne, Joe Bass (Burt Lancaster) redescend afin de vendre ses fourrures en ville. Au passage d’une rivière, il tombe sur Deux-Corbeaux (Armando Silvestre) et sa tribu. Deux-corbeaux exige les peaux en contrepartie, il lui « donne » Joseph Lee (Osie Davis), esclave noir, devenu un temps propriété des Apaches avant de finir entre ses mains. Joe Bass, délesté de son bien, n’a plus qu’un but remettre la main sur ses peaux. Il entraîne à sa suite Joseph…

La carrière du scénariste William W. Norton est un véritable film d’aventures. Né en 1925 dans l’Utah au sein d’une famille de mormons, la grande dépression ruine son père. Toute la famille est contrainte de partir en Californie. Son père trouve un travail dans un drugstore. Ils survivent dans un contexte dur. Après avoir été enrôlé dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale, William W. Norton écrit ses premières nouvelles pour des magazines littéraires au début des années 50. Sa participation active à des organisations progressistes, lui a valu d’être convoqué par le comité des activités antiaméricaines en 1958. Membre du Parti communiste, Norton est désormais dans le collimateur du FBI. Il quitte les Etats-Unis pour Cuba, où le socialisme castriste le déçoit.

William W. Norton s’installe à Mexico avant de revenir, avec l’aide de sa première femme, clandestinement à Los Angeles. Il s’engage pour les droits civils. Sa rencontre avec Burt Lancaster est déterminante, il signe avec Les chasseurs de scalps est son premier film important. Il avait quelques comédies avant. Il travaille par la suite avec le producteur du film, Arnold Laven pour qui il écrit Sam Whiskey le dur (Sam Whiskey, 1969) un western comique dans le même esprit que celui de Sydney Pollack avec Burt Reynolds, Angie Dickinson et Ossie Davis. Sa plus grande réussite est le script des Charognards (The Hunting Party, 1971) un brûlot politique toujours l’univers du western réalisé par Don Medford avec Gene Hackman, Oliver Reed et Candice Bergen. On retrouve un dispositif assez similaire avec Les chasseurs de scalps, mais dans le cadre d’un réalisme étouffant. Un des plus grands et méconnus westerns des années 70.

Il connaît deux grands succès avec Burt Reynolds : Les bootleggers (White Lightning, 1973) que réalise Joseph Sargent et sa suite Gator (1976) dirigé par l’acteur, deux polars dans les bayous. Entre les deux, il participe à l’écriture de Brannigan (1975) pour John Wayne. Tous ses films sont produits par le trio Levy-Gardner-Laven. En 1985, Norton s’installe en Irlande. Il est arrêté en France et condamné à deux ans de prison pour avoir tenté de faire passer des armes à l’IRA. Libéré, en 1987, il s’installe au Nicaragua. Il est victime d’une agression dans sa maison, et tue l’un des voleurs. Reconnu en état de légitime défense, Norton rentre aux Etats-Unis. Il décède, paisiblement, à Santa Monica (Californie) en 2010. Il est le père du scénariste et réalisateur : Bill W. L. Norton, on lui doit Le Convoi (Convoy, 1978) pour un cinéaste rebelle Sam Peckinpah, et Un couple en fuite (Outlaw Blues, 1977) dont le titre français pourrait parfaitement s’appliquer à l’itinéraire de ses parents.

On ne le dira jamais assez, il faut voir les films avec Burt Lancaster. Les chasseurs de scalps, se situe dans la carrière de Burt Lancaster entre Les Professionnels (The Professionals, 1966) de Richard Brooks et Le Plongeon (The Swimmer, 1968) de Frank Perry. Lancaster connaît bien Sydney Pollack. Repéré par John Frankenheimer qui l’engage sur Le Temps du châtiment (The Young Savages, 1961), comme répétiteur de Burt Lancaster. Pollack est un jeune acteur avec un potentiel de réalisateur. Lancaster l’embauche pour la direction du doublage de la version anglaise du Guépard (Il Gattopardo, 1963), le chef-d’œuvre de Luchino Visconti. Quand il dirige son premier film pour le grand écran : 30 minutes de sursis (The Slender Thread, 1965), Pollack a derrière lui une longue expérience de réalisateur TV. Il y dirige Sidney Poitier, Anne Bancroft et Telly Savalas qu’il retrouve pour Les chasseurs de scalps. Ce premier film marque le début d’une longue collaboration entre Pollack et le scénariste David Rayfiel. Propriété interdite (This Property Is Condemned, 1966), son second film, d’après une pièce en un acte de Tennessee Williams adapté entre autres par Francis Ford Coppola et David Rayfiel. Le film attire vraiment l’attention sur Pollack. Il dirige une star Natalie Wood et un acteur qui va devenir non seulement une star, mais surtout son ami et acteur fétiche, Robert Redford (7 films en commun).

Les Chasseurs de scalp, est le troisième film de Sydney Pollack, il s’inscrit dans un courant de relecture du western classique américain des années 60. Ce renouveau était illustré par une nouvelle génération de cinéastes : Arthur Penn avec Le Gaucher (The  Left Handed Gun, 1958), Sam Peckinpah, Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country, 1962) et Major Dundee (1965), Monte Hellman, L’ouragan de la vengeance (Ride in the Whirlwind, 1965), The Shooting (1967) Tom Gries, Will Penny, le solitaire (1967). Pollack s’éloigne de ses collègues par son travail sur la forme classique et par son humour. Son approche est certainement plus commerciale (sans que cela ne soit le moins du monde déshonorant). Il y a une influence évidente de Sergio Leone, dans les reparties entre le trappeur Joe Bass et l’esclave Joseph Lee. Elles sont dans le sillage de Blondin et Tuco du Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966).

Pollack, malicieusement, inverse les situations, les « scalpeurs » ne sont plus les Indiens, mais les renégats. Il y a là, une pointe d’ironie, puisque ces pourritures de la pire espèce sont traquées par l’Etat, pour des vols, pillages et meurtres, tout en étant récompensé par ce même Etat par une prime de 25 dollars pour chaque scalp d’Indien. Mine de rien, Pollack se paie les ambiguïtés du double discours de l’administration américaine. Autre aspect surprenant les dialogues entre les deux hommes, le blanc et le noir, à des années-lumière de l’autocensure du politiquement correct et du wokisme.

Pollack est un progressiste, comme Lancaster. Ils ont soutenu les grandes manifestations pour les droits civils. Débats qui animent encore la société américaine au moment de la sortie du film. Joe Bass est la représentation d’une sorte de mythologie du trappeur. Il est même comparé à Daniel Boone. Il a un bon sens tout particulier et grâce à la bonhomie de Lancaster, il sort un flot d’énormités sans que cela ne soit pris au sérieux. Bass est inculte et illettré, ce qui est loin d’être le cas de Joseph Lee. A ses manières et à sa tenue, il a été esclave dans une propriété du Sud. Joseph sait lire et écrire. Il a vite compris que pour survivre, il fallait être malin.

Joseph apprend vite et récupère tout ce qui peut lui permettre de poursuivre son chemin. Il a un but : le Mexique, là où les hommes sont libres. Jim Howie (Telly Savalas) est une raclure, bornée, qui refuse mordicus de rendre ses peaux à Bass. Il est dans la guerre et non dans la diplomatie. Kate (Shelley Winters) est une prostituée, maîtresse de Jim. Elle doit sa survie dans ce monde de pionniers à ses charmes. Les hommes sont les hommes, quels que soit leur couleur de peau. Elle n’aura aucun mal à passer d’un homme à un autre, au gré des opportunités.

Le film est une œuvre extrêmement contemporaine. Pollack et Lancaster abordent le thème du racisme avec une grande honnêteté. Dans la bagarre finale opposant Bass et Joseph Lee, la boue qui recouvre leurs visages les rendent absolument identiques. Les hommes sont finalement égaux.

Œuvre picaresque et baroque, Les Chasseurs de scalps, lance la carrière de Sydney Pollack, ce premier succès commercial est aujourd’hui un peu oublié au profil de son deuxième western : Jeremiah Johnson avec Robert Redford, film d’une plus grande ampleur et plus sérieux. Toujours est-il que cette première incursion dans le genre est esthétiquement une réussite et Pollack y démontre un grand sens du rythme allié à une direction d’acteurs solides. Burt Lancaster heureux du résultat et de sa collaboration avec Pollack, lui demande de réaliser une scène pour Le Plongeur (The Swimmer, 1968),  à la suite d’un désaccord avec Frank Perry sur la version finale. Lancaster et Pollack poursuivent avec l’étrange et ambitieux Château en enfer, un échec commercial contrairement aux Chasseurs de scalps.

Western au ton burlesque et acide, Les Chasseurs de scalps, premier western de Sydney Pollack, est à redécouvrir avec plaisir.

Fernand Garcia

Les Chasseurs de scalps, une impeccable édition combo (Blu-ray – DVD) chez Rimini Editions, avec en compléments : Une interview d’Eric Thouvenel, enseignant-chercheur à l’Université Rennes 2 « Chasseur de scalps arrive à un moment où l’on continue encore à produire beaucoup de westerns (.) Pollack n’a pas de dette à l’égard du western, il peut reprendre cette histoire, cette mythologie de l’Ouest comme bon lui semble… » Thouvenel revient sur le western de l’époque et des rapports entre les grands anciens, John Ford, Howard Hawks et la nouvelle génération. Intéressante analyse sur cet « infléchissement historique » du western (34 minutes). Une histoire de Pollack par Olivier Père, ex de la Cinémathèque Française et actuel directeur de l’unité cinéma d’ARTE. Il retrace la carrière de Sidney Pollack de sa rencontre avec son mentor, John Frankenheimer, à sa relation avec Burt Lancaster, passionnant (40 minutes). Enfin, le Film-annonce des Chasseurs de scalps.

Les chasseurs de scalps (The Scalphunters),un film de SydneyPollack avec Burt Lancaster, Shelley Winters, Telly Savalas, Ossie Davis, Dabney Coleman, Nick Cravat, Paul Picerni, Dan Vadis, Armando Silvestre… Scénario : William W. Norton. Directeurs de la photographie : Duke Callaghan et Richard Moore. Direction Artistique : Frank Arrigo. Costumes : Joe Drury. Montage : John Woodcock. Musique : Elmer Bernstein. Producteurs : Arthur Gardner, Arnold Laven, Jules V. Levy et Roland Kibbee. Production : Bristol Films – Norlan Productions – United Artists. Etats-Unis. 1968. 102 minutes. DeLuxe. Panavision anamorphique. Format image : 2.35 :1. 16/9e. Son : Version Originale avec ou sans sous-titres français et en Version Française. Tous Publics.