Kinjite : Sujet tabou – J. Lee Thompson

Dans une chambre d’hôtel, un homme ouvre une mallette. A l’intérieur, une cravache, des liens en soie, un gode, de la vaseline, des gants en latex, tout l’attirail SM. Une jeune femme, DeeDee (Nicole Eggert) retire son chemisier et fait glisser sa jupe, elle porte des dessous noirs. L’homme lui attache les poignets au montant du lit. Quelques minutes auparavant, Duke (Juan Fernandez) se fait un rail de coke. Los Angeles, une nuit pluvieuse. Sous une affiche publicitaire pour la police « Protéger et Servir », les inspecteurs Rios (Perry Lopez) et Crowe (Charles Bronson), sont en planque dans une vieille voiture banalisée. La routine jusqu’à ce qu’une limousine s’arrête devant la porte de l’hôtel. Duke dépose une jeune fille. Les deux flics décident d’en savoir plus. Sous la menace de Crowe, le réceptionniste indien leur indique la destination de la fille : la chambre 211. A l’intérieur, l’homme s’apprête à cravacher la jeune fille. Alors que Rios entraîne la gamine hors des lieux. Crowe veut que l’homme témoigne contre Duke, ce qu’il refuse. Une altercation s’en suit. L’inspecteur a le dessus. Mais rien n’y fait l’homme refuse toujours d’impliquer Duke, Crowe se saisit alors du gode pour « lui montrer ce que ça fait »…

Kinjite : Sujet tabou est le film des adieux, de la fin d’une époque. Le point final de la carrière de J. Lee Thompson, le dernier « grand » film de Charles Bronson et son aurevoir à la Cannon. Le 10ème et dernier film produit par Pancho Kohner, vieux complice de Bronson. Enfin, Kinjite se situe à la fin de l’association entre Menahem Golan et Yoram Globus, avant l’effondrement de la Cannon.

Pancho Kohner est le producteur attitré et exclusif de Charles Bronson à partir du milieu des années 70 pour la Warner, Sir Lew Grade, Dino De Laurentiis, puis pour Menahem Golan et Yoram Globus et la Cannon. Pancho Kohner né Paul Julius Kohner Jr. à Los Angeles en 1939. Il est le fils de Paul Kohner et de l’actrice mexicaine Lupita Tovar. Son père, Paul Kohner, rencontre Carl Laemmle, fondateur d’Universal, à l’occasion d’un entretien pour le journal dans lequel il travaille, en 1920 à Karlovy Vary. Impressionné par le jeune journaliste, Laemmle lui propose un emploi dans son studio. Kohner déménage aux Etats-Unis et entre au service d’Universal. Il monte les échelons, devient superviseur des productions du studio et directeur de casting. Fort d’un beau carnet d’adresses, en 1938, il fonde la Paul Kohner Talent Agency, et s’occupe de la carrière de Marlène Dietrich, Greta Garbo, Henry Fonda, Billy Wilder, John Huston, et plus tard d’Ingmar Bergman. Charles Bronson est client de son père quand Pancho Kohner le rencontre. Ils deviennent amis et petit à petit, Pancho Kohner se métamorphose en producteur. A partir de 1976, il ne travaille que pour Bronson, cherche des sujets, romans et scénarios, qui conviennent à sa stature de star. Au final, 10 films ont vu leur concrétisation sur le grand écran sur une période s’étalant sur 13 années.

Kinjite est le 9ème film de J. Lee Thompson avec Charles Bronson. J. Lee Thompson le dirige pour la première fois dans Monsieur Saint-Ives (St-Ives, 1976) avec Jacqueline Bisset pour la Warner Bros. Suivent : l’étrange western Le Bison Blanc (The White Buffalo), dernier film dans le genre pour le réalisateur et l’acteur, produit pour Dino De Laurentiis. Cabo blanco (1980) avec la Française Dominique Sanda et Jason Robards. Ses films rencontrent le succès sur les écrans du monde entier. Le comédien n’a pas la réputation d’être simple à gérer, mais l’alchimie d’une relation professionnelle et amicale passe entre J. Lee Thompson et Charles Bronson. Ils s’estiment mutuellement. Thompson sait manier l’acteur dans des véhicules taillés sur mesure. Thompson, Bronson et Kohner représentent une prise de choix pour la Cannon.

J. Lee Thompson dirige Charles Bronson dans une série de polars certes inégaux, mais qui méritent largement d’être réévalué : Le justicier de minuit (10 to Midnight, 1983), La loi de Murphy (Murphy’s Law, 1986), Le justicier braque les dealers (Death Wish 4 : The Crackdown, 1987) et Le messager de la mort (Messanger of Death, 1988). Durant cette période un seul film échappe à la Cannon : L’enfer de la violence (The Evil That Men Do, 1984) produit par Sir Lew Grade pour ITC. Il émerge de ces polars une vision sombre et violente de la société. Kinjite n’échappe pas à ce constat.

Le scénario de Kinjite, sujet tabou est intéressant, car il mène de front deux histoires qui s’avèrent être un véritable choc culturel, entre la culture américaine et la Japonaise. Il est difficile de connaître exactement le contenu original du scénario d’Harold Nebenzal, le seul crédité au générique, sans avoir accès aux archives de la Cannon (si elles existent quelque part). Il est admis que Pancho Kohner et J. Lee Thompson ont apporté des grandes modifications à son scénario avant et pendant le tournage. Harold est le fils de Seymour Nebenzal, producteur entre autres de M le maudit (M – Eine Stadt sucht einen Mörder, 1931) de Fritz Lang. Ils fuient l’Allemagne nazie et se retrouvent aux Etats-Unis.

Ils produisent plusieurs films dont un excellent remake du Fritz Lang, réalisé par Joseph Losey. Durant la Seconde Guerre mondiale, Harold Nebenzal est traducteur et interprète du japonais pour la marine américaine. Dans le cinéma, il occupe différents postes de l’écriture à la production. On le retrouve ainsi sur Cabaret (1972) de Bob Fosse et L’œuf du serpent (The Serpent’s Egg, 1977) d’Ingmar Bergman, deux productions se déroulant à la montée du nazisme. Nebenzal était un passionné de culture japonaise. On retrouve dans Kinjite cette fascination pour une culture ancestrale aux codes culturels aux antipodes de la culture américaine. Le film se situe aussi dans une période particulière d’investissement massif des Japonais aux Etats-Unis. Le vaincu de la Seconde Guerre mondiale devenait une puissance économique. D’une manière irraisonnée un fort sentiment anti-asiatique étreint la société américaine. C’est durant cette période que SONY rachète à Coca-Cola Company, la Columbia, un des fleurons d’Hollywood. De quoi crée la panique. C’est dans ce contexte délétère de panique que Michael Crichton écrit Soleil levant, un best-seller que Philip Kaufmann porte à l’écran avec Sean Connery et Wesley Snipes. Thompson et la Cannon adaptent le scénario d’Harold Nebenzal à la situation du moment.

Ainsi, J. Lee Thompson raconte deux histoires en parallèle, celle de Crow, un flic de L.A. et celle d’Hiroshi Nada (James Pax), un salaryman délocalisé de Tokyo en Californie. D’un côté, le lieutenant Crowe (Charles Bronson) se débat dans un véritable cloaque. Los Angeles est une Babylone moderne où la fange côtoie les élites. Crowe traque Duke, rabatteur de jeunes femmes, très jeunes, fugueuses, droguées, étudiantes ou simples filles en quête d’argent « facile ». Duke n’hésite pas à kidnapper des filles qu’il repère dans les rues. A Los Angeles, tous s’achètent du corps des femmes aux industries de pointe. Tout est négociable. De l’autre, Hada, se conforme aux traditions japonaises et à son prolongement érotique dans les rapports hommes/femmes. Son couple bat de l’aile, Hada trouve auprès d’hôtesse de bar une vague « rustine » à ses désirs déviants. Il apporte avec lui ses fantasmes et dans des bouffés de délire tente de les assouvir en Amérique. La greffe ne prend pas.

L’histoire de Crowe et de Hada se rejoint par le bais d’une articulation scénaristique mettant en scène leurs filles respectives, dans un curieux parallèle. L’inspecteur Crowe est un raciste, il déteste autant les latinos (en bas d’échelle sociale) que les Japonais (en haut de la pyramide). Pourtant, son aveuglement va être mis à mal au cours e l’enquête sur le kidnapping de la fille d’Hara par un réseau de prostitution. Quelle que soit l’origine des gens des sentiments demeures par-delà les différences. Aux yeux de Crowe, Hara s’humanise par la souffrance, il n’est plus un Japonais, froid et distant, mais un être de chair et sang, sensible. Alors qu’un sentiment de compassion les rapproche, nous spectateur savons que Crowe et Hada ne sont pas tout blancs. C’est dans ce rapprochement que le film s’avère si retors et outrancier qu’il dépasse le simple opportunisme commercial.

Ainsi, Cowe est dans une croisade contre le vice, mais est à la limite de penchants étranges envers sa fille qu’il surprotège. Hada est taraudé par le vice, il franchit le pas en caressant une fille (celle de Crowe) dans un bus jusqu’à lui glisser un doigt. La réaction de la fille est immédiatement de crier contrairement à celle qu’Hada avait vue à Tokyo, qui dans la même situation, s’était laissé faire. La force du film est qu’il n’a aucune position morale, il ne renvoie même pas ses protagonistes dos à dos. J. Lee Thompson constat un choc des cultures aux marges de l’enfer pour le moins perturbant.

L’inspecteur Crowe est l’une des compositions les plus intéressantes de la carrière de Charles Bronson. Flic puritain, catholique, violent, xénophobe, raciste, il n’en est pas moins fasciné par l’ordure et les dépravations sexuelles qu’il combat. Sa plaque de policier, lui permet de franchir la ligne blanche en permanence. Il est parfaitement conscient de ses actes et les assume pleinement. Il n’hésite pas à torturer. « Je commence à leur ressembler » lance-t-il à sa femme. Il ne s’agit toutefois pas de rédemptions comme chez Martin Scorsese ou Abel Ferrara parce que J. Lee Thompson livre une série B efficace assez putassière à l’humour trash qui ne cesse d’intriguer.

Ainsi, le début avec sa scène dans la chambre se situe dans un temps déconstruit ou s’intercale le générique, apparaît un plan sans continuité directe dans l’histoire, Crowe (de dos) se penche sur une jeune femme allongée nue. C’est extrêmement curieux, ce plan semble tout d’abord inséré pour une question de rythme, puis on en vient à une sorte d’évidence : il fonctionne comme une projection mentale d’un fantasme érotique pour le moins trouble de l’inspecteur. Tout est bien vérolé, la décadence moral et sexuel gagne la société. J. Lee Thompson, malade, conscient d’imprimer ses derniers kilomètres de pellicule, termine sa carrière une vision apocalyptique de la société capitaliste.

Fernand Garcia

Kinjite : Sujet tabou, une édition Sidonis – Calysta dans sa copieuse Collection Charles Bronson. Le film est proposé pour la 1er fois en DVD et Blu-ray (unitaire ou combo) dans une excellente restauration (image et son). En complément : Une excellente présentation de cet étrange polar par Olivier Père (34 minutes). Charles Bronson, un héros populaire, documentaire sur Charles Bronson, des mines de charbon à son étoile sur Hollywood Boulevard, instructif (39 minutes).

Kinjite : Sujet tabou (Kinjite : Forbidden Subjects), un film de J. Lee Thompson avec Charles Bronson, Juan Fernandez, Perry Lopez, James Pax, Peggy Lipton, Sy Richardson, Marion Yue, Bill McKinney, Nicole Eggert, Amy Hathaway, Danny Trejo… Scénario : Harold Nebenzal. Directeur de la photographie : Gideon Porath. Décors : Whitney Brooke Wheeler. Costumes : Michael Hoffman. Montage : Peter Lee-Thompson et Mary E. Jochem. Musique : Greg De Belles. Producteurs exécutifs : Menahem Golan & Yoram Globus. Producteur : Pancho Kohner. Production : Golan – Globus Productions – The Cannon Group, Inc. Etats-Unis. 1989. 97 minutes. Couleur. TVC. Panavision sphérique. Format image : 1.85 :1. Ultra Stéréo. Audio : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD 2.0. Interdit aux moins de 12 ans.