Isadora – Karel Reisz

En 1927, au bord de la mer Méditerranée, Isadora écrit les mémoires de sa vie aidée par son assistant. Le film commence par un souvenir d’enfance quand elle fait le vœu à douze ans d’être fidèle à la beauté et la vérité, « car la beauté est la vérité ». Toute sa vie, Isadora poursuivra ce vœu en restant spontanée, agissant d’une manière instinctive, intègre à ses talents d’artiste et professeur, en poursuivant son rêve d’amour. Karel Reisz n’essaie pas de reconstituer sa vie de A à Z mais, par de nombreux flashbacks, il met l’accent sur les rencontres marquantes la vie de la danseuse américaine qui révolutionna la danse en Europe. Isadora est considérée comme la fondatrice de la danse contemporaine.

Il n’est pas étonnant que la comédienne Vanessa Redgrave et le réalisateur Karel Reisz, qui après le succès Morgan, aient décidé de travailler sur ce film, adaptation de My Life d’Isadora Duncan et Isadora Duncan : An Intimate Portrait de Stewell Stokes. Avec une maigre éducation de la danse, influencée par son frère (qu’on voit au début du film) qui prônait le retour à l’hellénisme, Isadora a réussi à casser les codes et à s’imposer comme une icône forte de la danse moderne. Isadora Duncan a inspiré beaucoup d’artistes et dans le domaine cinématographique Ken Russell (qui voulait devenir danseur) qui lui consacra un documentaire : Isadora Duncan, the Biggest Dancer in the World (1966) destiné à la télévision, film inclus dans le mouvement britannique contestataire du Free Cinema. La force d’un tel personnage, exubérant et complexe, qui luttait pour l’éducation des enfants démunis en allant jusqu’en Russie afin de fonder une école, ne pouvait que séduire Vanessa Redgrave connue au Royaume-Uni en tant qu’actrice engagée à l’extrême gauche.

Dans un entretien (Jeune Cinéma n° 122, octobre 1979), Karel Reisz a affirmé que ce film est dans la ligné naturelle de ses réalisations : « Tous mes films, d’une manière ou d’une autre, ont le même sujet. Ce sont des films-portraits, portraits d’individus dont la richesse spirituelle dépasse quelque peu celle du monde qui les entoure, et qui sacrifient quelque chose de leur liberté intérieure dans un effort pour s’adapter à la société. Mes films concernent tous des gens un peu en marge (outsiders), des inadaptés (misfits), des gens venus d’ailleurs. Et Isadora Duncan était tout à fait de ceux-là. »

Le film est construit sur à partir d’une amourette avec Monsieur « Bugatti », un homme qu’Isadora remarque au début du film du haut de sa terrasse, le poursuit afin de connaitre son identité et enfin sa rencontre avec ce Monsieur mystérieux, possesseur d’une Bugatti rouge fatal. Notons au passage, le remarquable travail du monteur Tom Priestley (Tess, Delivrance) qui contribué au tissage de ce formidable récit émouvant, riche et captivant du début jusqu’à la fin. Cette intrigue-là est le fil conducteur savamment tissé afin de mieux happer le spectateur.

Au début, on voit Isadora dicter les phrases – sa première idée de la danse nait du rythme des vagues, sa première perception de la musique des soupirs du vent dans les séquoias géants et elle-même est née sous le signe d’Aphrodite. Ce sont aussi les phrases clés qui apportent un éclairage sur le fonctionnement du personnage, naturel et spontané, qui sont aussi le fondement de l’enseignement d’Isadora.

L’histoire du passé est racontée du point de vue d’Isadora d’une manière impressionniste. Quand elle part à Paris avec ses amis dans une voiture et traversent un tunnel dans la montagne, on voit l’image de deux enfants qui regardent par la vitre arrière d’une voiture. Ceci provoque un changement brusque de l’état émotionnel d’Isadora, expliqué par la peur des tunnels. On n’apprendra que plus tard dans les flashbacks du film que c’est la dernière image qu’elle a gardé de ses enfants avant l’accident de voiture où ils trouvent la mort noyés.

 

Cette épisode de la vie d’Isadora restera la plus douloureuse, c’est la seule séquence où on entend la voix-off du personnage afin d’expliquer avec une sorte de culpabilité maternelle qu’elle avait pressenti la tragédie mais ne pouvait pas l’empêcher. On la voit décrire cette événement en pleurs accompagné d’un verre d’alcool tant c’est insupportable à raconter. La séquence de ce flashback est provoquée par une partie de cartes de tarot apportées par son ami Pim. Isadora tire la carte de la Faucheuse, ce qui ramène non seulement le mauvais souvenir mais aussi prédit sa propre fin tragique. Par biais de la voix-off, elle avoue qu’après cet accident elle n’a fait que fuir l’horreur de ce drame.

La séquence marquée par la couleur rouge, qui découle de la précédente comme une raison pour le choix de la Russie, raconte le séjour de la danseuse là-bas. Du point de vu de montage, elle est sublime. On assiste à une panne d’électricité à la représentation scénique, et Isadora demande son public, la plupart des militaires russes, de chanter. Au chant des voix, en montage parallèle, on voit Duncan au travail dans son école avec les enfants russes. Pour beaucoup de russes à cette époque-là, cette école était une question de survie. La séquence est aussi  une belle leçon de mise en scène.

Cette aventure russe a probablement contribué le plus à la célébrité de la danseuse, mais aussi attiré des foudres américaines profondément anticommunistes. Dans la construction dramatique du film, le point culminant c’est le retour du couple scandaleux Isadora et Sergeï Essenine, le poète révolutionnaire russe, aux Etats-Unis, où tout semble monter crescendo. Isadora donne un récital  Dance of Liberation dans un théâtre, pendant que dans la rue, Essenine écoute les discours du peuple américain tournés contre les bolcheviks russes, tournés contre eux, et la haine monte. Les américains semblent être scandalisés par le rouge de la robe d’Isadora et commencent à quitter la salle, alors qu’elle se dénude devant les spectateurs, c’est le choc ultime. On voit ici le personnage assez provocateur car sa vraie révolution n’était pas politique.

Le schéma du film est d’un biopic classique. Véritable force du film est le personnage extraordinaire et hors normes d’Isadora. Etant donné qu’il ne reste que très peu traces de mouvements d’Isadora sur les films d’archives, la reconstitution du personnage pouvait s’avérer assez risquée pour Vanessa Redgrave. Malgré les scènes chorégraphiées assez minimalistes, la comédienne s’en sort très bien. Sa formidable interprétation était récompensée par un Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes. Il ne reste plus qu’à redécouvrir ce film, dont la copie est superbe, sur la prêtresse de la danse. « Danser c’est vivre ! »

Rita Bukauskaite

Isadora est édité en combo DVD-Blu-ray master numérique haute définition (encodage 1920 x 1080p) par Éléphant classics Films en complément un document rare (et court) La dernière danse d’Isadora Duncan, le seul document restant la montrant dansant (22 secondes), la bande annonce pour l’edition DVD-blu-ray d’Isadora, une riche galerie de photos et les bandes annonces des autres titres disponibles (La vie privée d’un sénateur, Mask, Henry & June, Roméo & Juliette, My Left Foot, Susie et les Baker Boys, Bugsy Malone, Le Chevalier à la Rose et Swett Charity).

Isadora un film de Karel Reisz avec Vanessa Redgrave, James Fox, Ivan Tchenko, Jason Robards, John Fraser, Bessie Love, Libby Glenn, Cynthia Harris, Vladimir Leskovar… Scénario : Melvyn Bragg & Clive Exton. Adaptation : Melvyn Bragg d’après My Life d’Isadora Duncan et Isadora Duncan : An Intimate Portrait de Stewell Stokes. Dialogues additionnels : Margaret Drabble. Chorégraphie : Litz Pisk. Directeur de la photographie : Larry Pizer. Direction artistique : Jocelyn Herbert. Costumes : . Montage : Tom Priestley. Musique : Maurice Jarre. Producteurs : Robert & Raymond Hakim. Production : Universal Pictures Limited. Grande-Bretagne. 1968. 140 mn. Couleur (Eastmancolor / Technicolor). Format image : 1.85 :1. Son : VF et VOSTF DTS Dual mono 2.0.