How to Have Sex – Molly Manning Walker

En attendant leurs résultats au baccalauréat et en célébrant la fin du lycée, Tara (Mia McKenna-Bruce), Skye (Lara Peak) et Em (Enva Lewis) se dirigent vers une plage en Crète pour faire la fête, une station balnéaire méditerranéenne prisée. Le trio enchaîne les fêtes, en compagnie des jeunes anglais rencontrés à leur arrivée. Seule Em, la studieuse, pense qu’elle ira à l’université à l’automne, tandis que Tara et Skye pensent que leur avenir est moins certain.

Librement inspirée par ses propres souvenirs autobiographiques, la scénariste-réalisatrice anglaise Molly Manning Walker, 29 ans est également la directrice de la photographie pour d’autres cinéastes comme Charlotte Regan dans son film Scapper.  Molly Manning Walker a également réalisé des clips et des publicités qu’elle continue encore de faire, ainsi que deux courts métrages, avant de tourner son premier film How to Have Sex. Walker raconte : « Je voulais devenir réalisatrice de documentaire et j’ai commencé par étudier la cinématographie et le documentaire à la National Film and Television School de Londres. Je me suis rapidement rendue compte qu’il n’y avait pas beaucoup d’argent pour les documentaristes et que les étudiants de la filière fiction arrivaient à mobiliser plus de fonds pour leurs travaux, j’ai donc décidé de travailler comme chef opératrice dans la section fiction. J’ai filmé mon film de fin d’études avec ma meilleure amie comme réalisatrice. C’est seulement après que j’ai commencé à écrire mes propres films…».

How to Have Sex ou plutôt selon ce dont nous avons témoigné, le titre devrait être Comment ne pas s’amuser en faisant la fête en vacances à l’étranger avec ses amis, a été sélectionné et a fait l’objet d’un bouche-à-oreille précoce à Cannes avant même de remporter le prix par un jury présidé par l’acteur américain John C. Reilly à Un Certain Regard, la principale section parallèle du Festival de Cannes dédiée aux nouveaux talents : « Ce film a été le moment le plus magique de ma vie », a déclaré Walker, à l’annonce de son prix, et qu’elle le dédie à « tous ceux qui ont été agressés sexuellement ». Il a également été projeté au BFI London Film Festival et a été en compétition au Festival Nouvelles Vagues, à Biarritz.

En arrivant à Malia, les trois jeunes filles se scandent pendant le trajet en taxi depuis l’aéroport : « Meilleures! Vacances! Jamais! ». Malheureusement, au fur et à mesure que le film avance, nous ne ressentons aucun de ces slogans ! Tara, Em et Skye louent un appartement à la plage avec vue sur la piscine et se lient « d’amitié » avec deux garçons plus âgés joué par Shaun Thomas avec le surnom de Badger et Paddy, interprété par Samuel Bottomley. Tara et Skye s’affrontent pour conquérir Badger et Paddy en pratiquant tous les clichés des fêtes : alcool excessif, pool parties, des nuits blanches, et frites au fromage…Tara espère enfin perdre sa virginité. La cinéaste filme le trio portant des robes entièrement en lycra vert fluo lors de ces interminables fêtes et de jeux plus ou moins ridicules dans un environnement touristique superficiel qui nous laisse penser un peu à Spring Breakers de Harmony Korine ou à Aftersun, le premier film de Charlotte Wells présenté à Cannes l’année dernière et nominé aux oscars en 2022.Dans le sillage de Martin Parr qui a fait un autoportrait dans chaque pays, village et ville qu’il traversait en réalisant des séries sur le tourisme, où il montre le contraste entre l’attente et la réalité, Molly Manning Walker essaie de capter aussi dans son film à la fois la vitalité de la jeunesse mais aussi la normalisation de l’esthétique touristique.

Dans son long métrage à petit budget How to Have Sex, la cinéaste et son directeur de la photographie Nicolas Canniccioni utilisent en effet merveilleusement la caméra en capturant l’euphorie de la boîte de nuit, les soirées de beuverie nauséabonde où elle aborde une sorte d’« amitié » féminine évoluant au fil du temps. Mais Tara, Em et Skye avaient-elles un moyen de deviner qu’il y aurait un paysage sonore étouffé que Walker aurait créé pour elles à leur arrivée sur la plage en les filmant avec un détachement qui suggère l’horreur sociale ? Walker s’exprime : « Je voulais vraiment qu’on s’accroche aux visages comme si on pénétrait dans la tête des personnages. Une lumière expressive et naturelle qui s’inspire des variations de la luminosité en fonction des moments de la journéeOn a tourné le film en six semaines. Les deux premières ont été consacrées uniquement aux scènes de fête et les quatre suivantes étaient pour celles de l’hôtel. Lors de mes premiers jours de tournage, j’ai dû diriger 250 à 300 figurants en extérieur, une scène d’agression sexuelle et la scène de fellation sur scène, tout ça avec une météo complexe. Le troisième jour lors de la pause déjeuner, j’ai dû me rappeler à moi-même qu’il fallait que je prenne du plaisir malgré la difficulté » 

Le spectateur s’interroge ou non (selon ses goûts et le degré de saturation de voir une dizaine de films par jour à Cannes ou en projection presse ensuite) sur l’utilité de voir toutes ces scènes de fête inlassablement répétées tout au long du film où certains dorment sur les toilettes en ayant la gueule de bois alors qu’elle aurait pu pour certains (car d’autres pensent que c’est le cas) traiter sérieusement le sujet de la sexualité de ces jeunes, leurs angoisses sexuelles qui sont devenues un rite de passage pour de nombreux adolescents au Royaume-Uni et ailleurs. Or, son film ne nous donne pas vraiment de matière à réflexion à ce sujet.

La majorité des critiques cannois ont écrit : Tara, jeune femme incertaine sur sa sexualité, est justement le genre de personnage qu’on voit rarement traité dans la culture cinématographique… Faux : Selon une étude menée par des chercheurs de l’université d’UCLA en Californie et publiée par le site américain Variety : «  Les enfants âgés de 13 à 24 ans, également appelés la «génération Z», trouvent qu’il y a trop de sexualité au cinéma ou à la télévision. Et qu’ils aimeraient plus de diversités dans les relations entre les personnages… 44,3% d’entre eux trouvent que «la romance dans les médias est sur utilisée», et 39% apprécieraient le développement de relation non-romantique et/ou non-sexuelle entre les personnages. 47,5% estiment que la sexualité n’est pas nécessaire dans la majorité des intrigues dans les séries télévisées et/ou des films…Plus de quatre jeunes sur dix âgés de 15 à 24 ans n’ont pas eu de relations sexuelles en 2021. Pour ces jeunes, cette révolution asexuée est une manière de résister aux normes sociétales autour de l’intimité et de la sexualité… Loin des clichés d’une jeunesse pleine d’hormones, dont les interactions sociales sont dictées par des désirs débridés par des contraintes professionnelles et conjugales, les adolescents et jeunes adultes en Occident semblent vivre une récession sexuelle… ».

Une enquête de l’IFOP a surpris les générations plus âgées, celles qui sont directement concernées ne l’ont pas été. Quelqu’un s’est exclamé : « Pouvez-vous le croire, près d’un jeune sur deux n’a pas de relations sexuelles ! Ce à quoi un jeune a rétorqué : « Et alors »?

La comédienne Mia McKenna-Bruce est née à Londres et a joué dans Persuasion de Netflix dans le rôle de Mary Musgrove, avant d’endosser le rôle de Tara qui nous livre une bonne et subtile performance ainsi que Peake et Lewis sont respectivement excellentes dans le rôle de Skye et Em dans ce nouveau film.

Tara doit affronter ses démons, sa vulnérabilité et son doute de soi et surtout qu’elle sera confrontée à de nombreuses façons de faire l’amour : Avec la bouche, avec les mains, avec des jouets, avec un pénis à moitié mou à cause de l’alcool, pressée contre le sol, incapable de bouger devant un jeune homme quand elle dit non, demandera à nouveau… Dans un seul plan de film, nous voyons Tara glisser de l’exubérance à l’anxiété.  Le sound design en ce moment réalisé par Steve Fanagan est intéressant : tandis que Tara tente de sublimer son malheur sur la piste de danse, la musique s’apaise pour laisser place à sa respiration. Walker raconte : « Le choix des comédiens incarnant les six personnages principaux était capital car je crois qu’il y a un peu de moi à 16 ans dans chacun d’entre eux. La rencontre avec Mia McKenna-Bruce qui incarne Tara a été une évidence, elle avait cette nature joyeuse mais, au fond d’elle, une certaine tristesse que je n’avais vu chez aucune autre comédienne lors des castings. Il était primordial à mes yeux qu’elle ne joue pas la pauvre victime sans défense. On voulait que Tara soit pétillante, extravertie et drôle même après l’agression, parce que, malheureusement, c’est aussi une réalité pour pas mal de gens : il faut se relever et aller de l’avant. C’était la combinaison parfaite, je l’ai trouvée incroyable dès le départ. J’avais découvert Lara Peake dans une série télé et cela s’est fait rapidement. Les filles sont devenues très vite amies et ont passé des week-ends ensemble et les deux garçons se connaissaient déjà avant donc tout s’est constitué assez naturellement… ».

Tara est déchirée entre le sympa Badger et la force de Paddy. Pourtant, on ne ressent que vaguement ce tiraillement et ces vacances tant attendues ne se déroulent guère à la plage mais plutôt dans leurs chambres d’hôtel, en discothèques, à la piscine où à chaque fois une bande de jeunes extrêmement ivres crient, vomissent, boivent et fument… On a l’impression de vivre dans de sombres prisons même si tel était le but du cinéaste car ce film ne se transforme jamais en quelque chose d’autre. Le supposé « intrigue » ne se produit jamais et se termine de manière plate avec leur arrivée à l’aéroport pour rentrer chez elles sans rien résoudre.

Dans un flashback on apprend que Tara a perdu sa virginité à la plage avec Paddy et non avec le très doux Badger. Si nous nous en tenons aux faits de ce que le flashback nous montre, Paddy entraîne Tara à la plage et lui demande son consentement avant d’agir. Tara lui donne machinalement un oui et au début on pense que tout s’est relativement bien passé. Pour Paddy, cette première approbation est un droit à la pénétration quand il le souhaite et Tara résiste mollement par la suite. Le lendemain Tara est déçue par sa première expérience mais incapable d’expliquer à ses deux copines sa déception car elle se sent à la marge sur le plan sexuel et académique puisqu’elle a échoué son examen contrairement à ses copines qui ne sont pas vierges et elles ont réussi au lycée. De plus Em est trop occupée avec sa nouvelle copine lesbienne pour remarquer ce que Tara traverse, tandis que Skye est une brute peu sûr d’elle et essaie de saper Tara à chaque occasion en disant à Badger que Tara n’a jamais eu de relations sexuelles auparavant.

La cinéaste s’explique : « Je me souviens avoir ressenti du dégoût. Et je me souviens avoir été jalouse. Je voulais savoir comment faire l’amour. Comme Tara, j’ai ressenti la pression sociale. Mais une partie de moi pour laquelle je suis reconnaissante ne me permettrait pas de refléter ce comportement. Je savais que ce n’était pas le genre de sexe que je voulais… En vieillissant, j’ai réalisé que certaines de mes meilleures expériences sexuelles au cours de cette période étaient celles où je n’avais pas de relations sexuelles du tout. Peut-être que nous étions trop ivres, peut-être que je n’étais tout simplement pas sûr de devoir bouger, peut-être que nous nous amusions assez à nous embrasser ou à parler. Quand on est jeune, de toute façon, on ne sait pas comment faire l’amour. »

Pendant que Tara s’adapte et essaie de trouver de nouvelles façons de s’installer dans son corps, elle décide qu’il vaut mieux dire à ses amis qu’elle a eu des relations sexuelles plutôt que de parler de son « viol » ou pas puisque le film nous laisse perplexe. Ses sentiments restent sous la surface bien qu’heureusement le film ne sombre pas dans une spirale traumatisante complète une fois que les choses tournent mal : «Je pense qu’en tant que femmes nous connaissons trop cette expérience. Nous n’avons pas besoin d’être à nouveau traumatisées », a déclaré, à l’Agence France-Presse à Cannes, la cinéaste, pendant le festival.

On peut dire que ce film n’est ni engageant ni intellectuellement pertinent, mais plutôt une petite méditation sur le consentement avec des conversations interrompues peu convaincantes même si l’approche est non manichéenne car Walker prend soin de ne pas recourir à un didactisme réducteur, et montre qu’elle est passionnée par ses personnages : Badger se soucie de Paddy malgré sa désapprobation du comportement de son « ami », tout comme Tara a toujours peur de se séparer de quelqu’un d’aussi méchant que Skye. L’amitié dans ce film devient plus compliquée à comprendre à mesure que l’histoire avance, ou plutôt n’avance pas. Peut-être que la cinéaste essayait de nous dire qu’il n’y a pas d’amitié entre les jeunes ?

Certains critiques ont établi une comparaison entre le film de Lynne Ramsay de 2002, Morvern Callar, et How to Have Sex. S’il y a une comparaison à faire, c’est dans la manière de faire l’amour dans les deux films qui suivent de jeunes femmes ouvrières britanniques en vacances au soleil, l’une en Espagne et l’autre en Grèce où les choses deviennent chaotiques, amusantes et misérables, consensuelles et non consensuelles. Mais c’est là que s’arrêtent les similitudes, même si le film de Walker est prometteur et qu’elle pourrait devenir une bonne cinéaste.

Les critiques semblent partagées entre « le meilleur film de tous les temps » et « le pire film de tous les temps », ce qui n’est jamais bon signe. On peut dire que How to Have Sex semble vouloir aider les jeunes à réfléchir à leur sexualité. Mais il s’agissait là de tentatives infructueuses de compréhension dépourvues d’action et un peu dénuées de sens. Malgré sa subtilité et ses qualités esthétiques, c’est malheureusement sa limite car le film ne fait pas vraiment grand chose pour faire comprendre ce personnage, ce qu’il ressent ou ce qu’il vit. Si seulement la cinéaste l’avait soutenue au lieu de s’appuyer totalement sur sa performance laissant tout le film à l’interprétation. Sans structure ni sens clair le film ne va pas loin dans sa vocation pédagogique même s’il y a une sorte de grâce que Tara transcende grâce au regard perdu de la talentueuse actrice Mia McKenna-Bruce et à la manière que Walker la présente. C’est peut-être pour cela que How to Have Sex vaut le détour ? Mais rien de plus !

Norma Marcos

How to Have Sex, un film de Molly Manning Walker avec Mia McKenna-Bruce, Lara Peake, Shaun Thomas, Samuel Bottomley, Enva Lewis, Laura Ambler… Scénario : Molly Manning Walker. Image : Nicolas Canniccioni. Décors : Luke Moran-Morris. Costumes : Georges Buxton. Montage : Fin Oates. Musique : James Jacob.  Producteur : Konstantinos Kontovrakis, Emily Leo et Ivana MacKinnon. Production : Film4 – BFI – Heretic – Wild Swim Films. Distribution (France) : Condor Distribution (Sortie le 25 novembre 2023). Grande-Bretagne. 2023. 88 minutes. Couleur. 4K DCP. Tous Publics. Prix Un Certain Regard – Festival de Cannes, 2023