Hercule contre les Vampires – Mario Bava

Mario Bava n’est jamais plus beau que dans un espace qu’il contrôle totalement, lorsqu’il peut se déployer dans un monde qu’il façonne avec ses éclairages, ses zones de lumières et de couleurs. Mais que de chemins sinueux a-t-il dû parcourir avant que ses films ne soient reconnus dans toutes leurs dimensions poétiques et singulières. Confinés dans un cinéma de genre, zigzagant au gré des modes commerciales, ses films passent parmi la masse. Repéré pour ses qualités picturales, Bava acquiert progressivement ses lettres de noblesse auprès d’un petit cercle d’amateurs de cinéma Bis. La première difficulté étant de découvrir ses films dans les versions intégrales voulues par Bava, tant il aura au cours de sa carrière souffert de coupes dues autant à la censure qu’à des impératifs commerciaux différents suivant les pays.

Hercule contre les Vampires est la seconde réalisation officielle de Mario Bava. Elle suit Le Masque du démon, chef-d’œuvre du cinéma gothique qui avait fait forte impression et fait de sa « sorcière » Barbara Steele, une icône du cinéma populaire.

Son Hercule va être mal reçu. Il y a d’abord cette longue polémique à partir du titre français : s’agit-il de vampires ? Christopher Lee incarne-t-il Dracula, le prince des ténèbres ? Péplum ou film fantastique ? Chaque film de Mario Bava soulève son lot de questions, d’interrogations, et de batailles entre fans.

Robert de Nesle, producteur et distributeur français, choisit pour l’exploitation française en lieu et place d’Hercule au centre de la terre (Ercole al Centro della terra) titre original italien, le bien plus vendeur Hercule contre les Vampires, que les Allemands reprendront à leur tour. De Nesle a-t-il été aveuglé par le pré-générique ? Une séquence magistrale qui peut prêter à confusion. Un écran noir troué par un cri de terreur, par une nuit d’encre dans un cimetière abandonné. Allongée dans un fossé, une femme agonise, le cou ensanglanté. A-t’elle été victime d’un vampire ou d’un sacrifice humain ? Impression faussée par la présence de l’immense Christopher Lee, en maître de cérémonie qui en appelle aux forces des ténèbres afin que le jour devienne la nuit et que le Mal règne sur terre. Il n’a pas les célèbres canines du comte, nous sommes dans une autre mythologie, celles de morts. Aussitôt son forfait commis, les morts s’en retournent vers le néant, en laissant retomber la pierre tombale sur leur monde. Cette séquence pré-générique existait-elle dans la version sortie dans les salles françaises, le 9 mai 1962 ? Mystère. La durée annoncée dans les gazettes ciné de l’époque est de 76 minutes contre les 85 minutes originelles. Toujours est-il que le film avec son titre et dans sa version réduite désoriente la critique jusqu’à Michel Caen qui, dans Midi-Minuit Fantastique n°1 (Tome 1, réédition Rouge Profond), se demande : « Qui a réalisé l’admirable Masque du démon ? » Plus qu’Hercule contre les Vampires, Mario Bava déçoit. Et pourtant, Hercule contre les Vampire est une de ses œuvres esthétiquement les plus époustouflantes.

On pourrait dire que Reg Park est un très bon Hercule. Que Christopher Lee (Lycos) a toujours cette présence animale et sauvage qu’on lui connaît, un prince de l’horreur inégalable. Que les seconds rôles Giorgio Ardisson (Thésée) et Franco Giacobini (Télémaque), sont les archétypes du cinéma Bis italien : à l’un l’héroïsme, à l’autre le contrepoint comique. Que les femmes, Leonora Ruffo et Evelyn Stewart/Ida Galli sont un ravissement pour l’œil. Mais l’essentiel n’est pas là. Mario Bava n’est pas un directeur d’acteur dans le sens où il n’attend pas d’eux une performance. Bava filme des corps, des silhouettes dans un paysage. Comme un peintre, il a uniquement besoin de modèles.

L’histoire est écrite à quatre mains. Parmi celles-ci deux autres cinéastes, hors Bava, Duccio Tessari et Franco Prosperi, de très bons artisans du cinéma bis. Duccio Tessari est l’un des grands scénaristes du péplum. On retrouve sa signature et son humour dans Les derniers jours de Pompéi (Gli ultimi giorni di Pompei, 1959) de Mario Bonnard, Carthage en Flammes (Cartagine in fiamme, 1960) de Carmine Gallone, Messaline (Messalina Venere imperatrice, 1960) et La vengeance d’Hercule (La vendetta di Ercole, 1960) de Vittorio Cottafavi, Le Colosse de Rhodes (Il colosso di Rodi, 1961) de Sergio Leone, Romulus et Remus (Romolo e Remo, 1961) de Sergio Corbucci, etc. Il passe à la réalisation avec Les Titans (Arrivano i Titani) un des plus célèbres péplums italiens. Le scénario d’Hercule contre les Vampires envoie notre héros à la recherche de sa fiancée, Déjanire, sacrifiée aux forces des ténèbres par Lycos. L’Oracle expédie Hercule (et ses amis, Thésée et Télémaque) au centre de la terre, dans un univers cauchemardesque cercle incandescent de l’enfer. C’est dans cette partie, tournée en studio, que le génie pictural de Bava explose. Vision baroque et opératique encadrée par un Scope magnifique où les taches de couleur, rayons de lumière harmonieusement placés, habillent le décor de l’éclat des ténèbres. Il y a manifestement chez Bava une volonté de contrôler le monde qui donne à son Hercule un cachet unique.

Inventivité et sens graphique qui stimuleront d’autres imaginaires. Dario Argento s’en souviendra : le reflet de Christopher Lee dans la mare de sang, précurseur de celui de David Hemmings dans Les Frissons de l’angoisse, traitement similaire de la profondeur de champ et de la couleur dans Suspiria et Inferno

Émaillé de séquences spectaculaires, Bava clôt l’aventure sur une époustouflante attaque de morts-vivants. Hercule contre les Vampires est un sommet du péplum à tendance fantastique, un pur régal.

Fernand Garcia

Hercule contre les Vampires est une édition Artus Films. Le film est proposé dans sa version intégrale, dans un nouveau master 2K impeccablement restauré. En supplément, Artus films nous propose Thésée au centre de la terre, entretien avec l’acteur Giorgio Ardisson et l’historien du cinéma Fabio Melelli. Analyse du film et souvenirs de tournage entremêlés, sympathique et émouvante intervention de Giorgio Ardisson, disparu en 2014, un document précieux (25 minutes). Un diaporama de photos et d’affiches d’époque et enfin trois films-annonces pour l’exploitation aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne. Pour approfondir ses connaissances sur Mario Bava, le péplum, la mythologie et Vlad Dracul, un livre accompagne cette édition : Sur les Berges du Styx par Michel Eloy. On y apprend, par exemple, que la société de production d’Hercule contre les Vampires, appartenait au cardinal Giovanni Battista Montini, cardinal de Milan et… futur pape Paul VI ! Une édition (combo) de grande classe.

Hercule contre les Vampires (Ercole al Centro della terra / Vampire gegen Herakles) un film de Mario Bava avec Reg Park, Christopher Lee, Leonora Ruffo, Giorgio Ardisson, Franco Giacobini, Marisa Belli, Ida Galli, Mino Doro, Rosalba Neri, Monica Neri, Ely Draco, Gaia Germani… Scénario : Alessandro Continenza, Mario Bava, Duccio Tessari et Franco Prosperi. Directeur de la photographie : Mario Bava. Décors : Franco Lulli. Costumes : Mario Giorsi. Montage : Mario Serandrei. Musique : Armando Trovajoli. Producteur : Achille Piazzi. Production : S.P.A. Cinematografica. Italie – Allemagne. 1961. 85 minutes. Technicolor. Totalscope Super 100. Format image : 2,35 :1. Son Version Française et Version originale italienne sous-titré en français. Tous Publics.