Dino Risi – Vittorio Gassman

L’association Dino Risi – Vittorio Gassman est l’une des plus belles et féconde de l’histoire du cinéma. Elle s’inscrit au côté d’autres célèbres, John Ford – John Wayne, Akira Kurosawa – Toshiro Mifune, Martin Scorsese – Robert De Niro, Federico Fellini – Marcello Mastroianni.

Si Dino Risi est très proche de Gassman, celui‐ci n’incarne pas un double du cinéaste. Certains personnages ont certes des traits communs mais il s’agit pour la plupart de créations, de transformation de Gassman. « C’est avec Risi que je me suis le plus amusé ! Parce que Risi comptait sur l’improvisation » commenta à la fin de sa vie, le grand acteur italien. Quinze films éblouissants vont réunir les deux duettistes.

A l’origine rien ne prédestinait Gassman ce tragédien à la comédie. Il débute sur scène en 1941 dans la compagnie d’Alda Borelli. Il interprète les plus grands auteurs et s’illustrent dans le rôle de Kean qu’il porte à l’écran avec Francesco Rosi en 1956. Ses débuts à l’écran datent de 1946, des rôles superficiels et un emploi de jeune premier qui le laisse insatisfait. Quelques titres sont dignes d’intérêts : Le Cavalier mystérieux (Il Cavaliere misterioso, 1948) de Riccardo Fredda où il est un Giacomo Casanova convaincant et le classique du néoréalisme Riz Amer (Riso amaro, 1949) de Giuseppe De Santis. Au début des années 50, il est pris sous contrat à Hollywood. Il est dirigé par de solides artisans, Joseph H. Lewis, John Farrow, Charles Vidor ou Robert Rossen dans des films sans grand relief. King Vidor lui offre le rôle d’Anatole Kouraguine dans Guerre et paix (War and Peace, 1956) superproduction montée par Carlo Ponti et Dino De Laurentiis avec Audrey Hepburn et Henry Fonda. En Italie, Gassman acquière la réputation d’être un acteur prétentieux et de faire fuir le spectateur des salles obscures. Mario Monicelli impose Gassman dans Le Pigeon (I Soliti ignoti, 1958) et compose un savoureux boxeur minable. Le succès phénoménal du Pigeon va mettre sur orbite la comédie italienne. Très vite le genre va s’appuyer sur des réalisateurs, des auteurs et surtout des acteurs. Dans ce courant du cinéma populaire italien, de prodigieux acteurs vont émerger et se croiser de film en film : Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni et Alberto Sordi. Conscient de l’énorme potentiel de Vittorio Gassman, Risi le dirige pour la première fois en 1959 dans L’Homme aux cent visages (Il Mattatore), où il exploite son formidable don de transformiste. L’entente entre les deux hommes est parfaite. L’Homme aux cent visages est la première pierre d’une longue et fructueuse collaboration qui va permettre aux deux hommes de créer quelques‐unes des plus grandes œuvres de la comédie italienne. Risi et Gassman vont accompagner les bouleversements et les doutes de la société italienne à travers une galerie impressionnante de personnages.

Avec Le Fanfaron (Il Sopasso, 1962), Risi est le premier cinéaste à lui donner un grand rôle avec le visage de Gassman tel qu’il est sans artifices. Le Fanfaron permet à Gassman d’accéder à un statut de vedette qu’il ne quittera jamais. Il compose aux côtés d’Ugo Tognazzi un parfait idiot dans La Marche sur Rome (La marcia su Roma, 1962), brillante satire politique sur l’arrivisme sous le fascisme. Les Monstres (I mostri) est une prodigieuse galerie de portraits. Ce film à sketches féroce permet à Gassman et Tognazzi d’incarner des crapules toutes plus ignobles les unes que les autres. Petit à petit Gassman va trouver son emploi dans paysage italien. Ses rôles s’étoffent, son jeu prend de l’assurance. Risi écrit pour Gassman des personnages qui au fil des années vont devenir de plus en plus complexes. Gassman trouve sous la direction de Risi la possibilité de s’exprimer pleinement. Risi, contrairement à Monicelli par exemple, aime l’improvisation tout en restant dans les limites de sa structure scénaristique.

Son industriel dans Au Nom du peuple Italien (In nome del popolo italiano) est un parfait exemple de l’art de Gassman, tour à tour drôle, exécrable et pathétique. La plus impressionnante des confrontations à l’écran de Vittorio Gassman et d’Ugo Tognazzi. Parfum de femme (Profumo di donna, 1974) est l’un des sommets de la carrière de Dino Risi et de Vittorio Gassman. Rôle magnifique d’un aveugle fort en gueule dont le cynisme fait rire jusqu’à ce que le film bascule vers le mélodrame dans un sublime cri de désespoir. La maîtrise de Gassman est impressionnante, son art du jeu incomparable. Sa performance est à juste titre récompensée par le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1975. Risi accède définitivement à une reconnaissance internationale et par ricochet la comédie italienne gagne enfin ses lettres de noblesse et intéresse enfin la critique française dans son ensemble. Des grands films de la comédie italienne inédits jusqu’à lors sortent enfin sur les écrans français.

Les films suivants du duo Risi – Gassman seront empreints d’une grande nostalgie. Composition brillante d’un acteur de l’époque des téléphones blancs, grandiose et veule dans La Carrière d’une femme de chambre (Telefoni bianchi, 1975), aristocrate décadent dans Âmes perdues (Anima persa, 1977). Les Nouveaux monstres (I nuovi mostri, 1978) chant du cygne de la comédie italienne et merveille de lucidité et d’humour noir, un chef-d’œuvre du film à sketches. Incompréhension entre un père et son fils, rôle grave pour Gassman dans Cher papa (Caro papa, 1979). Risi et Gassman portent un regard sur la société, où se mêlent incompréhension et colère. Le film est tout autant une critique d’une société de consommation qu’une condamnation des idéologies qui mène les jeunes sur la voie de la criminalité. Cher papa est le dernier grand film les réunissant. Valse d’amour (Tolgo il disturbo) en 1990, le retour d’un ex‐banquier après dix‐huit dans un hôpital psychiatrique dans sa famille, n’est pas sans qualités ni charme, mais ne retrouve pas la verve satirique des grandes œuvres associant les deux compères.

Fernand Garcia

Filmographie Dino Risi – Vittorio Gassman

1959 L’Homme aux cent visages (Il Mattatore), 1962 Le Fanfaron (Il Sopasso), La Marche sur Rome (La marcia su Roma), 1963 Il Successo (Dino Risi dirige la quasi‐intégralité du film après le renvoi de son réalisateur), Les Monstres (I mostri), 1964 Il Gaucho, 1967 L’Homme à la Ferrari (Il tigre), 1968 Le Prophète (Il Profeta), 1971 Au Nom du peuple Italien (In nome del popolo italiano), 1974 Parfum de femme (Profumo di donna), 1976 La Carrière d’une femme de chambre (Telefoni bianchi), 1977 Âmes perdues (Anima persa), 1978 Les Nouveaux monstres (I nuovi mostri), 1979 Cher Papa (Caro papa), 1990 Valse d’amour (Tolgo il disturbo).