Allô… Brigade spéciale  – Blake Edwards

Après une journée de travail, Kelly Sherwood rentre chez elle dans la banlieue pavillonnaire de San Francisco. Kelly, belle célibataire, est caissière dans une importante succursale de la First Bank. Comme tous les jours, elle rentre en fin de journée et gare sa voiture dans son garage qui jouxte sa maison. Soudainement, sa vie va bascule: un inconnu l’agresse violemment et exige d’elle 100 000 dollars. Il a tout prévu, elle doit les voler à sa banque. Profondément choquée, elle trouve la force d’appeler le FBI, mais l’agresseur anticipant sa réaction est resté dans la maison et la contraint à raccrocher. Pourtant, l’appel n’est pas resté lettre morte, il intrigue l’inspecteur Ripley qui décide de retrouver la jeune femme…

Allô… brigade spéciale est un  formidable polar dans la droite ligne de ces romans qui vous tiennent en haleine jusqu’à la fin de la nuit. 118 minutes rondement menées.  Dès le générique, Blake Edwards installe sur des riens une atmosphère lourde. Une voiture décapotable au milieu de la circulation, une voiture parmi tant d’autres. Au volant, une femme, Kelly (Lee Remick). Musique lancinante du fidèle Henry Mancini sur un noir et blanc impeccable… plans d’ensemble où tout semble calme et pourtant dans le quartier de Twin Peaks un drame va surgir. Personne n’est à l’abri d’un basculement aussi inattendu que radical.

L’agression de Kelly est un pur moment de terreur. Il faut voir avec quel talent Blake Edwards le met en scène. Une porte de garage qui se referme… le silence qui envahit l’espace. Cette manière de rester sur son héroïne. Le découpage de la séquence est impressionnant. Il combine mouvement d’appareil pour rester au plus près du visage de Kelly. Edwards joue sur une lumière savamment disposée, laissant ses personnages dans une semi-pénombre. Un rayon de lumière sur les yeux apeurés de Kelly, tandis que l’agresseur la maintient contre lui. Au visuel, Edwards ajoute la voix si particulière de l’agresseur… asthmatique, elle n’en est que plus étrange, inquiétante. La longueur du plan nous entraîne jusqu’au malaise.

Allô… Brigade spéciale, dont le titre original Experiment in Terror représentant bien mieux, est l’histoire d’une chasse à l’homme. Comment un inspecteur du FBI,  John Ripley (Glenn Ford), va-t-il  coincer le maître-chanteur? Edwards met en scène avec une grande méticulosité le travail des agents du FBI. Le scénario est l’œuvre d’un ex-agent. Ce qui aurait dû n’être qu’une simple enquête, par le talent de Blake Edwards, va prendre des chemins plutôt surprenants pour qui ne connaît pas son œuvre. Il va travailler ses personnages au corps.

L’inspecteur John Ripley fait son boulot avec application, froidement et méthodiquement. A croire qu’il n’éprouve aucun sentiment ou alors il les garde pour lui. Pourtant, la carapace de l’agent va se fissurer. Edwards qui ne rechigne jamais devant un gros effet peut aussi faire preuve d’une grande finesse. Il évite soigneusement de créer le moindre lien « amoureux » entre Ripley et Kelly, mais va jouer sur l’ambiguïté de la relation. En cela le jeu, a priori en retrait, de Glenn Ford s’avère être un atout. Au cours d’un bref échange, entre Ripley et un informateur, on devine qu’il n’est pas insensible au charme de la jeune femme. Avec un simple champ / contrechamp sur Kelly en maillot de bain au bord d’une piscine, tout est dit par une simple image apriori anodine. Edwards transforme ce plan en un pur moment de voyeurisme pour l’informateur, une crapule sans aucune morale, et un pur moment de désir pour l’inspecteur.

Tout au long du film, Blake Edwards n’aura de cesse d’érotiser ses séquences. De la première, l’agression de Kelly, prise par-derrière, la bouche de l’agresseur à quelques centimètres de la sienne au rendez-vous manqué où elle part en voiture avec un homme qui la prend pour une prostituée. Sans parler du meurtre de Nancy (Patricia Huston) dans son atelier de mannequin ou du déshabillage de Toby (Stefanie Powers), la jeune  sœur de Kelly sous les yeux du maître-chanteur, etc.,  les exemples abondent. Allô… brigade spéciale, sous ses dehors de polar est un film sur la frustration sexuelle.

Blake Edwards est sans conteste l’un des meilleurs réalisateurs de comédie américaine, la série de Panthère Rose, Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, 1961), La Party (1968), Elle (Ten, 1979), S.O.B. (1981) (Victor, Victoria (1982), Boire et déboires (Blint Date, 1987), etc. mais n’oublions pas qu’il a réalisé d’excellents films dans d’autres genres: le polar évidemment, mais aussi le grand spectacle, le film d’espionnage, le drame psychologique et le western… des trésors à redécouvrir.

Blake Edwards a particulièrement bien distribué ses acteurs, des premiers rôles aux plus petits, ils sont tous excellents. Lee Remick, découverte dans en majorette dans Un homme dans la foule (A Face in the Crowd, 1957) d’Elia Kazan, est excellente.  Blake Edwards la dirige dès son film suivant dans Le Jour du vin et des roses (Days of Wine and Roses, 1962) sur les ravages de l’alcoolisme.

On n’en a plus idée aujourd’hui, mais Glenn Ford était une vedette de l’écran, d’abord sous contrat avec la 20th Century Fox puis avec la Columbia. Il alternait westerns et polars avec un réel bonheur. Son jeu est d’une grande finesse et apporte de la complexité à des personnages qui auraient pu paraître bien fades. Glenn Ford est un acteur sous-estimé. Ross Martin est devenu un acteur populaire avec son sympathique personnage des Mystères de l’Ouest, Artemus Gordon. Il doit en partie sa carrière à Blake Edwards, Martin apparaît dans la série TV Peter Gunn (1959), mais c’est la série Bonne chance M. Lucky (1959-1960) qui en fait un visage familier des téléspectateurs. Allô… Brigade spéciale est son premier grand rôle au cinéma. Edwards le dirige à nouveau dans sa superproduction La Grande course autour du monde (The Great Race, 1965), il y fait preuve d’un grand talent comique. Mais dès la fin des années 60, Martin se consacre exclusivement à la télévision.

A redécouvrir aujourd’hui, on se dit que Blake Edwards aura eu une belle influence sur les polars des années 70/80. Il ne fait aucun doute que Brian De Palma connaît le film. Le travelling rapide où le maître-chanteur apparaît déguisé en femme contre un pilier est repris dans Pulsions (Dressed to Kill, 1981). Allô… Brigade spéciale pourrait passer presque pour un ancêtre du giallo avec son « psychopathe » à la voix nasillarde. Enfin, Blake Edwards anticipe sur l’une des plus célèbre séquence de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) de Don Siegel, dans le stade.

Allô… Brigade spéciale est un joyau noir parmi les réussites de Blake Edwards.

Fernand Garcia

Allô… Brigade spéciale est édité par Sidonis / Calysta dans la collection Film noir / Femme en danger, dans une superbe copie en noir et blanc, image et son restaurés. Le film de Blake Edwards bénéficie de trois présentations par de grands connaisseurs du cinéma américain et en particulier du polar. Bertrand Tavernier revient sur son premier avis, mitigé, des années 60, il redécouvre positivement le film plus de cinquante ans après. Tavernier admire particulièrement la somptueuse photographie de Philip Lathrop, inventive et spectaculaire et la splendide musique d’Henry Mancini… mais aussi la mise en scène de Blake Edwards (25 minutes). Patrick Brion évoque la place du film dans la carrière du cinéaste (7 minutes). Intervention toujours aussi éclairante de François Guérif pour qui Experiment in Terror est une réussite dans le genre et une démonstration de mise en scène extraordinaire (18 minutes). Trois interventions passionnantes et truffées d’informations. L’ensemble est complété par la Bande-annonce américaine (2,40 mn) et une Galerie de photos.

Allô… Brigade spéciale (Experiment in Terror) un film de Blake Edwards avec Glenn Ford, Lee Remick, Stefanie Powers, Ross Martin, Roy Poole, Anita Loo, Albert Green, Ned Glass, Patricia Huston…  Scénario : The Gordon (Gordon Gordon & Mildred Gordon) d’après leur roman Operation Terror. Directeur de la photographie : Philip Lathrop. Décors : Robert Peterson. Montage : Patrick McCormack. Musique : Henry Mancini. Producteur : Blake Edwards. Production : Geoffrey-Kate Productions – Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1962. 123 mn. Noir et blanc. Format image : 1.85 :1. Radio 16/9e. Son 5.1. et stéréo 2.0. VOSTF et VF. Tous Publics.