Wim Wenders – Toute la mémoire du monde, 2018

Wim Wenders, Parrain du Festival

Prestigieux « Parrain » de cette 6ème édition du Festival Toute la mémoire du monde, amoureux du cinéma, maître dans son Art, soucieux et concerné par ces questions de collectes, de sauvegardes, de restaurations et de diffusions du patrimoine cinématographique, le cinéaste allemand Wim Wenders a honoré le Festival de sa présence et de sa participation active. Avec la présentation de son film Les Ailes du Désir (Der Himmel Über Berlin, 1987) en ouverture de la manifestation, mais aussi de L’Etat des Choses (Der Stand Der Dinge, 1981), de Faux Mouvement (Falsche Bewegung, 1974), Paris, Texas (1984), L’Angoisse du Gardien de But au Moment du Pénalty (Die Angst Des Tormanns Beim Elfmeter, 1971), Alice Dans Les Villes (Alice In Den Städten, 1974), L’Ami Américain (Der Amerikanische Freund, 1976), Au Fil Du Temps (Im Lauf Der Zeit, 1976)  ou encore de Tokyo-Ga (1983), mais encore avec sa Master Class, et les présentations des films de sa Carte Blanche, ce grand réalisateur, tout comme Francis Ford Coppola, William Friedkin, Paul Verhoeven et Joe Dante lors des éditions précédentes, était au cœur même de cette nouvelle édition de Toute la mémoire du monde. Accueilli avec ferveur par un public admiratif venu nombreux, c’est avec un réel plaisir partagé que Wim Wenders est venu passer quelques jours à la Cinémathèque pour parler cinéma.

Né en le 14 août 1945 à Düsseldorf en Allemagne, Wim Wenders effectue d’abord des études de médecine et de philosophie à Munich, Fribourg et Düsseldorf. Il interrompt celles-ci et passe l’année 1966-1967 à Paris où il « découvre » le cinéma en fréquentant assidûment la Cinémathèque française. Il y fonde sa culture cinéphile en découvrant aussi bien Friedrich Wilhelm Murnau, Fritz Lang ou encore Yasujirô Ozu. En 1968, il rentre en Allemagne et intègre la Hochschule für Film und Fernsehen, l’Ecole supérieure du cinéma et de la télévision de Munich où il réalisera son film de fin d’études Un été dans la ville (Summer of the City, 1970) inspiré par le cinéma de John Cassavetes. Parallèlement, il écrit des critiques de films pour la presse et différentes revues.

Avec pour objectif d’être des auteurs totalement indépendants de la production à la distribution en passant évidemment par la réalisation de leurs films, Wenders crée en 1971 avec d’autres réalisateurs importants du Nouveau cinéma Allemand, un mouvement associatif qu’il quittera en 1974 en créant cette fois sa propre société, la Wim Wenders Produktion. Alors âgé de 27 ans, pour son deuxième long métrage, L’Angoisse du Gardien de But au Moment du Pénalty (Die Angst Des Tormanns Beim Elfmeter, 1971), le réalisateur adapte un roman de Peter Handke avec qui il se lie d’amitié. Influencé cette fois par le cinéma d’Alfred Hitchcock, le film marquera le début d’une fructueuse collaboration non seulement avec l’écrivain autrichien dont il traduira en image son influence expérimentale avec des silences, des dialogues en décalage, une absence d’explications logiques, un montage syncopé ou encore des ellipses déstructurant la narration, mais aussi avec le comédien Rüdiger Vogler qui deviendra l’acteur fétiche et double du cinéaste. Il réalise ensuite La Lettre Écarlate (Der scharlachrote Buchstabe, 1972) adapté du roman éponyme de Nathaniel Hawthorne.

Mais c’est en 1974 avec Alice Dans Les Villes (Alice In Den Städten, 1974), le premier film de sa trilogie dite « du voyage », composée avec Faux Mouvement (Falsche Bewegung, 1975), inspiré du Wilhelm Meister de Goethe, et Au Fil Du Temps (Im Lauf Der Zeit, 1976), de road movies contemplatifs, que le cinéaste opère une véritable rupture artistique révélant toute sa singularité, ses thèmes de prédilection et sa forme intimiste et romantique. Avec ces films dans lesquels il porte un regard désabusé sur la société allemande d’après-guerre en général et sa génération en particulier, il affirmera son goût pour les personnages en marge, l’incommunicabilité, l’errance, les paysages, le voyage aussi bien physique qu’introspectif ou encore la quête existentielle, tout en faisant part dans le même temps de sa fascination pour la culture musicale et cinématographique américaine. Ces films sont fondateurs de son œuvre. Au Fil Du Temps lui vaut sa première sélection au Festival de Cannes où il reçoit le Prix de la critique internationale.

En 1976, en réalisant entre l’Europe et les États-Unis L’Ami Américain (Der Amerikanische Freund, 1976), relecture très personnelle du roman de Patricia Highsmith au casting extraordinaire regroupant notamment Dennis Hopper, Nicholas Ray et Samuel Fuller, Wenders élargit son horizon cinématographique autant que sa notoriété. Les portes d’Hollywood vont s’ouvrir à lui.

L’année suivante il acceptera l’invitation de Francis Ford Coppola et se rendra aux États-Unis afin de réaliser pour le compte d’American Zoetrope, la maison de production de Coppola, Hammett (1982), un film rendant hommage à Dashiell Hammett, le célèbre auteur de polars. Mais, en raison d’un conflit ouvert entre Wenders et le studio sur le projet, tant sur l’écriture du scénario que sur le financement, le casting et la direction artistique, la mise en scène même, le film sera retardé et ne sortira en salles qu’en 1982. La production de ce projet chaotique durera quatre ans.

Cependant, pendant les interruptions de tournage, le cinéaste, amateur de littérature et cinéphile averti, réalisera en parallèle deux autres films interrogeant tous deux la création cinématographique : Nick’s Movie (Nick’s Film – Lightning Over Water, 1980), un documentaire sur les derniers mois de vie du réalisateur Nicholas Ray, atteint d’un cancer, et L’Etat des Choses (Der Stand Der Dinge, 1981), un film qui évoque les divers difficultés à surmonter lors de la réalisation d’un film et met en abîme sa propre expérience sur le tournage de HammettL’Etat des Choses vaut au réalisateur de recevoir le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1982.

Pendant la longue production de Hammett, Wim Wenders rencontre Sam Shepard qui va lui faire lire, avant publication, son manuscrit de Motel Chronicles. Après une période d’échange et d’écriture avec l’écrivain, Wenders décide de partir en repérages aux Etats-Unis accompagné de son assistante Claire Denis afin d’apprivoiser la lumière si particulière de l’Ouest. Le film est un drame sur le nouveau départ et la possibilité de réparer les erreurs passées qui prend pour décor les grands espaces. Interprété par l’immense Harry Dean Stanton, Dean Stockwell et Nastassja Kinski que le cinéaste retrouve neuf ans après Faux Mouvement, son émouvant et puissant road movie, sa traversée de l’Amérique, marquera la consécration du cinéaste. Terminé juste à temps pour la projection de presse du Festival de Cannes en 1984, Paris, Texas remportera la Palme d’Or et le prix de la Critique Internationale (FIPRESCI).

Après plusieurs films tournés à l’étranger, Les Ailes Du Désir, son poème à Berlin tourné deux ans avant la chute du Mur, marque le retour de Wenders en Allemagne et remporte le Prix de la mise en scène à Cannes en 1987. Il réalisera une suite de ce film après la chute du Mur. Intitulée Si loin, si proche ! (In weiter Ferne, so Nah!, 1993), cette suite remporte le Grand prix du jury à Cannes.

Dans un coin de sa tête depuis 1977, c’est en 1989 que Wenders s’attaque à un ambitieux projet de science-fiction, une fable futuriste, dont le tournage durera un an et demi. Jusqu’au bout du monde (Bis ans Ende der Welt, 1989), dont la durée initiale de 280 minutes sera réduite à 180 minutes pour sa sortie en salles en 1991, déconcerte la critique comme le public.

Le cinéaste-voyageur réalise ensuite Lisbonne Story (Lisbon Story, 1994), puis, aux côtés de Michelangelo Antonioni, Par-delà les nuages (Al di là delle nuvole, 1995). Après Les Lumières de Berlin (Die Gebrüder Skladanowsky, 1995), Wenders retourne aux Etats-Unis où il réalise des films désenchantés sur l’évolution de la société américaine : The End of Violence (1997) avec Gabriel Byrne, Bill Pullman et Andie MacDowell; The Million Dollar Hotel (2000) avec Mel Gibson, Gloria Stuart, Amanda Plummer et Milla Jovovich; Land of Plenty (2004), une méditation sur les conséquences des attentats du 11 septembre 2001, et Don’t Come Knocking (2005) avec Jessica Lange, Tim Roth, Sarah Polley et qui marque également ses retrouvailles avec Sam Shepard. Il tourne ensuite Rendez-vous à Palerme (Palermo Shooting, 2008), Miso Soup (2009), un thriller inédit en France avec Willem Dafoe,  Every Thing Will Be Fine (2015) avec James Franco, Charlotte Gainsbourg, Marie-Josée Croze et Rachel McAdams, Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016) et Submergence (2017).

N’oublions pas non plus que Wim Wenders est un photographe passionné et un grand documentariste amoureux des Arts. Parmi les nombreux documentaires qu’il a réalisé, on lui doit entre autres Nick’s Movie (Nick’s Film – Lightning Over Water, 1980), Docu Drama (1984), Tokyo-Ga (1985) qu’il tourne au Japon et qui n’est autre qu’une magnifique déclaration d’amour au cinéma de Yasujirô Ozu, Willie Nelson at the Teatro (1998), le triomphal Buena Vista Social Club (1999) sur la musique cubaine, Viel Passiert Der BAP Film (2002) sur un groupe de rock originaire de Cologne, The Soul of a Man (2003) que produit Martin Scorsese et dans lequel il rend hommage à quelques pionniers du blues, Pina (2011), un impressionnant film hommage à la chorégraphe Pina Bausch tourné en 3-D, ou encore Le Sel de la Terre (The Salt of the Earth, 2014) retraçant la vie du photographe Sebastião Salgado.

C’est donc sur l’ensemble de son œuvre et de sa carrière, aussi bien sur son parcours dans les années 1970 en Allemagne que sur ses expériences aux Etats-Unis et à travers le monde depuis les années 80 qu’est revenu le réalisateur lors de sa Master Class. Une carte blanche et une programmation de plusieurs films de Wim Wenders ont permis aux spectateurs de revisiter son univers de créateur et de cinéphile.

Steve Le Nedelec