Une Femme fantastique – Sebastián Lelio

Marina et Orlando, de vingt ans son aîné, s’aiment loin des regards et se projettent vers l’avenir. Lorsqu’il meurt soudainement, Marina subit l’hostilité des proches d’Orlando : une « sainte famille » qui rejette tout ce qu’elle représente. Marina va se battre, avec la même énergie que celle dépensée depuis toujours pour devenir la femme qu’elle est : une femme forte, courageuse, digne… une femme fantastique !

L’origine du projet d’Une Femme Fantastique (Una Mujer Fantástica), le nouveau film du cinéaste Argentin Sebastián Lelio, est liée à son précédent film, Gloria (2013), qui résumait en quelque sorte ce qu’il disait dans ses trois premiers films. Tout en dressant une nouvelle fois le superbe portrait d’une femme indépendante, marginalisée et laissée pour compte, avec Une Femme Fantastique le réalisateur passe donc à autre chose et aborde de nouveaux sujets. Évitant les écueils du militantisme à outrance et de la moralisation dégoulinante, évacuant avec intelligence les clichés, les raccourcis et autres idées reçues, le film pose de nombreuses questions et aborde avec acuité différentes thématiques comme l’amour, la liberté, la différence, la sexualité ou le genre tout en peignant dans le même temps un tableau pertinent, vingt-cinq ans après la fin de la dictature de Pinochet, de la réalité sociale actuelle du Chili.

« Avec Una Mujer Fantástica j’ai voulu répondre à cette question : que se passe-t-il quand on meurt dans les bras de la mauvaise personne ? » Sebastián Lelio.

N’envisageant pas de faire ce film sans une actrice transgenre, lorsque Sebastián Lelio rencontrait, accompagné de son coscénariste Gonzalo Maza, des femmes transgenres pour les guider dans l’écriture du scénario, ce dernier a rencontré la comédienne Daniela Vega qui, avant que le cinéaste ne se rende compte qu’elle était son héroïne et ne lui propose d’interpréter le personnage principal de Marina, n’a d’abord été associée au projet qu’en tant que consultante.

« Pour moi, cela aurait été une aberration, un anachronisme esthétique dans une époque où l’on voit émerger un nouveau paysage des genres. Faire l’inverse m’aurait rappelé les débuts du cinéma, quand les noirs avaient l’interdiction de jouer dans des films et les comédiens blancs se mettaient en scène, grimés en noirs. Tourner mon film sans un vrai personnage trans aurait été aussi brutal. » Déclare le réalisateur.

Avec son jeu à la fois grave et léger et sa présence aussi lumineuse qu’énergique, la talentueuse et fascinante Daniela Vega apporte non seulement une sensibilité et une vérité à son personnage mais également un précieux réalisme au film.

Fondamentalement humaniste, Une Femme Fantastique est un film poétique, délicat et pudique qui, à travers le personnage de Marina qui affronte courageusement le mépris des autres, dénonce la cruauté ordinaire. Son esthétique épurée oscille entre plusieurs genres différents qui vont du cinéma romantique au thriller en passant par le fantastique. À défaut d’être un documentaire Une Femme Fantastique a le mérite d’avoir une valeur de « document » sans pour autant tomber dans une démarche militante. Se nourrissant d’expériences vécues, du réel et sans avoir pour autant l’esthétique du réalisme social comme on a l’habitude de le voir au cinéma, la résonnance actuelle d’Une Femme Fantastique dans nos sociétés est indéniable. A l’instar des combats que mènent les personnes et les associations soucieuses de faire avancer la société, en questionnant le spectateur, Une Femme Fantastique est une œuvre qui contribue à faire  reculer l’obscurantisme et l’égoïsme que crée la bêtise du capitalisme à outrance. Le film est en parfaite adéquation avec notre époque.

Avec ce film intransigeant et bouleversant, on ne peut que se réjouir du fait qu’il existe encore (hors de nos frontières) des cinéastes qui ont quelque chose à dire et qui le font en totale liberté. Il existe encore des films qui ne sont pas formatés par les « codes » que dicte le « marché ». Il est très intéressant de comparer la création artistique (sa richesse et son engagement) d’un pays qui sort d’une dictature politique avec celle de pays qui en sont devenus victimes d’une tout autre.

C’est avec impatience que l’on attend déjà Disobedience, le prochain film de Sebastián Lelio qui ne fera pas exception à la règle et mettra en avant de nouveaux personnages féminins. A l’affiche de ce nouveau film on retrouvera entre autres les comédiennes Rachel Weisz et Rachel McAdams.

Steve Le Nedelec

Une femme fantastique (Una Mujer Fantástica) un film de Sebastián Lelio avec  Daniela Vega, Francisco Reyes, Luis Gnecco, Aline Küppenheim, Nicolas Saavedra, Amparo Noguera, Antonia Zegers… Scénario : Sebastián Lelio et Gonzalo Maza. Images : Benjamin Echazarreta. Direction artistique : Estefania Larrain. Montage : Soledad Salfate. Musique : Matthew Herbert. Coproducteurs : Maren Ade – Fernanda Del Nido – Jonas Dornbach – Janine Jackowski. Producteurs : Juan de Dios Larrain – Pablo Larrain – Sebastián Lelio – Gonzalo Maza. Production : Participant Media – Fabula – Komplizen Film – Muchas Gracias – Setembro Cine – ZDF-ARTE. Distribution (France) : Ad Vitam (sortie le 12 juillet 2017). Chili – Allemagne – Espagne – Etats-Unis. 2017. 104 minutes. Couleur. Ratio image : 2.35 :1. Ours d’argent du meilleur scénario, Festival de Berlin, 2017