Le violent – Nicholas Ray

Dixon est scénariste à Hollywood, sa carrière patine depuis quelque temps. Chez « Paul », le restaurant du tout-Hollywood, Dixon y retrouve son agent Mel. Il lui propose de faire l’adaptation d’un roman à succès. Livre dont la fille du vestiaire, Mildred, vient de terminer la lecture. Dixon est peu emballé par la proposition. Durant la soirée, il a une altercation avec un producteur à qui il reproche de faire toujours le même film. En quittant le restaurant, Dixon invite la fille du vestiaire à venir chez lui afin de lui raconter le roman. En arrivant, Dixon et Mildred croisent Laurel, une voisine. Après avoir appris les subtilités du roman, Dixon renvoie Mildred en lui donnant l’argent pour un taxi.  Le lendemain, la pauvre jeune fille est retrouvée assassinée…

Le violent est l’un des plus grands films de Nicholas Ray, une œuvre tout simplement magnifique. Le violent nous rappelle à quel point Nicholas Ray est un immense cinéaste et Humphrey Bogart un acteur d’une incroyable puissance.

Dès la séquence d’ouverture le ton est donné. Au volant de sa voiture, Dixon a une altercation avec un automobiliste petit ami d’une actrice. Nous sommes d’emblée happés par la qualité des dialogues et bien sûr du jeu: tous les acteurs sont remarquables. L’intrigue policière n’est qu’un prétexte à un portrait d’artiste et à celui d’un système à broyer les individualités. Sans ouvertement le dire, Le violent est une charge contre Hollywood. Dixon est d’un bloc, scénariste engoncé dans la solitude et la hantise de la page blanche. Son visage usé traduit parfaitement ses blessures intérieures et extérieures encore à fleur de peau.

Des éléments de son passé nous sont révélés par bribes, qui ne sont que des faits divers, la surface publique de cet homme est minée de l’intérieur. Il gagne sa vie grâce à son imagination, à cette habileté à rendre visibles les sentiments humains les plus secrets qu’il puise en lui-même. Mais la source s’est tarée avec son isolement. Dixon est un écrivain en panne… jusqu’à ce qu’il tombe amoureux de sa voisine Laurel, c’est un nouveau départ. L’écriture, la création représentent ce qu’il peut donner, la preuve éclatante de son amour. Il écrit dans un état second, elle le tape à la machine. Son adaptation d’un roman à l’eau de rose est truffée de notations personnelles, de phrases à destination de l’être aimé, mais comme tout artiste, il sait intérieurement que la passion porte en elle sa propre autodestruction. Et c’est l’anxiété de la trahison qui petit à petit va faire son travail de sape. De son côté, Laurel étouffe sous le poids de cet amour. Leur histoire est vouée à l’échec.

La mise en scène de Ray est parcourue de fulgurance, de scènes improvisées qui ajoutent un naturel confondant. Ainsi, une admirable scène où Dixon, au petit matin, découpe un pamplemousse tout en expliquant à Laurel que dans un bon film, on ne dit pas « je t’aime », mais on doit voir dans l’attitude des personnages qu’ils s’aiment. A ce moment précis, Laurel ne l’aime déjà plus, sentiment qui renforce encore la scène. Le violent est une œuvre où abondent les annotations autobiographiques, sorte d’autoportrait de Nicholas Ray. Au moment du tournage, Gloria Grahame est son épouse. Le couple est en pleine crise, ils divorceront avant la fin du tournage. Cette tension est palpable dans chaque plan.

Humphrey Bogart est admirable dans un rôle particulièrement difficile, tantôt cynique, attendrissant et violent, certainement l’une des plus belles interprétations de sa carrière. On comprend sans peine à le voir la fascination qu’il exerça sur nombre d’acteurs et de réalisateurs. Quant à Gloria Grahame, l’objet du désir, son visage exprime une incroyable tension émotionnelle, comme si un danger planait en permanence au-dessus d’elle. Dans ses yeux, ce n’est pas l’horizon du bonheur qui s’y déploie mais la noirceur d’un cauchemar qui petit à petit la gagne totalement.

La fin est un moment poignant, la séparation d’un couple qui s’enfonce chacun de son côté dans le néant. Le violent est un magnifique chant d’amour, un authentique film noir, un pur chef-d’œuvre.

Fernand Garcia

Le violent est édité dans la collection Film noir de Sidonis / Calysta, superbe master haute définition en noir et blanc, image et son restaurés. En compléments, trois présentations passionnantes. Tout d’abord François Guérif évoque entre autres Dorothy B. Hughes, la romancière à l’origine du film avec son roman Tuer ma solitude et ce que Fitzgerald appelait la fêlure, la difficulté d’écrire (8 minutes). Puis, Patrick Brion revient sur divers aspects du film et le couple Nicholas Ray – Gloria Grahame (14 minutes). Enfin, Bertrand Tavernier revient sur Nicholas Ray, divers éléments de sa carrière et sur le tournage du film (27 minutes). Cet ensemble constitue une mine d’informations des plus utiles pour pénétrer au cœur de ce formidable film. Enfin une galerie d’affiches et la bande-annonce américaine du Violent clôturent la section complément.

Le Violent (In A Lonely Place) un film de Nicholas Ray avec Humphrey Bogart, Gloria Grahame, Frank Lovejoy, Carl Benton Reid, Art Smith, Jeff Donnell, Martha Stewart, Robert Warwick… Scénario : Andrew Solt. Adaptation : Edmund H. North d’après le roman de Dorothy B. Hughes. Directeur de la photographie : Burnett Guffey. Directeur Artistique : Robert Peterson. Montage : Viola Lawrence. Musique : George Antheil. Producteur : Robert Lord. Production : Santana Production – Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1950. 90 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33 :1. Compatible 16/9e. Son VOST et VF. Tous Publics. Rétrospective Nicholas Ray à la Cinémathèque Française.

Une réflexion au sujet de « Le violent – Nicholas Ray »

Les commentaires sont fermés