TechnoBoss – João Nicolau

Luis Rovisco (Miguel Lobo Antunes) est à l’arrêt sur une aire d’autoroute. Son présent est en suspens, sa retraite approche. Voyageur (et technicien) de commerce, il travaille pour SegurVale, spécialisé dans les Systèmes Intégrés de Contrôle d’Accès. Luis attend. Sa voiture, gagnée dans un concours de boîtes de céréales, est en panne. Tout comme sa vie. Il ne le sait pas encore, mais la ligne droite du temps va se muer en une ligne circulaire…

Luis se détache du monde réel par la subversion de l’âge. Ce qui constitue son quotidien avec ses longs trajets en voiture d’un client à l’autre va être l’occasion d’un retour sur soi, vers l’enfance, sorte de retour au début du monde. Ainsi, chanter seul (acte banal) dans sa voiture prend alors une coloration de revendication sociale plus que de  lamentation sur son sort. Point de fado (vu l’origine du film) mais une dérive vers une musique populaire de salle de bal, de fêtes au village avec ses groupes hétéroclites et improbables (des hard-rockeurs reprennent une comptine).

Plus notre VRP avance et plus le monde qui l’entoure subit un dérèglement. Tout d’abord le langage, avec ses phrases toutes faites du néolibéralisme sortant de la bouche des managers comme une récitation creuse proche de l’incantation mystique. La novlangue commerciale est le socle d’une distanciation sociale qui renvoie les êtres au vide (comme les caméras de surveillance de Luis qui ne filment, la majeure partie du temps, qu’un espace inoccupé, sans vie) et au confinement. Dans ses pérégrinations, Luis se retrouve enfermé dans un sous-sol de l’hôtel où il intervient. Lui, l’installateur ne se souvient plus du code de déverrouillage des portes. Luis réalise qu’il est déjà ailleurs, la question de « comment sortir ? » ne se pose déjà plus. Luis est déjà sur un autre chemin.

TechnoBoss est la sortie d’un monde de faux-semblants par un homme qui, sur le tard, découvre que l’essentiel est ailleurs. Mais où ? Un amour qui dépérit dans un hôtel. Une femme laissée sur le bas-côté de l’autoroute de la vie, trente ans auparavant ? Luis se comporte comme un gamin dans son désir de reconquérir Lucinda. Il est à une intersection de la vie. Dire au revoir au train-train quotidien, et ce, malgré son amour pour son petit-fils, et partir à l’aventure, sans regret. Son plus fidèle ami, son chat Napoléon, meurt et s’évapore dans les synapses de la mémoire. Son univers familier prend une tournure fantastique.

Tout passe et au bout du bout du chemin que reste-t-il ? Pas grand-chose en définitive. Des routes, des chambres d’hôtel, un coffre-fort à la combinaison défaillante, des écrans de surveillance qui ne racontent absolument rien, un absurde système d’alarme sensé se déclencher quand un vieux s’effondre mort sur le sol d’une maison de retraite, une barrière d’accès parking qui ne peut stopper son mouvement de balancier, une histoire d’amour malheureuse… Beaucoup et pas grand-chose, des instants de vie.

João Nicolau signe un film à la mélancolie délicatement joyeuse. Sa mise en scène, tout entière dans le rétroviseur du temps, reprend à son compte toutes les coquetteries surannées du film d’auteur. Vieux procédés : chansons, plans longs, toiles peintes, fond noir, voix off d’un narrateur très littéraire, refus du champ contrechamp, personnages caricaturaux, esthétisme 16 mm un peu forcé (objectif à la définition limite), couleurs fades et plates. Tics postmodernes là où l’on aurait préféré un classicisme cynique à la Billy Wilder. Qu’importe ! Miguel Lobo Antunes, acteur sur le tard, ex-directeur de l’ICA (l’Institut du Cinéma Portugais), porte rudement bien TechnoBoss sur ses épaules.

Fernand Garcia

TechnoBoss un film de João Nicolau avec Miguel Lobo Antunes, Luisa Cruz, Americo Silva, Sandra Faleiro, Tiago Garrinhas, Ana Tang, Jorge Andrade… Scénario : João Nicolau et Mariana Ricardo. Directeur de la photographie : Sir Mario Castanheiro. Décos : Arthur Pinheiro. Costumes : Susana Moura. Montage : João Nicolau. Musique : Pedro da Silva Martins, Noberto Lobo, Luis Joé Martins.  Coproducteur : Thomas Ordonneau. Producteurs : Luis Urbano et Sandro Aguillar. Production : O Som e a Furia – Shellac Sud avec le soutien de l’ICA, du CNC avec le Fonds Franco-Portugais, RTP. Distribution (France) : Shellac (Sortie nationale le 27 mai 2020). Portugal – France. 2019. 112 minutes. Pellicule Kodak 16 mm. DCP. Format image : 1.77 :1. 16/9e Son : 5.1. Tous Publics. Sélection Festival de Locarno, 2019.