Richard Brouillette

portrait-brouillettejpgCet entretien a été réalisé à l’occasion de la sortie de L’encerclement le précédent film de Richard Brouillette en 2010. Nous le republions à l’occasion de la sortie d’Oncle Bernard – l’anti-leçon d’économie, documentaire en hommage à Bernard Maris, assassiné le 7 janvier 2015 à Paris lors de l’attentat à Charlie Hebdo. Bernard Maris était l’un des interlocuteurs privilégiés de L’encerclement dont Oncle Bernard – l’anti-leçon d’économie reprend l’intégralité de ses interventions.

Bernard Maris

KinoScript : Vous êtes réalisateur, producteur et monteur par choix ?

Richard Brouillette : Oui, parce que producteur c’est aussi mon autre métier au cinéma, c’est d’ailleurs comme ça que je vis, et puis je veux garder les droits sur mes films. Monteur pour moi ça parait essentiel dans le documentaire, je ne peux pas confier mon film à quelqu’un d’autre pour le construire à ma place, surtout dans un film d’entrevues comme L’Encerclement, où le film se fait au montage.

KS : Pourquoi ce choix du 16 mm ?

R.B. : C’est un choix esthétique. J’aime beaucoup la pellicule, j’aime la manipuler. C’est aussi une certaine forme de discipline. Comme ça coûte cher et que la durée d’un magasin est courte, il faut aller droit au but, aujourd’hui souvent les documentaristes pour les films d’interviews, ils vont tourner 100 heures pour faire 1 heure. J’ai tourné à peu près 25 heures pour 2h40 de projection, c’est raisonnable. Ça donne un rythme, sinon tout le monde est fatigué, de l’équipe technique à la personne interviewée.

KS : Avez-vous réorienté votre montage en fonction des différentes interventions ?

R.B. : En fait, j’avais écrit un gros document, très prolixe, très long, 160 pages dans lequel il y avait le sujet divisé en sous thématiques puis le traitement cinématographique. Je savais dès le départ ce que je voulais faire. J’ai tourné l’essentiel du film en trois blocs en 2000, 2001 et 2002. Je visionnais les rushes au fur et à mesure et je voyais aussitôt ce qui manquait, ce qui n’était pas bon, ce qu’il fallait refaire. C’est pour ça que j’ai fait les deux derniers tournages (2001 et 2002), un avec Noam Chomsky et un avec François Denord pour combler les parties sur les « Think Tank ». Avant de tourner avec Chomsky, j’avais fait un assemblage de 4 heures et demi, j’ai fait le montage à l’ancienne sur une Steinbeck, une table de montage 16 mm, après je suis passé au numérique pour les finitions.

Noam Chomsky

KS : Le choix du plan fixe, sans plan de coupe était-il défini dès le départ ?

R.B. : Oui, on peut faire beaucoup plus avec des entretiens et je ne voulais pas mettre beaucoup de « lubrifiant visuel », c’est-à-dire des images d’archives, des extraits illustratifs, etc. Cela me pose problème, esthétiquement, quand on fait des films d’entretiens, il faut laisser toute la place possible à la parole surtout avec des gens de cette qualité. C’est la pensée qui s’articule sur le temps, on ne peut pas arriver à exprimer une pensée complexe en 30 secondes et puis mettre un plan de coupe dit « dynamique », c’est assez agaçant quand je vois ça à la télé.

KS : Curieusement pour un documentaire vous n’avez pas recours à la de voix-off.

R.B. : Tous mes choix artistiques sont à l’opposé du schéma esthétique général de la télévision : dynamique, avec une voix-off, des images d’archives surabondantes, l’identification des intervenants, etc. J’ai voulu faire l’inverse. C’est drôle parce que les gens qui voient le film, disent que ce n’est pas un film, que c’est comme un livre, ou comme une émission de radio, que ça rien de cinématographique. Moi je pense tout à fait le contraire, une chose comme ça ne peut exister qu’au cinéma.

KS : Comment avez-vous procédé pour les entretiens ?

R.B. : Pour la plupart, ils n’ont pas eu les questions en avance. De toute façon ils parlaient d’un domaine sur lequel ils avaient déjà écrit, avec lequel ils étaient à l’aise, j’arrivais quand même avec des questions précises. J’avais en face de moi des pointures qui abordaient des sujets complexes. Je tournais en pellicule avec une autonomie de 11 minutes, la durée d’une bobine donc il faillait être efficace, concis et précis. Je laissais toutefois une place à l’improvisation, de temps à autre une question surgissait comme ça. De manière générale, je posais une question et ils partaient pour 11 minutes. Je me souviens que Jean-Luc Migué, le spécialiste de la théorie des choix publics, dès que la caméra commençait à tourner, ne me laissait même pas le temps de poser ma question, qu’il parlait déjà.

KS : Les intervenants étaient-ils accessibles ?

R.B. : Oui, j’avais écrit un mail à Chomsky, d’ailleurs c’était pendant une période très particulière pour lui. Il venait d’être déclaré mort par l’ensemble des médias. C’est à cause de Hugo Chavez, il avait fait un discours à l’Assemblé Générale des Nations Unie et en prenant un livre de Chomsky il avait dit que tous les américains devait le lire, etc. Ensuite il enchaîne sur John Kennedy Albright, un économiste américain qui avait écrit sur la grande dépression, sur le fait qu’il fallait mettre en place des régulations. Or Albright était décédé assez récemment. Chavez ajoute qu’il aurait aimé le rencontrer avant sa mort, les médias ont fait la confusion et on parlé de Chomsky comme quoi il est décédé. Résultat : la boite mail de Chomsky était débordée de messages inquiets (rires)… Chomsky m’a répondu quand même 24 heures après. J’étais épaté. Quand je l’ai interviewé il était toujours furieux contre Le Monde, parce qu’ils n’avaient pas fait de rectificatif, le New York Times si, mais pas Le Monde.

Propos recueillis par Rita Bukauskaité et Fernand Garcia

L’Encerclement de Richard Brouillette est disponible en DVD aux Films du Paradoxe.

L'encerclement

L’Encerclement – La démocratie dans les rets du néolibéralisme, un film de Richard Brouillette avec Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Oncle Bernard (Bernard Maris), François Denord, Martin Masse, Susan George, Omar Aktouf, Normand Baillargeon, Michel Chossudovsky. Scénario et recherche : Richard Brouillette. Directeur de la photographie : Michel Lamothe. Son : Simon Goulet. Producteur : Richard Brouillette. Production : Les Films du passeur. Canada. 2008. 160 mn. Noir et Blanc.