Peter Bogdanovich – 1/2

Les Films (partie 1/2)

Né en 1939 à Kingston dans l’Etat de New York de parents Serbes ayant fui le nazisme en Europe, Peter Bogdanovich grandit à New-York. Intarissable cinéphile, il débute comme critique de cinéma. Il est d’ailleurs le premier réalisateur américain venu de la critique. De John Ford à Orson Welles en passant par Howard Hawks, Fritz Lang ou Allan Dwan, Peter Bogdanovich croise la route des géants du passé tout en empruntant dans le même temps celle du Nouvel Hollywood dont il va devenir une figure emblématique sans jamais pour autant se dégager de ses influences cinéphiliques dans son geste créatif. Comme pour beaucoup d’autres cinéastes de sa génération, c’est l’incontournable producteur et réalisateur Roger Corman qui lance sa carrière en 1968 en lui confiant la mise en scène de La Cible (Targets), son premier film, dans lequel il se mettra lui-même en scène aux côtés de l’immense Boris Karloff dans le rôle d’une star vieillissante du cinéma fantastique confrontée à la violence arbitraire de l’Amérique. Deux ans après son excellent thriller réaliste, Peter Bogdanovich réalise La Dernière Séance (The Last Picture Show). Tourné au Texas, le film est une ode à l’Amérique profonde et triomphera en 1971 pour devenir un classique instantané. Dès lors, de La Barbe à papa (Paper Moon, 1973) à Broadway Therapy (She’s Funny That Way, 2014), toute son œuvre exprimera nostalgie et désillusion, multipliant les traits d’humour et les clins d’œil aux grands classiques de l’âge d’or hollywoodien. Un cinéaste culte du cinéma américain des années 70 et 80.

Voyage to the Planet of Prehistoric Women (1968) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 78 mn – Avec Mamie Van Doren, Mary Marr, Paige Lee.

Des astronautes atterrissent sur la planète Vénus. Ils y affrontent des créatures dangereuses et y rencontrent de séduisantes vénusiennes.

Remontage du film de science-fiction soviétique La Planète des tempêtes (1962) de Pavel Klouchantsev, par les producteurs de Roger Corman, augmenté de séquences avec des acteurs américains.

La Cible (Targets, 1968) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 90 mn – Avec Boris Karloff, Tim O’Kelly, Arthur Peterson, Peter Bogdanovich.

Tandis que l’acteur Byron Orlok annonce sa retraite au grand désespoir du réalisateur Sammy Michaels, un jeune homme, assureur et vétéran du Vietnam, se prépare à commettre une série de meurtres en tuant des inconnus au hasard avec un fusil à lunette.

Premier long métrage de Peter Bogdanovich dans lequel il se met lui-même en scène dans le rôle du réalisateur, produit par Roger Corman, La Cible est une confrontation entre le cinéma d’épouvante et la violence arbitraire de la société américaine via son culte pour les armes à feu et en plein trauma de la guerre du Vietnam. Terrifiant dans son discours, La Cible est une dénonciation, doublé d’un hommage au genre. En effet, avec le personnage de Byron Orlok dont le nom renvoie au Dr. Orlock, héros du cinéma d’horreur gothique, et à Lord Byron, le poète anglais et mari de Mary Shelley, auteur de Frankenstein, Boris Karloff, qui immortalisa à l’écran la créature de Frankenstein, interprète ici presque son propre rôle, celui d’une vedette de films d’horreur qui songe à prendre sa retraite. Notons que La Cible, dont le personnage principal est un tueur fou, a vu son exploitation en salles écourtée à la suite de l’assassinat du candidat démocrate Robert Kennedy aux élections présidentielles de 1968.

Réalisé par John Ford (Directed by John Ford, 1971) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 102 mn – Avec Orson Welles, Peter Bogdanovich, John Ford, James Stewart, John Wayne, Henry Fonda.

Entretiens avec des acteurs ayant joué dans les films de John Ford, ponctués de nombreux extraits de films.

Un portrait amoureux du maître du western, dans lequel Henry Fonda, James Stewart et John Wayne y vont de leurs anecdotes, à travers les souvenirs de vingt-six films, les meilleurs mais pas toujours les plus connus. Documentaire sur la carrière du réalisateur John Ford et son influence sur le cinéma américain.

La Dernière séance (The Last Picture Show, 1971) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 126 mn – D’après le roman La Dernière séance de Larry McMurtry. Avec Jeff Bridges, Ben Johnson, Ellen Burstyn, Timothy Bottoms, Cybill Shepherd, Cloris Leachman, Eileen Brennan.

Le portrait de la jeunesse d’Anarene, une petite ville du Nord du Texas, en 1951. Sonny et Duane, deux adolescents texans, passent leur temps entre les murs d’une salle de billard et le cinéma de quartier qui va fermer, seules distractions possibles dans leur petite ville perdue aux confins du désert. Mais lorsqu’une fille provoque une dispute entre eux, Sonny décide de s’engager pour la Corée. Avant de partir, ils se rendent au cinéma une dernière fois…

Deuxième film de l’ex-critique Peter Bogdanovich, La Dernière séance (The Last Picture Show) est la radiographie de l’agonie d’une bourgade texane à l’aune des années 1950, à travers les désillusions des jeunes adolescents qui y vivent. Sur fond de cinéma, de sexe et de chansons country sentimentales toutes diégétiques (elles font partie intégrante de l’histoire), Bogdanovich capte avec nostalgie la disparition du cinéma classique américain, offrant à l’acteur fordien, Ben Johnson, l’un de ses plus beaux rôles, tandis qu’il relance ou révèle des comédiens comme Randy Quaid, Jeff Bridges, Timothy Bottoms, Cloris Leachman, Ellen Burstyn ou Eileen Brennan et à leurs côtés, Cybill Shepherd, sa future compagne et égérie. Avec l’inspiration fordienne de La Dernière séance, Peter Bogdanovich fait apparaitre le « néoclassicisme cinéphilique ».

Film comptant parmi les plus emblématiques du Nouvel Hollywood, La Dernière séance connaitra un énorme succès et sera récompensé aux Oscars. Chef-d’œuvre.

On s’fait la valise, docteur ? (What’s Up, Doc ?, 1972) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 95 mn – Avec Barbra Streisand, Ryan O’Neal, Madeline Kahn, Kenneth Mars.

Judy Maxwell, Howard Bannister, Mrs. Van Hoskins et Mr. Smith descendent dans le même hôtel de San Francisco où va se tenir un congrès de musicologie. Et tous les quatre ont une valise identique. Quatre valises identiques dans quatre chambres d’hôtel contiguës vont constamment être interchangées et confondues par des cambrioleurs, des espions, des policiers et leurs propriétaires eux-mêmes. Une course à la valise va alors se jouer et réunir une foule de personnages et de quiproquos.

Quiproquos et surprises fusent, multipliant les clins d’œil et hommages aux classiques de l’âge d’or hollywoodien. Ranimant la flamme de la « screwball comedy », caractérisée par un humour loufoque et des personnages excentriques, et popularisée dans les années 30 et 40 avec des films tels que L’Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, 1936) de Frank Capra ou L’Impossible Monsieur Bébé (Bringing up Baby, 1945) et Chérie, je me sens rajeunir (Monkey Business, 1952) d’Howard Hawks, Peter Bogdanovich remporte un grand succès avec le couple Barbra Streisand / Ryan O’Neal, d’une drôlerie et d’une vitalité à toute épreuve, que les Katharine Hepburn et Cary Grant n’auraient pas désavouées. Le film marque les débuts à l’écran de la comédienne Madeline Kahn que le cinéaste redirigera dès l’année suivante dans La Barbe à Papa (Paper Moon).

La Barbe à Papa (Paper Moon, 1973) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 100 mn – AvecRyan O’Neal, Tatum O’Neal, Madeline Kahn.

Devenu malgré lui le père de la petite orpheline Addie, Moses, un aventurier minable poursuit son chemin et traverse avec elle le Kansas pour l’emmener chez sa tante dans le Missouri. Persuadée, en raison de leur ressemblance, que Moses est son père, Addie est d’abord tendu. Mais peu à peu va se nouer entre eux une véritable complicité.

Les pérégrinations d’un escroc à la petite semaine et d’une fillette de neuf ans sur les routes du Kansas dans les années 30. A l’origine, c’est le réalisateur John Huston qui était associé au projet et les noms de Paul Newman et sa fille, Nell Potts, qui circulaient pour interpréter les personnages principaux. Mais une fois le refus de Huston annoncé, Peter Bogdanovich a choisi le père et la fille O’Neal pour les rôles de Moses et Addie. En effet, Tatum O’Neal, qui joue Addie, est la véritable fille de l’acteur principal, Ryan O’Neal. C’est pour leur très grande complicité, devant et derrière la caméra, que les deux interprètes ont été choisis pour le film par Peter Bogdanovich qui ressuscite ici le cinéma hollywoodien de l’entre-deux guerres. Réalisé en noir et blanc afin de mieux évoquer la période décrite et tourné dans un décor authentique avec les routes poussiéreuses et les petites bourgades endormies du Kansas et du Missouri, La Barbe à Papa est un magnifique portrait doux-amer de l’Amérique de la Grande Dépression. Également road movie initiatique, La Barbe à Papa est porté par le génie précoce de l’attachante et crédible Tatum O’Neal. Ce premier rôle au cinéma, lui vaudra d’être la plus jeune lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle à seulement 10 ans. Le traditionnel rapport de l’enfant avec l’adulte dans le cinéma américain mais aussi le dernier plan du film ne manque pas ici de faire référence au cinéma de Charlie Chaplin.

Daisy Miller (1974) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 91 mn – D’après le roman Daisy Miller de Henry James. Avec Cybill Shepherd, Barry Brown, Cloris Leachman, Mildred Natwick, Eileen Brennan.

Lors d’un séjour en Suisse pour une cure thermale, Daisy Miller fait la connaissance d’un jeune aristocrate américain expatrié.

« Ce film n’a pas eu beaucoup de succès à sa sortie, mais je ne pense pas que cela soit un défaut. Il est poétique et élégiaque, tout en étant vif et cinglant comme s’il avait été fait dans les années 1930. La fin est déchirante, et Barry Brown interprète la dernière réplique de la nouvelle de Henry James à la perfection (en voix off dans le cimetière) : « J’ai vécu trop longtemps dans des lieux étrangers. » Le fils du scénariste Larry McMurtry, James, est génial dans le rôle de Randolph, le frère de neuf ans de Daisy. » Wes Anderson

Daisy Miller arrive dans la filmographie de Peter Bogdanovich après trois succès commerciaux. Le cinéaste a rejoint Francis Ford Coppola et William Friedkin à la Directors Company dont Paramount distribue les productions, et a la liberté de s’engager dans un film plus personnel. Il se tourne donc vers une nouvelle de Henry James, Daisy Miller, texte classique réputé inadaptable au cinéma, qu’il utilise comme trame principale pour raconter, comme il le dit lui-même, « une histoire d’amour sur des occasions manquées, des différences de classes, l’impossibilité d’un engagement affectif envers ce qui est étranger ou différent. ». Pour lui, le personnage de ce film sera le nouveau grand rôle de Cybill Shepherd, sa muse. D’une rare difficulté à interpréter, Cybill Shepherd incarne magnifiquement le personnage à la fois complexe et superficiel de Daisy Miller. Comme le roman, le film oppose la vivacité et l’audace d’une jeune Américaine à l’indécision et la passivité de l’Européen Frederick Winterbourne. Habité par la forme de ses maîtres (Hitchcock, Ford, Welles) jusque dans son découpage, Daisy Miller est la métaphore du charme des États-Unis en contraste avec la décadence de l’Europe. Dans des décors subtilement intégrés à sa mise en scène qui s’accorde pourtant principalement aux personnages, avec Daisy Miller, Bogdanovich signe un film moderne sur la sexualité, l’amour, la mélancolie et la solitude.

Enfin l’amour (At Long Last Love, 1975) de Peter Bogdanovich – Etats-Unis – 123 mn – Avec Burt Reynolds, Cybill Shepherd, Madeline Kahn, Duilio Del Prete, Eileen Brennan, Mildred Natwick.

Un millionnaire fêtard tombe amoureux d’une chanteuse, une jeune femme rencontre un joueur italien : tous les quatre s’apprivoisent, se mettent en couple, puis se séparent avant de se retrouver et de s’aimer enfin.

Comédie musicale périlleuse sortie au beau milieu des années 1970, Enfin l’amour témoigne de l’amour de Peter Bogdanovich pour l’âge d’or du cinéma hollywoodien dont il a été le journaliste critique au début de sa carrière. Projet fou, car anachronique, Enfin l’amour est un hommage aux films chantés des années 1930 et plus particulièrement à ceux d’Ernst Lubitsch, comme Le Lieutenant souriant avec Maurice Chevalier. Peter Bogdanovich a écrit le film pour sa compagne Cybill Shepherd, qu’il abandonne ici dans les bras d’un Burt Reynolds à contre-emploi. Le cinéaste ira jusqu’à prendre le risque de faire chanter ses acteurs eux-mêmes en prise directe sur le plateau de tournage. Très chorégraphiée, la maligne mise en scène du cinéaste témoigne à la fois de son amour du genre et de son amusement à le contourner. Incompris du public et de la critique, Enfin l’amour ne fera qu’un court passage dans les salles.

Steve Le Nedelec

Rétrospective Peter Bogdanovich du 12 au 30 avril 2023 à La Cinémathèque française.

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