Nouvelle Vague – Richard Linklater

Claude Chabrol (Antoine Besson) vient de tourner Le Beau Serge. François Truffaut (Adrien Rouyard) s’apprête à présenter Les 400 Coups au Festival de Cannes. Et Jean-Luc Godard (Guillaume Marbeck), lui, ne rêve que d’une chose : passer enfin à la réalisation. En attendant, il écrit pour Les Cahiers du Cinéma, où il partage avec ses compagnons de plume une même passion dévorante pour le cinéma. Grâce au producteur Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst), il obtient sa chance : tourner un film à partir d’un court scénario rédigé par Truffaut. Godard choisit pour interprète principal Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin), déjà acteur de son court métrage Charlotte et son Jules, et parvient à convaincre Jean Seberg (Zoey Deutch), star américaine révélée par Otto Preminger. Autour de lui, une équipe de jeunes techniciens se forme. Vingt jours de tournage sont prévus. Le tournage de À bout de souffle peut commencer…

Soyons honnêtes : le projet de raconter le tournage d’À bout de souffle et d’évoquer la figure de Jean-Luc Godard avait de quoi laisser sceptique. On gardait encore en mémoire un précédent film consacré au cinéaste, particulièrement redoutable. Et pourtant, une fois embarqué dans Nouvelle vague, quel plaisir ! Il aura donc fallu un réalisateur texan, Richard Linklater, pour réussir un film sur la naissance d’un mouvement artistique qui allait révolutionner le cinéma. Parce que Linklater ne filme ni avec distance, ni avec ironie, ni avec cynisme, mais avec la même fougue qui anime ses personnages. Il est à leur hauteur. Il évoque une jeunesse à un moment charnière de l’Histoire, admirablement restituée à l’écran — des jeunes gens habités par la passion, l’insouciance et le désir brûlant de faire un film, de vivre le cinéma.

« Je veux traîner avec la bande de la Nouvelle Vague », note Richard Linklater — et c’est exactement l’impression que l’on ressent à voir vivre cette petite troupe d’amoureux du cinéma. En 1959, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Belmondo, Raoul Coutard, Pierre Rissient, Suzanne Schiffman et les autres ne sont encore qu’un groupe de jeunes gens corps et âme dévoués à un petit tournage, à mi-chemin entre le court métrage et le film amateur. Seule Jean Seberg apporte avec elle l’expérience d’un « vrai » plateau hollywoodien. Malgré ses réticences, elle descend les Champs-Élysées en criant « New York Herald Tribune » devant une caméflex planquée, pour des prises volées à la réalité. Elle doute même que le film sorte un jour en salles. Mais aucun d’eux, pas même Godard, ne peut alors imaginer que ce tournage chaotique — ses journées écourtées, ses improvisations, cette façon de laisser la vie s’imprimer directement sur la pellicule — va bouleverser à jamais l’histoire du cinéma.

« Nous contrôlons nos pensées, qui ne veulent rien dire, mais pas nos émotions, qui veulent tout dire. » Jean-Luc Godard

L’authenticité des émotions, le naturel des gestes, la vérité des lieux, la réalité d’une époque : le jeune Godard cherche, avec ses doutes, ses renoncements et ses hésitations, à capter dans son « petit » film l’essence d’un monde, d’une jeunesse, qui ne demande qu’à vivre pleinement, intensément. Il tourne dans la chambre d’hôtel où il a lui-même vécu, parmi les fantômes déjà présents d’un passé révolu. Sur un quai de métro, il peaufine le scénario avec François Truffaut, nourri de leur cinéphilie commune et de leur amour absolu pour le cinéma américain. À bout de souffle sera d’ailleurs dédié à la Monogram, studio de séries B qui symbolise cette liberté artisanale et cette inventivité sans moyens.
Godard, à près de trente ans, est encore sous l’influence de ses maîtres — ce qui est bien normal. Il emprunte, cite, s’inspire. À Roberto Rossellini notamment, auquel le film rend hommage dans une séquence superbe : le grand réalisateur italien, accueilli par toute la bande des Cahiers du cinéma, prononce un bref discours avant de repartir en emportant, discrètement, quelques petits fours. Le cinéma, passion dévorante, ne nourrit pas toujours son homme — mais il le consume avec éclat.

La troupe de jeunes acteurs réunie par Richard Linklater, des rôles principaux aux plus modestes, est absolument remarquable. Le cinéaste les dirige avec une légèreté et une confiance qui les entraînent vers un jeu d’une grande naturalité, restituant avec une justesse étonnante l’énergie de 1959 — bien loin de l’image figée souvent associée au film historique. L’attitude, les regards, les gestes, jusqu’à la ressemblance physique : tout concourt à recréer ce petit monde du cinéma avec une précision sidérante. Guillaume Marbeck, notamment, incarne Jean-Luc Godard avec une aisance rare. Il parvient à le rendre crédible par le timbre de sa voix, ses silences, ses intonations si proches du modèle, sans jamais tomber dans l’imitation. On retrouve avec Zoey Deutch, la sensibilité, la fragilité et la beauté rayonnante de Jean Seberg. Elle est merveilleuse.

Linklater nous plonge dans Nouvelle vague non seulement par l’image — en noir et blanc, au format 1.33 d’À bout de souffle — mais aussi par le son, par la voix, par cette texture sensible du temps qui semble renaître à l’écran. Renaissance d’un tournage que Linklater égrène jour après jour. Tout ce qu’il montre de la « mécanique » du cinéma sonne juste : les rapports entre le réalisateur et ses acteurs, le choix du cadre, la quête d’une voiture, les problèmes d’argent, les questions de raccords, les hésitations, et même ces instants où le hasard s’invite sur le plateau. Nouvelle vague est sans doute l’un des films les plus authentiques jamais réalisés sur l’expérience même d’un tournage. Linklater parvient à allier l’effervescence joyeuse de La Nuit américaine au vertige intérieur et fantasmagorique de . Il filme à la fois l’acte de création et le trouble qu’il provoque — la joie, le doute, l’invention — dans une même pulsation vivante.

Fernand Garcia

Photos Jean-Louis Fernandez

Nouvelle Vague, un film de Richard Linklater avec Guillaume Marbeck (Godard), Zoey Deutch (Jean Seberg), Aubry Dullin (Belmondo), Adrien Rouyard (Truffaut), Antoine Besson (Chabrol), Jodie Ruth Forest (Suzanne Schiffman), Bruno Dreyfürst (Georges de Beauregard), Benjamin Clery (Pierre Rissient), Matthieu Penchinat (Raoul Coutard), Jade Phan-Gia (Phuong Maittret), Pauline Belle (Suzon Faye), Frank Cicurel (Raymond Cauchetier), Jonas Marmy (Rivette), Côme Thieulin (Rohmer), Alix Benezech (Juliette Greco), Tom Novembre (Jean-Pierre Melville), Laurent Mothe (Roberto Rosselini), Aurélien Lorgnier (Robert Bresson), Grégory Dupont (José Bénazeraf), Lou Chrétien Février (Madelaine Morgenstern), Jean-François Garel (Richard Balducci), Jean-Jacques Le Vessier (Jean Cocteau)… Scénario : Holly Gent et Vince Palmo. Adaptation et dialogues : Michèle Halberstadt et Laetitia Masson. Image : David Chambille. Décors : Katia Wyskop. Costumes : Pascaline Chavanne. Montage : Catherine Schwartz. Producteurs : Michèle & Laurent Pétin. Production : ARP an association avec Detour Filmproduction et le soutien de Canal + et de Chanel. Distribution (France) : ARP selection (Sortie le 8 octobre 2025). France. 2025. 1h45. Noir et blanc. Format image : 1.37:1. Son : 5.1. Tous Publics. Sélection officielle Festival de Cannes, 2025.