Navajo Joe – Sergio Corbucci

Une petite famille d’Indiens vit paisiblement installée au pied d’un point d’eau. Un cow-boy, Mervyn « Vee » Duncan (Aldo Sanbrell), arrive et abat froidement une Indienne. Sa horde de chasseurs de scalps, avec à sa tête son frère, Jeffrey Duncan (Luciano Rosato), surgit et massacre le reste de la famille. Un carnage. Mervyn scalp l’Indienne. Un Indien, Navajo Joe (Burt Reynolds) absent lors du massacre se lance à la poursuite de Mervyn Duncan et de sa horde…

Dino De Laurentiis, avec un flair assez étonnant et une bonne dose de roublardise, est l’un des plus grands producteurs de l’après-guerre. Le succès considérable des westerns italiens dans le sillage d’Une poignée de dollars (1964) de Sergio Leone, convainc rapidement Dino De Laurentiis de prendre la route de l’Ouest, plus précisément d’Almeria en Espagne. De Laurentiis a toujours vu grand, avant son « exil » américain des années 70 où il deviendra un des plus importants producteurs indépendants américains avec à son actif quelques grands succès et classiques : Serpico (1973), Un justicier dans la ville (Death Wish, 1974), Mandingo (1975), Les trois jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975), King Kong (1975), Ragtime (1981), Dead Zone (1983), Dune (1984), L’Année du Dragon (Year of the Dragon, 1985), Blue Velvet (1986), Hannibal (2001) etc. Dans les années 50/60, Dino De Laurentiis produit en Italie des films à vocation internationale. La Strada (1954) de Federico Fellini est un triomphe qui le propulse dans la cour des grands, avec son partenaire, Carlo Ponti, autre immense producteur italien.

Dino De Laurentiis monte donc Navajo Joe avec un partenaire espagnol. Les extérieurs (la majorité du film) sont tournés en Espagne et les intérieurs dans ses propres studios à Rome. Il embauche Sergio Corbucci en lui faisant miroiter Marlon Brando, rien de moins, dans le rôle principal. Ce qui laisse le réalisateur assez sceptique, qui ne se voit pas diriger un tel acteur. Quant à Burt Reynolds, il se retrouve embringué dans le film sur une méprise. Il pense faire un film avec Sergio Leone. La surprise est de taille quand il découvre que le Sergio en question n’est pas le bon, mais trop tard pour faire machine arrière, le contrat est verrouillé. Toutefois, Navajo Joe est une opportunité pour Burt Reynolds, qui aux Etats-Unis est surtout un visage familier des séries TV et la poignée de films de cinéma dans lesquels il a joué n’ont pas laissé de souvenir. Navajo Joe est son film le plus important à ce moment de sa carrière. Pourtant, l’acteur aura toujours une dent contre le film, sa pire expérience de cinéma selon lui. Pendant le tournage, l’entente entre Burt Reynolds et Sergio Corbucci est exécrable.

Dino De Laurentiis a eu du pif en engageant Burt Reynolds, l’acteur va devenir l’une des stars du cinéma américain des années 70/80. Le succès « scandale » des 100 fusils (100 rifles, 1969) de Tom Gries, où pour la première fois une blanche (Raquel Welch) « couche » avec un noir (Jim Brown) dans un film grand public, le propulse sur le devant de la scène. Il retrouve rapidement l’actrice pour Les Poulets (Fuzz, 1972) où il incarne le « héros » d’Evan Hunter/Ed McBain, le détective Steve Carella, sympathique comédie policière réalisée par Richard A. Colla. Reynolds gagne en aisance et en présence, ce que confirme définitivement le prodigieux Délivrance (Deliverance, 1972) chef-d’œuvre de John Boorman, son film préféré.

Avec les personnages de Bobby « Gator » McKlusky dans deux films : Les bootleggers (White Lightning, 1973) de Joseph Sargent et Gator (1976) qu’il réalise, et de Bandit dans Cours après moi Shérif (Smokey and the Bandit, 1977), phénoménal succès aux Etats-Unis, et ses suites, Burt Reynolds s’installe pour une longue période dans le peloton de tête des acteurs sur qui ont bâti un film. De grandes pointures de la mise en scène le dirigent : Robert Aldrich dans les excellents : Plein la gueule (The Longest Yard, 1974) et La cité des dangers (Hustle, 1975) avec à ses côtés Catherine Deneuve. Stanley Donen dans Les aventuriers du Lucky Lady (Lucky Lady, 1975), un de ses rares échecs commerciaux de la décennie 70, Peter Bogdanovich, Enfin l’amour (At Long Last Love, 1975) et Nickelodeon (1976) ou Alan J. Pakula dans Merci d’avoir été ma femme (Starting Over, 1979).

Burt Reynolds est un sex-symbol et personnifie à l’écran l’homme viril et charmeur. Avec une bonne dose d’humour, il pose nu (son bras recouvrant ses attributs) pour Cosmopolitan en 1972,pied de nez à son équivalent féminin dans Playboy. D’après Reynolds, cette page centrale lui coûte une nomination à l’Oscar pour Délivrance. Acteur extrêmement populaire aux Etats-Unis, mais qui n’atteindra jamais le même prestige à l’international. Il faut avoir en mémoire que Cours après moi shérif fait au box-office américain en 1977, jeu égal avec La Guerre des étoiles (Star Wars) de George Lucas. Il avait refusé le rôle de Han Solo ainsi que celui du détective Deckard dans Blade Runner (1982), tous deux incarner finalement incarné par Harrison Ford. Il refuse surtout James Bond après le départ de Sean Connery. Et c’est l’acteur écossais qui le remplace pour cause de maladie dans Zardoz (1973) de John Boorman. Il atteint la somme record (pour l’époque) de 5 millions de dollars plus 10% des bénéfices pour L’Equipé du Cannonball (The Cannonball Run, 1981) et sa suite Cannon Ball 2 (Cannonball Run II, 1984), avec à ses côtés Roger Moore qui avait endossé la panoplie de James Bond à la suite de Sean Connery. Le monde du cinéma est vraiment petit.

Burt Reynolds a une longue liaison avec l’actrice Sally Field, ils partageront fréquemment l’affiche, avant de se séparer en 1982. Il gardera toujours pour Sally Field une immense tendresse et reconnaissance. Au fil de sa carrière, il donne la réplique à des actrices remarquables, Jill Clayburgh, Candice Bergen, Goldie Hawn, Liza Minnelli, Cybill Shepherd, Julie Andrews, Kim Basinger, etc. Tout naturellement, Burt Reynolds est L’homme à femmes (The Man Who Loved Women, 1983) dans le remake américain de L’homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut par Blake Edwards. Son hyper virilité est mise à contribution, autant dans ses films d’action que, sous un angle plus tendre et fragile, dans des comédies romantiques.

Burt Reynolds réalise quelques films tout à fait estimables comme L’anti-gang (Sharky’s Machine, 1981) avec Vittorio Gassman. A partir des années 90, Burt Reynolds enquillent les mauvais choix, seuls deux films surnagent dans cet océan de navets, sa participation à The Players (1994) de Robert Altman où il joue son propre rôle et surtout Boogie Nights (1997) de Paul Thomas Anderson. Comme avec Sergio Corbucci, il ne s’entend absolument pas avec Paul Thomas Anderson et déteste le film, pourtant il décroche pour ce film son unique nomination à l’Oscar (dans un second rôle). Burt Reynolds décède en 2018. Grand fan de l’acteur, Quentin Tarantino, lui avait prévu un rôle dans Il était une fois… à Hollywood (Once Upon a Time… in Hollywood, 2018) qui reviendra à Bruce Dern.

Sa vague ressemblance avec Marlon Brando a peut-être convaincu Dino De Laurentiis de le signer pour Navajo Joe. Burt Reynolds se voit affublé d’une perruque (pas du meilleur effet), et aussi curieux que cela puisse paraître manque singulièrement de présence. Navajo Joe est presque un personnage secondaire dans l’histoire. A croire que Sergio Corbucci s’est désintéressé de son Indien en cours de route. Dans un registre proche, Charles Bronson incarne, avec bien plus de force et puissance, un personnage assez similaire dans Les Collines de la terreur (Chato’s Land, 1972) de Michael Winner. Burt Reynolds n’a pas encore trouvé son registre et son style.

Sergio Corbucci sait mener sa barque, Navajo Joe se suit sans temps mort. Avec un réel sens de l’espace, il fait surgir sa horde sauvage en haut des collines, l’effet est, à chaque fois, saisissant. Les westerns de Corbucci se démarquent de la production européenne par leur violence, baroque et excessive. Les méchants sont souvent le moteur de l’histoire. Corbucci s’attache à décrire avec force de détails leurs perversités et leurs dérèglements. Ainsi, Mervyn Duncan est un assassin de la pire espèce. Il est vraiment le personnage le plus intéressant du film. Duncan est un métis, le double négatif de Navajo Joe. Il porte en lui un rejet viscéral de ses parents, sa mère était Indienne et son père un pasteur blanc. Ni l’un ni l’autre ne trouvent grâce à ses yeux.

Les personnages féminins sont absolument superbes : les filles de saloon : Tanya Lopert, Franca Polesello et Lucia Modugno et « l’indienne » Nicoletta Machiavelli, outre leurs beautés, apportent un véritable dynamisme au film. Contrairement aux notables de la ville, qui s’avèrent être profondément lâches, les femmes osent s’opposer à Duncan et sa clique et prendre la défense de Navajo Joe.

Navajo Joe est soutenu par une formidable musique d’Ennio Morricone, qui ajoute une touche de lyrisme à l’ensemble, d’une grande puissance. La musique à coloration « ethnique » qu’il a composée pour le film anticipe sur l’un de ses chefs-d’œuvre : Queimada (1969) de Gillo Pontecorvo avec Marlon Brando.

Navajo Joe souvent considéré comme un western mineur de Sergio Corbucci, reste un spectacle plaisant et efficace. Quentin Tarantino, grand fan, le classe parmi les vingt meilleurs westerns européens.

Fernand Garcia

Navajo Joe, une édition combo (Blu-ray, pour la 1ère fois, et DVD) de Sidonis – Calysta dans la collection Silver – Western de légende. En complément : Une présentation par Jean-François Giré, « un film important pour Sergio Corbucci » (12 minutes env.). Enfin, une très bonne bande-annonce, monté à partir d’un rythme de chevaux au galop entrecoupé par la musique de Morricone (2 minutes env.).

Navaro Joe un film de Sergio Corbucci avec Burt Reynolds, Aldo Sanbrell, Nicoletta Machiavelli, Fernando Rey, Tanya Lopert, Franca Polesello, Lucia Modugno, Peter Gross… Histoire d’Ugo Pirro. Scénario : Piero Regnoli (Dean Craig) et Fernando Di Leo. Directeur de la photographie : Silvano Ippoliti. Décors : Aurelio Crugnola. Costumes : Marcella De Marchis. Montage : Alberto Gallitti. Musique : Ennio Morricone (Leo Nichols). Producteurs : Ermanno Donati et Luigi Carpentieri. Production : Dino De Laurentiis Cinematografica S.p.A. (Rome) – C.B. Films S.A. (Espagne). Italie – Espagne. 1966. 1h32 minutes. Technicolor. Techniscope. Format image : 2.35 :1. Son : Version originale (anglaise) avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. Tous Publics.