Mask – Peter Bogdanovich

1er septembre 1979. Rocky Dennis (Eric Stoltz), quinze ans, s’est levé tôt, car c’est une journée importante. Comme à son habitude, sa mère Rusty (Cher) rentre au petit matin. Le gars qui la raccompagne et pensait passer la matinée au lit avec elle en est pour ses frais. Il est chassé par les Hells Angels qui doivent accompagner Rocky et Rusty. Rocky va s’inscrire en 3ème dans un collège public, une nouvelle vie débute pour lui,… mais ses derniers résultats médicaux ne sont pas encourageants et son espérance de vie se réduit jour après jour…

Cannes, mai 1985. La Croisette est en effervescence, Peter Bogdanovich y présente son nouveau film : Mask. Le film marque le retour de Bogdanovich derrière la caméra après avoir fait la une des tabloïds durant des mois à la suite de la malheureuse affaire de Dorothy Stratten. Cette jeune actrice avec qui il avait une liaison fut assassinée par son ancien mari fou de jalousie. Ce fait divers réunissait tous les éléments d’une tragédie comme les affectione le monde du spectacle : un réalisateur célébré et intello, une superbe femme ex-playmate, un ex-mari totalement parano, l’argent, le sexe, Hollywood, un assassinat…

En 1977, Dorothy Stratten rencontre Paul Snider dans le fast-food où elle travaille à Vancouver. Snider a l’ambition de devenir imprésario mais pour l’instant il végète incapable de quoi que ce soit. Le 1er juin 1979, Dorothy Stratten et Paul Snider se marient à Las Vegas. Convaincu de l’énorme potentiel de la jeune femme, Snider la convainc de poser nue. Si les photos n’ont artistiquement rien d’extraordinaire, elle révèle toute la photogénie de la jeune femme. Snider envoie le jeu de photos à Playboy, à l’époque une véritable institution dans le domaine de la presse de charme. La réponse ne se fait pas attendre. Le couple est contacté et Dorothy pose pour une nouvelle séance de photos plus professionnelles. Snider négocie pour elle en tant qu’agent et sent que la roue de la fortune tourne enfin en sa faveur. Dorothy est la playmate d’août 1979 et à ce titre a droit au poster de la page centrale. Sous le charme de la jeune femme, Hugh Hefner, le patron fondateur de Playboy, prend Dorothy sous son aile. La beauté de la jeune femme fait des ravages. Le petit monde du cinéma voit en elle une nouvelle Marilyne Monroe. Dorothy décroche de petits rôles dans des séries TV: L’ile fantastique et Buck Rodgers et surtout le premier rôle dans une sympathique série B de science-fiction Galaxina (1980). Tout s’enchaîne très vite.

Soutenue par Hefner, Dorothy Stratten acquière une petite réputation qui lui permet d’envisager l’avenir avec optimisme. De son côté, Snider voit ce qu’il considère comme sa créature voler de ses propres ailes, il plonge dans une paranoïa dont l’un des éléments moteurs est une jalousie maladive. La carrière de Dorothy prend une nouvelle tournure lorsque Peter Bogdanovich, un ami de Hefner, lui propose un rôle important dans Et tout le monde riait (They All Laughed, 1980), une comédie haut de gamme avec Ben Gazzara et Audrey Hepburn. Bogdanovich est un metteur en scène important du Nouvel Hollywood. Ce grand cinéphile, auteur de plusieurs ouvrages sur les réalisateurs de l’âge d’or, est le chouchou de la critique et les gros succès publics de La dernière séance (The Last Picture Show, 1971) et de On s’fait la valise, docteur ? (What’s Up, Doc ?, 1972) avec Barbra Streisand et Ryan O’Neal. Ces deux films font de lui un réalisateur incontournable, même si ses films suivants ont déçu. Bogdanovich a la réputation d’être un metteur scène difficile, voire tyrannique sur le plateau. Impressionné par le naturel de la jeune actrice, Bogdanovich s’éprend d’elle. C’est le début d’une idylle. Bogdanovich se comporte en pygmalion. Il l’initie à la culture classique, et, de son côté, Dorothy l’ouvre à des aspects de la culture populaire de la fin des années 70, comme la musique, domaine totalement inconnu pour le cinéaste. Dorothy se passionne pour le théâtre et découvre une pièce qui la bouleverse – Elephant Man. Elle sent de grandes affinités avec le personnage et entreprend des recherches sur la vie de John Merrick. Bogdanovich dira plus tard que la beauté et la difformité se rejoignent dans la solitude et dans le regard des autres. Entretemps, la relation entre Dorothy et Snider s’est  fortement dégradée. Dorothy ne le supporte plus et en juin 1980 demande le divorce. Totalement obsédé par Dorothy, Snider voit avec divorce s’évanouir tous ses rêves de réussite. Le 14 août 1980, sous le prétexte de préparer le divorce, il se rend chez Dorothy. Ils ont une violente altercation, Snider la frappe puis la viole avant de la tuer d’une balle en pleine tête. Snider retourne alors le fusil contre lui et s’explose la tête. Dorothy Stratten avait 20 ans. L’histoire fait aussitôt la une de la presse, certains en profitent pour dénoncer les mœurs dissolus du cinéma et les ligues de vertus accusent Playboy d’être responsable de la mort de la jeune fille. Le cinéma s’empare aussitôt de l’histoire, le grand Bob Fosse (Cabaret, All That Jazz) la porte à l’écran sous le titre Star 80 (1984). Muriel Hemingway incarne la belle Dorothy Stratten, Eric Roberts son assassin et Roger Rees dans celui de Peter Bogdanovich transformé en Aram Nicholas. « J’ai parlé à Bob Fosse lorsqu’il a annoncé qu’il rachetait les droits d’un article paru dans The Village Voice. Je ne l’ai jamais revu. Et Star 80 est un tissu de mensonges. » (Peter Bogdanovich, 16 mai 1985, Le Quotidien de Paris). Star 80 est un portrait au vitriol d’une société du spectacle obsédée par la gloire et la fortune. Ce film impressionnant et violent rafle l’Ours d’Or au Festival de Berlin. Bob Fosse succombe à une crise cardiaque le 23 septembre 1987.

Et tout le monde riait sort sur les écrans après la mort de Dorothy Stratten. Time Inc se désengage de la production, et la 20th Century Fox garde les droits de distribution. A la suite de résultats médiocres issus de projections test, le studio ne croit plus au film. Bogdanovich rachète le film et le distribue lui-même. Ruiné dans l’opération et traumatisé par l’affaire Stratten, Peter Bogdanovich reste plusieurs années sans reprendre le chemin des studios. Mask le fait sortir de sa retraite. Le scénario d’Anna Hamilton Phelan retrace l’histoire vraie de Rocky Dennis, un enfant atteint d’une maladie infantile rarissime qui transforme l’ossature du crâne. Sa tête se métamorphose en une sorte d’Elephant Man. Le scénario permet à Bogdanovich d’établir un lien entre Rocky et Dorothy Stratten, tous deux victimes de leur « monstruosité » et fauchés dans la fleur de l’âge. Bogdanovich reprend dans le film les centres d’intérêt de Stratten comme la musique rock et Bruce Springsteen.

Peter Bogdanovich réalise avec Mask un mélodrame. Il fait le portrait d’un adolescent de quinze ans avec les préoccupations et les passions de son âge (la musique, le base-ball), ses rêves (voyage en Europe sur les traces de ses racines). Epoque de la puberté, des grands changements et de l’envie de prendre son envol. Il est l’homme de la femme et veille sur sa mère (Cher, formidable), femme « moderne » qui couche à droite à gauche et n’hésite pas à prendre des drogues dures. Evidemment, Rocky est un surdoué; par son humour et l’autodérision, il réussit à surmonter tous les problèmes que sa difformité engendre que ce soit à l’école ou dans la vie de tous les jours. Devenu moniteur dans un camp de vacances pour jeunes aveugles, il tombe amoureux de Dana. Amour que les parents de Dana refuseront en découvrant Rocky. Aucune aspérité ne vient encorner l’éloge de Rocky par Peter Bogdanovich, il est si parfait dans sa conduite, que le film frôle la niaiserie. Egalement, le réalisateur fait des Hells Angels qui tournoient autour de sa mère de chics types. Bogdanovich, grand cinéphile, s’inspire de Douglas Sirk, mais en oublie l’essentiel: les troubles qui animent les personnages, les failles qui en font des êtres humains. Son film semble totalement hors époque et baigne dans une mélasse bien-pensante qui se transforme en une ode à l’Amérique. Mask est aux antipodes d’Elephant Man de David Lynch, film auquel il fut souvent comparé. Bogdanovich idéalise Rocky avec dans sa ligne de mire un hommage à Dorothy Stratten.

L’élément fort de Mask est l’interprétation de Cher dans le rôle de la mère de Rocky. Défoncée, croqueuse d’hommes, elle est une femme de son temps, libre de faire ce que bon lui semble. Elle balance ses répliques avec un naturel confondant, on en vient à se demander si elle n’improvise pas et ne transforme pas les dialogues à sa sauce. Ses costumes rappellent son époque de provocation sexy des années 60/70, minijupes, cuissardes, jeans moulants…). Le jury de Cannes ne s’y trompe pas et lui décerne son prix d’interprétation. La chanteuse du groupe Sonny and Cher, venait de mettre en suspens sa carrière pour se consacrer au cinéma. Mask est son troisième film après avoir fait forte impression dans Reviens Jimmy Dean, reviens (Come Back to the 5 & Dime, Jimmy Dean, Jimmy Dean, 1982) de Robert Altman et Le mystère Silkwood (1983) de Mike Nichols, un beau démarrage.

Dans le petit rôle de Dana, la non-voyante, une jeune actrice qui va faire son chemin, c’est Laura Dern. Fille de Bruce Dern et de Diane Ladd, elle éclate dans le dans le road-movie romantico-baroque de David Lynch Sailor et Lula (Wild at Heart, 1990) avant de devenir l’une des actrices favorites du cinéaste.

Mask remet Peter Bogdanovich en selle. Pourtant la sélection du film à Cannes s’accompagne d’un conflit entre le réalisateur et ses producteurs. Bogdanovich arrive à Cannes à ses frais, en effet. Depuis plusieurs mois, il a engagé une procédure en justice contre son producteur Martin Starger et Universal. Il leur reproche d’avoir amputé le film de plusieurs scènes-clefs et retiré les chansons de Bruce Springsteen. La version projetée à Cannes n’est pas celle-ci voulue par le réalisateur. Ainsi, Bogdanovich boude la traditionnelle conférence de presse qui suit la présentation du film. Sur l’estrade, Cher, Martin Starger et Anna Hamilton Phelan, la scénariste, répondent à la presse. Toutes les questions portent sur les conflits entre les différents partenaires. De son côté, Bogdanovich organise sa propre conférence de presse dans un salon de l’hôtel Grey d’Albion. Il est accompagné par Rusty Dennis, la mère de Rocky. Situation inédite pour le Festival de Cannes où l’on se targue de défendre les auteurs face au rouleau compresseur de l’industrie.

Bogdanovich a bien tenté de rallier Cher à son combat, mais les rapports tendus entre eux durant le tournage les ont éloigné. Le problème pour la production est le budget pour l’acquisition des droits musicaux. Fixé par le studio à 226 000 dollars pour l’ensemble, les 14 minutes de musique de Springsteen faisaient passer le budget à un million de dollars. Bogdanovich propose même de mettre de sa poche 160 000 dollars. Mais au fil des négociations, CBS (producteur de Springsteen) exige des droits secondaires sur l’exploitation vidéo. Inacceptable pour Universal. Bogdanovich supervise le montage qui s’achève en décembre 1984. Il dépasse de 10 minutes la durée prévue par contrat. Universal demande des coupes et une musique de remplacement pour Springsteen. Bogdanovich part en vacances en Europe sans avoir répondu au studio. La sortie de Mask est prévue pour le mois de mars. Son producteur décide d’utiliser quatre morceaux de Bob Sager et retranche les 10 minutes du film. En janvier, Peter Bogdanovich supervise le mixage « Pour limiter les dégâts ». En février, Bogdanovich cite la production en justice pour bloquer la sortie du film. Il est débouté. Mask sort dans sa version cinéma validée par Universal. Le montage de Bogdanovich (avec les morceaux de Springsteen) est désormais exploité dans la version Director’s Cut de l’édition DVD-Blu-ray. Sous le mélodrame conventionnel de Mask se cache une œuvre d’auteur.

Fernand Garcia

Mask est disponible en édition combo, DVD et Blu-ray, chez Elephant Film. L’éditeur propose les deux versions du film, la Cinéma et la Director’s Cut. En complément : Dans « Peter Bogdanovich derrière le masque » Jean-Baptiste Thoret revient sur la genèse de Mask, une histoire totalement liée au drame de Dorothy Stratten (34 minutes). « Bas les masques », interview de Peter Bogdanovich sur le film (23 minutes). La bande annonce d’époque et des autres titres disponibles : Isadora, La vie privée d’un sénateur, Henry & June et My Left Foot, complète cette édition.

Mask un film de Peter Bogdanovich avec Cher, Sam Elliott, Eric Stoltz, Richard Dysart, Harry Carey, Jr., Laura Dern, Lawrence Monoson, Dennis Burkley, Ben Piazza, Estelle Getty… Scénario : Anna Hamilton Phelan d’après l’histoire vraie de Rocky Dennis. Directeur de la photo : László Kovács. Direction artistique : Norman Newberry. Montage : Eva Gardos, Barbara Ford. Musique : Dennis Ricotta. Producteur : Martin Starger. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1985. Version cinéma : 120 minutes. Version Director’s Cut : 130 minutes. Ratio image : 1.85 :1 – 16/9e. Audio : Anglais DTS HD Mono 2.0. VOSTF. Master numérique Haute Définition. Full HD. Tous Publics.