Malicia – Salvatore Samperi

Margherita La Brocca (Grazia Di Marzà) est morte. Son plus jeune fils, le petit Enzio (Massimiliano Filoni) joue au ballon dans l’appartement. Il croise la veuve Corallo (Angela Luce) – le plus beau cul de Catane selon son père -, qui apporte des rafraîchissements dans la chambre de la défunte. Antonio (Gianluigi Chirizzi), le frère aîné, se prépare dans son beau costume pour la cérémonie. Nino (Alessandro Momo) plasmodie devant le miroir de la salle de bains que « Maman est morte ». Il n’arrive pas à éprouver la moindre tristesse. Ignazio (Turi Ferro) fait bonne figure devant tous les invités aux funérailles. Assise dans un coin de l’appartement, une jeune femme que personne ne remarque : Angela (Laura Antonelli)…

Angela (Laura Antonelli) apparaît dans la famille La Brocca, comme le Visiteur (Terence Stamp) de Théorème de Pasolini. Elle entre en scène à la mort de la maîtresse de maison. Rapidement, le naturel et la beauté de Malicia fascinent les hommes de la maison. L’ainé est le premier à tenter une approche, maladroite et rude, éconduit, il renonce devant la résistante d’Angela. Nino, est attiré, mais la timidité de l’adolescence, le condamne à l’épier. La parade commence autour d’Angela. Nino devient jaloux et envieux. Le père commence à voir en Angela, une femme sensuelle et pulpeuse, l’inverse de sa femme. Le plus petit, Enzio, vie sa vie d’enfant, adoptant le plus naturellement du monde Angela comme membre de la famille.

Salvatore Samperi tourne Malicia en 1973, mais déplace l’action de quelques années en arrière, certainement pour ne pas avoir de problème avec la censure italienne, mais ce déplacement ne change rien tant les mentalités semblent figées depuis des lustres avec comme dénominateur commun : la frustration sexuelle. L’hypocrisie règne dans ce petit monde. A la lourdeur des traditions et des interdits s’ajoute la superstition. Le père finit par croire que l’âme de sa femme hante la maison. Patron autoritaire, il a toujours été sous le pouvoir des femmes, de sa Margherita et surtout sous celui de sa mère. Malgré son statut de père et de chef d’entreprise, Ignazio doit obtenir la bénédiction de sa mère pour épouser Angela. Ce qu’elle refuse en l’humiliant délibérément devant ses enfants.

En situant toute l’histoire au sein d’une famille, Samperi décrit l’étouffement répété de génération en génération. Angela, toute en sensualité, est l’agent révélateur des conventions et petitesses de la bourgeoise. Angela est dans la droite ligne de la Célestine du Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau et des versions de Renoir et de Buñuel. Angela joue sur la malice, loin d’être naïve, elle ne provoque pas directement, ses bas entraperçus en haut d’une échelle suffisent à provoquer le désir ses charmes suffisent à faire tomber les masques.

Nino est à un âge où la femme, n’est plus simplement une mère, mais un être désirable. Angela le fascine sans qu’il ne puisse mettre des mots sur ce qu’il ressent. Ses premiers émois, le perturbent. Sa position sociale, fils de riche, lui permet de se croire au-dessus d’Angela. Entre les deux, s’engage un jeu érotique, où l’adolescent se persuade d’entre le maître. Pour ne pas compromettre son futur avec Ignazio, Nino veut soumettre Angela à ses caprices de fantaisie érotique. Son unique but – qu’il n’ose avouer – est de posséder le corps d’Angela, qui l’attire autant qu’il lui fait peur. Le petit jeu que Nino met en place, n’ira pas bien loin, une culotte qui glisse sous la table, la faire servir sans soutien-gorge. Nino a tellement besoin de se mettre en valeur, qu’il demande à son meilleur ami de l’accompagner pour reluquer Angela nue. Angela aura vite fait de percer à jour Nino. Elle reprend la main, faisait de l’adolescent, un homme. Angela domine les hommes de la maison, aucun doute n’est plus possible, elle est désormais la maîtresse absolue de la maison.

Le film doit énormément à l’interprétation de Laura Antonelli, d’une beauté renversante sans la moindre once de vulgarité, et à l’époustouflante photographie de Vittorio Storaro.

Malicia est un énorme succès en Italie. Laura Antonelli devient une star. Elle connait une période magique où quelques-unes des plus grandes signatures du cinéma italien la demande. Sexe fou (Sessomatto, 1973) de Dino Risi, Mon Dieu comment suis-je tombé si bas ? (Moi Dio, como sono caduta in basso ! 1974) de Luigi Comencini, avec en point d’orgue L’innocent (L’Innocente, 1976), chef-d’œuvre méconnu de Luchino Visconti. Pourtant, Laura Antonelli avait déjà une belle carrière et émoustillé le pays avec Ma femme est un violon (Il merlo maschio, 1971) de Pasquale Festa Campanile (un succès). Sa relation avec Jean-Paul Belmondo lui avait ouvert les portes du cinéma français. Ils tournent ensemble dans Les mariés de l’An II (1971) de Jean-Paul Rappeneau, Docteur Popaul (1972) de Claude Chabrol et L’Alpagueur (1976) de Philippe Labro. Une liaison qui prendre fin en 1978. Laura Antonelli retrouve Samperi et Alessandro Momo pour Péché véniel (Peccato veniale, 1974) surfant sur le triomphe de Malicia. Il faudra attendre les années 90 pour qu’une suite voit le jour, hélas Malicia 2000, n’a ni le charme, ni l’authenticité du premier opus. Une pure opération commerciale qui tombe à l’eau. Citons parmi les films avec Laura Antonelli, Divine Créature de Giuseppe Patroni Griffi, La maîtresse légitime (Mogliamante, 1977), le vénéneux Black Journal et l’érotique La Vénitienne de Mauro Bolognini, Passion d’amour d’Ettore Scola, où un beau soldat lui préfère une femme moins attirante ! Laura Antonelli n’aura pas eu une carrière à la hauteur de sa beauté.

Alessandro Momo, disparaît tragiquement à dix-sept ans dans un accident de moto. Malicia le propulse sur le devant de la scène. Il débute très jeune dans une série TV. Momo était l’un des acteurs les plus prometteur du cinéma italien. Sa dernière interprétation est dans un chef-d’œuvre de la comédie italienne : Parfum de femme (Profumo di Donna, 1974) de Dino Risi. Momo est le jeune soldat chargé d’accompagner un capitaine aveugle et irascible (Vittorio Gassman).

Malicia bénéficie d’une photographie de Vittorio Storaro époustouflante. Les mouvements de caméra, l’harmonie parfaite entre les décors, les costumes et l’éclairage donnent au film une classe folle. Vittorio Storaro venait de terminer le somptueux et scandaleux Dernier Tango à Paris (1972), quand il arrive sur le film de Samperi. Dans Malicia, tout est en mouvement, la caméra se déplace entre les personnages avec une grande élégance. Les éclats de lumière, éclaires, faisceau de lampe, qui jalonnent le film, entre autres dans la poursuite finale de Malicia, nue, dans l’appartement, caractérisent les personnages comme autant de traits psychologiques. C’est bien sûr avec Bernardo Bertolluci que Storaro ira le plus loin dans ses recherches photographiques et psychologie (1900, La Luna et Le dernier Empereur).

Malicia, plus qu’une simple comédie érotique, un film délicieusement subversif, ce qui en son temps lui vaudra une interdiction aux moins de 18 ans. On ne badine pas avec la morale.

Fernand Garcia

Malicia une Edition Sidonis-Calysta, disponible pour la première fois en Blu-ray dans un report HD de grande qualité qui permet de redécouvrir la splendeur de la photographie de Vittorio Storaro. En complément Jean A. Gili, critique et historien, l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma Italien, revient longuement sur les différents aspects du film de Samperi, instructif et passionnant (32 minutes). Enfin, la bande-annonce d’époque révèle toutes les scènes gentiment « hot » de Malicia (3,43 mn). 

Malicia (Malizia) un film de Salvatore Samperi avec Laura Antonelli, Turi Ferro, Alessandro Momo, Tina Aumont, Lilla Brignone, Pino Caruso, Angela Luce, Stefano amato, Gianluigi Chirizzi, Grazia Di Marzà… Scénario : Salvatore Samperi, Ottavio Jemma, Alessandro Parenzo d’après une histoire de Salvatore Samperi. Directeur de la photographie : Vittorio Storaro. Décors et costumes : Ezio Altieri. Montage : Sergio Montanari. Musique : Fred Bongusto. Producteur : Silvio Clementelli. Production : Clesi Cinematografica. Dino De Laurentiis Cinematografia. Italie. 1973. Technicolor. Techniscope. Format image : 2.35 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française.