L’Île mystérieuse – Cy Enfield

Siège de Richmond, Virginie 1865. La bataille fait rage sous une pluie battante. Devant la prison militaire, un ballon est ballotté par les vents. De leur cellule, des soldats de l’Union sous les ordres du capitaine Cyrus Harding (Michael Craig) préparent leur évasion… Ils doivent rejoindre le ballon et s’enfuir par les airs…

L’Île mystérieuse est l’adaptation du classique de Jules Verne par le duo Charles H. Schneer et Ray Harryhausen, respectivement producteur et responsable des effets spéciaux. Après les succès des Voyages de Gulliver (The 3 worlds of Gulliver, 1960) et du 7e Voyage de Sinbad (The 7th Voyage of Sinbad, 1958), le duo se met en quête d’un sujet qui puisse combiner la qualité scénaristique et la force des effets spéciaux. La Columbia leur propose un scénario qui avait été mis au placard, une adaptation de L’Île mystérieuse de Jules Verne, par Crane Wilbur. Ce vieux projet cadre parfaitement avec les ambitions de Schneer et Harryhausen. Ils doivent toutefois reprendre le script. Le scénario de Crane Wilbur suit de trop près le roman de Verne et ne permet pas d’introduire ce qui fait l’intérêt des films de Ray Harryhausen: les effets spéciaux. John Prebble et Daniel Ullman sont chargés de revoir le texte. Ils gardent la structure du roman, l’évasion en montgolfière, la découverte de l’île, le secret de l’île, mais introduisent des modifications qui vont s’avérer cinématographiquement payantes. Ils abandonnent la notion d’animalité au cœur de l’ouvrage de Verne, introduisent des personnages féminins naufragés qui n’existent pas dans le roman (joués par l’excellente Joan Greenwood et la sexy Beth Rogan) et sur les conseils de Cy Endfield ajoutent une dimension «écologique » avec des plantes et des animaux atteints de gigantisme, le tout destinés à nourrir l’espèce humaine en voie de surpopulation.

L’Île mystérieuse n’est pas la suite de 20 000 lieues sous les mers, tout comme l’œuvre de Jules Verne, même si l’on retrouve dans l’aventure le capitaine Nemo. Dans un premier temps, il fut même question de reprendre James Mason dans le rôle après sa prestation dans le film de Richard Fleischer. Mais le cachet demandé par l’agent de Mason était trop important pour la production. C’est donc Herbert Lom, tout aussi excellent et futur commissaire Dreyfus de la série des Panthère Rose, qui l’incarne. Personnage légendaire, le Capitaine Nemo est un utopiste dont le but est de mettre la science au service de l’homme pour faire le bien. Le film respecte ce postulat. Et même si le film n’est pas l’adaptation fidèle du roman, il n’en garde pas moins l’esprit.

Le choix de Cy Endfield pour la mise en scène s’avère excellent. Il donne vie à l’histoire avec un grand sérieux et avec la fantaisie nécessaire. Plusieurs séquences sont des modèles de mise en scène comme l’évasion en ballon sous une pluie battante. L’intégration des effets de Ray Harryhausen se fait le plus naturellement du monde grâce à une progression dramatique qui se cale sur la découverte de l’île. Des plantes géantes, on arrive aux animaux géants: crabe, poulet, abeille. Le sous-thème écologique se révèle au fil de l’aventure. Les naufragés deviennent, sans en être conscients, les cobayes pour une nouvelle humanité du Capitaine Nemo, c’est la mise en pratique de ses théories. La grande habileté d’Endfield est de faire passer tout cela de manière simple, comme quoi les préoccupations sur l’avenir de la planète remontent à loin.

Cy Endfield contrairement à ce que l’on pourrait croire n’est pas anglais mais américain. Il est contraint de quitter les Etats-Unis à cause de la chasse aux sorcières. Il se refuse à négocier quoi que ce soit avec la sinistre commission McCarthy. Cy Endfield avait débuté comme metteur en scène et chorégraphe dans le théâtre d’avant-garde new-yorkais des années 30. Par un curieux concours de circonstances, il intégre le Mercury Theater d’Orson Welles. En effet, Endfield est un magicien hors pair et cet art fascine le grand Welles. Il lui apprend des tours, et en contrepartie Welles lui permet de suivre le tournage de La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942) et plus tard de Voyage au pays de la peur (Journey Into Fear, 1943) que signe Norman Foster. Passé à la réalisation avec un certain mordant, il dénonce les dérives du capitalisme et la corruption à travers de films noirs. Ces approches sociales ne passent pas dans une Amérique qui sombre dans une paranoïa anticommuniste, ses films deviennent des éléments à charge contre lui. En 1951, il recommence à zéro en Angleterre en écrivant et réalisant sous plusieurs pseudonymes (comme Joseph Losey, autre exilé politique). Il se lie d’amitié avec Stanley Baker qu’il dirige dans de remarquables films noirs. En 1964 , Endfield réalise l’un des grands classiques du cinéma anglais : Zoulou (Zulu), reconstitution minutieuse et impressionnante de l’attaque par 4 000 zoulous d’un  poste militaire tenu par 105 soldats de Sa Majesté. Énorme succès, Zoulou lance la carrière de Michael Caine sur la scène internationale.

L’Île mystérieuse a été plusieurs fois adaptée à l’écran, mais la version d’Endfield – Schneer – Harryhausen est la meilleure. C’est un enchantement au charme indéniable soutenu par la magnifique partition de Bernard Hermann. Larguons les amarres et partons à la découverte des secrets de L’Île mystérieuse.

Fernand Garcia

L’Île mystérieuse est édité dans la collection Aventures – Ray Harryhausen de Sidonis Calysta. De sympathiques suppléments accompagnent la magnifique copie proposée : Les chroniques de Harryhausen, documentaire sur ses différentes créations pour le cinéma avec les commentaires du maître et de Ray Bradbury, Charles H. Scheener, Dennis Muren, George Lucas, etc. le tout illustré par de nombreux extraits de films, réalisé par Richard Schickel (55 minutes). L’île mystérieuse, featurette, Ray Harryhausen lève le voile sur les secrets de fabrication du film (9 minutes),  une Galerie d’affiches, de dessins préparatoires et de photos et pour finir le voyage, la bande-annonce (2’41).

L’Île mystérieuse (Mysterious Island) un film de Cy Endfield. Conception des effets spéciaux : Ray Harryhausen. Avec Michael Craig, Joan Greenwood, Michael Callan, Gary Merrill, Herbert Lom, Beth Rogan, Percy Herbert, Dan Jackson… Scénario : John Prebble, Daniel Ullman et Crane Wilbur d’après le roman de Jules Verne. Directeur de la photographie : Wilkie Cooper. Décors : Bill Andrews. Montage : Frederick Wilson. Musique : Bernard Herrmann. Producteur : Charles H. Schneer. Production : Ameran Films Limited  – Columbia Pictures. Etats-Unis. 1961. 101 minutes. Technicolor. SuperDynamation. Format image : 1.66 :1.  16/9e  Son : VOSTF 2.0 et 5.1 et VF. Chapitrage. Tous Publics.