Ça vaut quoi la vie d’un homme ? D’un homme comme lui. Un homme sans rien. Skender, ancien légionnaire, le découvrira bien assez tôt. « Madame », veuve fortunée et passionnée de chasse, s’ennuie. Elle charge alors son majordome de lui trouver un candidat pour une chasse à l’homme, moyennant un très juteux salaire. Skender est le gibier idéal. Mais rien ne se passera comme prévu…
« Raconter une chasse à l’homme, stricto sensu, ne m’intéressait que moyennement. C’est un genre en soi « la chasse à l’homme », dès qu’un type s’échappe de prison et que des policiers lui courent après, c’est une chasse à l’homme. L’intérêt du genre, quel qu’il soit, c’est qu’il offre un cadre et qu’à l’intérieur de ce cadre, tout est permis. » Lucas Belvaux.
Né le 14 novembre 1961 à Namur en Belgique, le réalisateur, scénariste et acteur Lucas Belvaux, a commencé sa carrière comme comédien. En 1981, il fait ses débuts au cinéma dans Allons z’enfants, le plaidoyer antimilitariste d’Yves Boisset où il interprète un jeune insoumis. On l’aperçoit ensuite chez Losey et Zulawski avant de tourner avec deux maîtres de la Nouvelle vague en 1985, Claude Chabrol dans Poulet au vinaigre, et Jacques Rivette dans Hurlevent. On le verra ensuite en amoureux du rock dans Désordre (1986) d’Olivier Assayas et en clerc de notaire dans Madame Bovary à nouveau réalisé par Claude Chabrol.
C’est au début des années 90 qu’il passe derrière la caméra en réalisant son premier long métrage, Parfois trop d’amour (1992). En 1996 il obtient les faveurs de la critique et du public avec son film Pour rire !. En 2001 il se lance dans la réalisation d’un incroyable triptyque composé d’une comédie, Un couple épatant (2003) avec Ornella Muti et François Morel, d’un thriller, Cavale (2003) avec Catherine Frot et Lucas Belvaux, et d’un mélodrame, Après la vie (2003) avec Dominique Blanc et Gilbert Melki, où les personnages principaux de chaque film deviennent les personnages secondaires des deux autres. Cinéaste engagé, Belvaux puise son inspiration dans la réalité sociale. Son ambitieux projet sera récompensé par Le Prix Louis-Delluc.
Dans le même temps, Lucas Belvaux continue de jouer pour des cinéastes comme Hervé Le Roux (On appelle ça… le printemps, 2001), Chantal Akerman (Demain on déménage, 2004), Christian Carion (Joyeux Noël, 2005), Régis Wargnier (Pars vite et reviens tard, 2007)) ou encore Robert Guédiguian (L’Armée du crime, 2009). Il joue aussi l’un des rôles principaux de son sixième long métrage comme réalisateur, La Raison du plus faible (2006). En 2009, il réalise Rapt, adaptation du fait divers relatant l’enlèvement du Baron Empain avec Yvan Attal qu’il retrouvera en 2012 pour sa nouvelle réalisation, 38 témoins. Le cinéaste réalise ensuite Pas son genre (2014) et Chez Nous (2017) avec la comédienne Emilie Dequenne. En 2021, il réalise Des hommes avant de se lancer dans l’écriture de son premier roman, Les Tourmentés, paru en 2022, dont il nous livre ici l’adaptation.

« J’écrivais un livre pour ne pas écrire un scénario, pour changer de type d’écriture, varier les plaisirs en quelque sorte. Depuis trente-cinq ans, j’écris des scénarios ce qui est une écriture très particulière, très technique, très contrainte, surtout. Quand on écrit un scénario on pense déjà au film, aux acteurs, aux décors, au coût, à la durée, etc. Je voulais retrouver le plaisir d’une écriture libre de toute contrainte. […] Ce n’est qu’une fois le livre écrit que je me suis dit qu’il y avait de quoi faire un film et que ça m’amuserait de le faire. » Lucas Belvaux.
Adaptation de son propre roman éponyme, le nouveau film de Lucas Belvaux, Les Tourmentés, est une œuvre cinématographique ambitieuse. A l’instar de nombreux projets du cinéaste, abordant des thèmes tels que la culpabilité, le pardon, la rédemption et la confrontation avec le passé, Les Tourmentés porte une réflexion sociétale complexe et intime. Cependant, ce qui distingue ce film, c’est son approche subtile et sa capacité à naviguer entre les tensions internes des personnages et l’ampleur des enjeux sociaux, tout en plaçant les individus face à leurs contradictions.
Cinéaste aux multiples facettes, Lucas Belvaux est reconnu pour sa capacité à explorer les profondeurs humaines à travers des récits souvent ancrés dans la réalité sociale et psychologique. Après ses premiers succès, Belvaux a toujours su se renouveler tout en gardant certaines lignes directrices dans ses œuvres comme celle de l’exploration intime des rapports humains dans des contextes tendus, où la frontière entre le bien et le mal devient floue.
« Leurs tourments viennent qu’ils n’ont pas été aimés, qu’ils ont connu ce qu’il y a de plus noir dans la vie avant d’en connaître la beauté. Ils n’ont pas eu la chance de connaître l’innocence, la naïveté, la légèreté de l’enfance. Les Tourmentés, c’est un film initiatique à l’envers, plutôt que des enfants confrontés à une réalité plus dure que ce qu’ils croyaient, c’est l’histoire d’adultes désespérés qui vont découvrir à travers un pacte un peu diabolique, que la vie mérite toujours d’être vécue. » Lucas Belvaux.

Dans Les Tourmentés, Belvaux ne manque donc pas de nous offrir une mise en scène qui jongle subtilement entre l’introspection et la tension sociale, rendant palpable l’intensité des dilemmes moraux vécus par ses personnages. L’adaptation de son propre roman témoigne de sa volonté de se confronter aux complexités émotionnelles et sociales de ses personnages tout en cherchant à retranscrire le plus fidèlement possible l’atmosphère de son livre. Situé entre psychologie et réflexion sociale, le scénario du film se veut une plongée dans les tourments intérieurs des personnages, mais aussi une réflexion philosophique sur des thèmes sociaux et politiques complexes. Belvaux tisse ainsi un récit où l’on suit des personnages aux trajectoires croisées, chacun en quête de réhabilitation ou en proie à une forme de culpabilité.
L’histoire est construite autour du personnage principal, Skender, joué par Niels Schneider, qui incarne un homme profondément marqué par un passé difficile, hanté par ses actes et ses erreurs. Skender est un homme brisé, un personnage complexe que le film dépeint avec subtilité, loin des stéréotypes du « héros » ou du « méchant ». Ce flou moral est l’une des forces du scénario, qui met en avant la dualité des personnages. Finement écrits, les dialogues servent de révélateurs des tensions internes des protagonistes. Le film avance dans une tension constante, alternant entre moments de calme et d’introspection, et des scènes plus tendues où la confrontation avec le passé semble inévitable.
L’une des grandes forces du film réside dans sa capacité à aborder des questions profondes sur la nature humaine. Traitant des rapports de culpabilité et de rédemption, Les Tourmentés met en lumière une question fondamentale : Est-il possible de réparer ses erreurs ? et si oui, comment ? Belvaux interroge les limites de la rédemption, tant sur le plan personnel que collectif. Dans ce film, les personnages ne sont jamais totalement bons ni totalement mauvais, mais plutôt des êtres humains en quête de sens et de pardon. Ce questionnement moral est mis en scène à travers les rapports entre les personnages, notamment entre Skender et Max. Plongé dans la culpabilité de son passé, Skender semble chercher une forme de salut qu’il n’arrive jamais à saisir pleinement. De son côté, Max incarne le rôle de celui qui veut faire avancer les choses, mais qui se trouve aussi pris dans ses propres dilemmes. Cette tension entre rédemption et acceptation des fautes fait écho à la réflexion philosophique selon laquelle le pardon ne peut être acquis, mais plutôt vécu et accepté.

A la fois cinéma de l’intime et de la tension, la mise en scène du film est marquée par une grande maîtrise du rythme et une capacité à faire émerger les émotions à travers les plans. Pour cela, Belvaux s’attache à filmer ses personnages dans des cadres souvent étroits, créant ainsi une atmosphère étouffante et intime, propice à l’expression de leurs tourments intérieurs. Cette volonté de capturer l’intensité des personnages se manifeste par une utilisation judicieuse des espaces et des décors, souvent en opposition avec les mouvements internes des protagonistes. La caméra de Belvaux scrute sans relâche les émotions de ses personnages, cherchant à capter l’intensité de chaque instant, tout en mettant en lumière leurs fragilités et leurs contradictions. Le film, dans sa structure, oscille entre la confrontation avec le passé des personnages et leurs tentatives de réhabilitation, ce qui génère une tension de chaque instant. Dans le même temps cinéaste et scénariste, le travail de Belvaux est empreint d’une cohérence qui permet de lier les thématiques de la culpabilité et de la rédemption à une question psychologique et sociale plus large : Comment faire face à un passé lourd, aux erreurs qu’on a commises, et à la possibilité, ou non, de réparer ce qui a été brisé ?
Avec ses personnages qui vont découvrir que la vie n’est pas faite que de souffrances ou de violence et que la mort n’est pas la seule expérience à même de révéler aux hommes leur vraie nature, Les Tourmentés est en quelque sorte l’histoire d’une épiphanie, le récit de leur voyage à la découverte de qui ils sont, en dépit de ce que l’on a fait d’eux, de ce qu’on leur a fait croire, de ce qu’on leur a fait. D’une grande justesse, l’interprétation des acteurs incarne pleinement cette quête de sens et de réconciliation. Leurs jeux subtils, empreints de non-dits, viennent enrichir la complexité des personnages et le sujet du film. Chaque acteur, dans son rôle, réussit à naviguer entre le douloureux et le lumineux, entre la fragilité et la force intérieure.
« Ce qui m’a plu dans ce personnage c’est sa solitude, ses silences et ses ambiguïtés. J’ai été touché par cet être qui va arriver à surmonter sa violence pour retisser les liens avec sa famille et finalement se reconstruire. » Niels Schneider.

Niels Schneider (J’ai tué ma mère, 2009 ; Les Amours Imaginaires, 2010 ; Les Rencontres d’après minuit, 2013 ; Gemma Bovery, 2014 ; Diamant Noir, 2016 ; Sympathie pour le diable, 2019 ; Un Amour impossible, 2018 ; Sibyl, 2019 ; Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, 2020 ; Coup de Chance, 2023…), dans le rôle de Skender, un homme en quête de rédemption, incarne avec brio un personnage complexe, à la fois vulnérable et empreint de douleur. Skender est hanté par la violence dont il a été témoin et à laquelle il a participé. Schneider parvient parfaitement à rendre tangible le traumatisme et la lutte interne de son personnage à la fois tourmenté par ses erreurs et désireux de se réconcilier avec son passé. Marquée par la retenue, sa prestation est d’une rare puissance émotionnelle. Ses silences disent plus que des mots. Capturant la tension et le désespoir qui traversent son personnage, Schneider parvient à lui offrir une véritable intensité dramatique.
« Max a connu les bas-fonds et les bassesses de l’humanité mais il a la force incroyable de s’extraire de tout cela. Il découvre qu’il y a un autre monde que l’armée, la guerre et la mort. « Madame » lui a donné les clés du monde de la culture et de la beauté, une seconde vie pour lui. C’est la raison pour laquelle il lui est dévoué corps et âme. » Ramzy Bedia.
Ramzi Bedia (La Tour Montparnasse infernale, 2001 ; Steak, 2007 ; Seuls Two, 2008 ; Il reste du jambon ?, 2010 ; Hibou, 2016 ; Une Vie Ailleurs, 2017 ; La Lutte des Classes, 2019 ; Rendez-vous chez Les Malawas, 2019 ; Terminal Sud, 2019 ; Zaï Zaï Zaï Zaï, 2022 ; Classe Moyenne, 2025…), dans le rôle de Max, ami et complice de Skender, incarne un personnage de soutien, mais aussi, avec sa conscience perturbée, un personnage de doute et de contradiction. En décalage avec l’intensité du vécu de Skender, Max est un personnage pragmatique. Entre soutien loyal et remise en question des actions de son ami, Ramzi Bedia réussit à rendre son personnage ambigu et complexe.
« Mon personnage est a priori peu sympathique car dénuée de toute empathie. Mais je ne voulais pas en faire une caricature de méchante. Je me suis souvenue que tous les films de Lucas portent un regard plein d’humanité sur les gens. » Linh-Dan Pham.

Véritable figure maternelle d’autorité et de sagesse, Linh-Dan Pham (Indochine, 1992 ; Pars vite et reviens tard, 2006 ; Dante 01, 2007 ; Vertiges, 2010 ; Tout ce qui brille, 2010 ; Associés contre le crime, 2012 ; Le Grand Méchant Loup, 2013 ; Qu’un sang impur…, 2019…), dans le rôle de « Madame », apporte une indéniable profondeur au film. Personnage clé, « Madame » incarne les dilemmes moraux et émotionnels auxquels les autres personnages sont confrontés, et elle agit comme un miroir de leurs tourments et aspirations. « Madame » représente une certaine sagesse, mais aussi une forme de rachat possible pour Skender, agissant comme une sorte de guide ou de conscience morale. Pham sait rendre son personnage à la fois mystérieux et essentiel, grâce à un jeu empreint de subtilité et de force tranquille.
« J’ai tout de suite accroché à l’histoire et au rôle. Il y a chez Lucas une façon d’explorer la face sombre de l’humanité qui m’intéresse beaucoup. Ses personnages sont complexes, ambivalents, souvent très sombres mais toujours avec une lueur d’humanité. » Déborah François.
Déborah François (L’Enfant, 2005 ; La tourneuse de pages, 2006 ; Les Fourmis rouges, 2007 ; Le premier jour du reste de ta vie, 2008 ; Les Femmes de l’ombre, 2008 ; Populaire, 2012 ; Fleur de Tonnerre, 2016 ; Ma Famille T’Adore Déjà, 2016 ; Chacun sa vie, 2017 ; Fanon, 2025…), dans le rôle de Manon, est une présence lumineuse qui symbolise l’amour et la fragilité. Marquée par les tensions qui l’entourent, son personnage, bien que secondaire, souligne aussi bien la complexité des rapports humains que le rapport, tout aussi complexe, entre espoir et désillusion, qui traverse l’ensemble du film. Le personnage de Manon incarne la possibilité d’un amour sincère, d’un nouveau commencement, et l’espoir d’une rédemption affective. Déborah François interprète ce personnage avec une grande délicatesse. La pureté du personnage de Manon vient contraster avec la noirceur du passé de Skender. Avec son jeu empreint d’une grande douceur, la comédienne parvient à travers son personnage, à insuffler une forme de lumière dans ce drame psychologique, une pulsion de vie.

Ancien légionnaire, Skender accepte de servir de gibier pour de l’argent. Pour lui, la vie et la mort sont la même chose. De son côté, Max semble s’interdire tout sentiment, quant à « Madame », cette dernière n’a plus ni affect ni scrupule… Si ses personnages sont des marginaux, à travers son écriture et sa mise en scène, Lucas Belvaux ne cherche pas à les juger mais à explorer ce qui les motive, ce qui les pousse à agir, et comment ils luttent pour surmonter leurs démons intérieurs. Les Tourmentés est une méditation sur la vie, ses complexités et ses contradictions. Le film réussit ainsi à montrer également que la rédemption ne réside pas seulement dans un acte héroïque ou dans la purification d’une faute, mais dans la compréhension et l’acceptation de soi-même et de ses failles, dans le courage d’affronter ses erreurs sans s’y résigner. Chaque personnage du film, à sa manière, se trouve dans une quête de sens, pour comprendre et accepter ce qui le défini, pour faire la paix avec un passé inévitable. Comme on n’échappe pas à son passé, il faut l’« accepter » pour pouvoir continuer à avancer.
Bien que l’histoire du film soit marquée par une profonde dimension intime et psychologique, elle s’ancre dans des thématiques et des questions à la portée universelle. A travers ses personnages, Les Tourmentés interroge des problématiques et des questions existentielles qui touchent et concernent chacun d’entre nous, à savoir le poids du passé, les erreurs commises et la quête de sens dans un monde souvent impitoyable. Tout en restant dans une réflexion sur l’individu et ses dilemmes intérieurs, le cinéaste ne perd jamais de vue la dimension collective et sociale. Avec un réalisme poignant et une capacité à faire émerger des émotions brutes et authentiques chez le spectateur, Lucas Belvaux réussit à rendre chaque situation universelle et chaque personnage profondément humain. Intime et universel, c’est dans ce savant mélange que réside la véritable force du film. A la fois introspective et universelle, Les Tourmentés est une œuvre qui explore les recoins les plus sombres de l’âme humaine tout en laissant place à une forme d’espoir et de lumière, aussi fragile soit-elle.
Sur le plan technique, Les Tourmentés se distingue par une photographie élégante et immersive signée Guillaume Deffontaines, dont les jeux de lumière et d’ombre participent à l’instauration d’une atmosphère oppressante mais également pleine de nuances. Le montage de Mathilde Muyard, lui aussi, permet de doser les tensions dramatiques avec une grande finesse, alternant entre moments de silence et scènes de confrontation intense. Les décors de Stanislas Reydellet, souvent clos et sombres, ajoutent une dimension symbolique à l’histoire, accentuant la sensation d’enfermement intérieur des personnages. Enfin, la musique de Frédéric Vercheval, discrète mais omniprésente, se glisse entre les scènes pour rendre l’expérience plus immersive et souligner l’émotion.
La photographie de Guillaume Deffontaines, chef opérateur entre autres de cinéastes tels que Jean-Marie et Arnaud Larrieu (Le Voyage aux Pyrénées, 2008 ; L’Amour est un crime parfait, 2013) ou Bruno Dumont (Camille Claudel, 1915, 2013 ; P’tit Quinquin, 2014 ; Ma Loute, 2016 ; Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, 2017) et qui a déjà collaboré avec Lucas Belvaux sur le film Des Hommes (2021), participe pleinement à l’atmosphère du film. Tissés de contrastes, les jeux de lumière et d’ombre, ainsi que les couleurs froides et les décors minimalistes, sont utilisés pour symboliser les états d’âme des personnages. Souvent tamisée, la lumière crée un contraste entre la réalité extérieure et le monde intérieur des protagonistes. Jouant avec l’ambiguïté, Deffontaines crée une atmosphère qui oscille entre la beauté silencieuse et l’angoisse latente.

Précis, le montage de Mathilde Muyard, à qui l’on doit entre autres le montage de films comme Lady Chatterley (2006) et Bird People (2014) réalisés par Pascale Ferran, L’Atelier (2017) et Arthur Rambo (2021) réalisés par Laurent Cantet, ou encore Paul Sanchez est revenu ! (2018) et Bowling Saturne (2022) réalisés par Patricia Mazuy, joue un rôle essentiel dans la réussite du film. Les Tourmentés se caractérise par un rythme souvent lent et introspectif, mais qui reste toujours tendu. Mathilde Muyard choisit des coupes nettes et des transitions fluides qui ne laissent jamais le spectateur se sentir en toute tranquillité. Les montées en tension, particulièrement dans les scènes où les personnages se retrouvent face à leurs démons intérieurs, sont marquées par une alternance habile entre moments de silence et éclats émotionnels.
Signés Stanislas Reydellet, à qui l’on doit déjà entre autres les décors de films comme Le Concert (2009) de Radu Mihaileanu, Les Adoptés (2011), Respire (2014), Plonger (2017) et Le Bal des Folles (2021) réalisés par Mélanie Laurent, Continuer (2018) de Joachim Lafosse, ou encore The Substance (2024) de Coralie Fargeat, les décors du film sont soigneusement pensés pour accompagner les personnages dans leur quête intérieure. Les lieux clos, souvent sombres et oppressants, créent une atmosphère pesante, comme si l’espace était lui-même un reflet des tourments des personnages. Architecture de l’intime, entre prison intérieure et possible libération, les décors sont utilisés avec une grande précision pour renforcer la symbolique du film.
Composée par Frédéric Vercheval, compositeur entre autres des bandes originales de films comme Pas son genre (2014) et Chez Nous (2017) réalisés par Lucas Belvaux, Les Volets Verts (2022) de Jean Becker, ou encore Green Border (2024) d’Agnieszka Holland, la musique participe pleinement à la narration émotionnelle du film. Avec une partition subtile et envoûtante qui oscille entre tension et douceur, cette dernière accompagne les moments clés de l’intrigue et accentue l’impact des scènes les plus intenses. A la fois discrète et omniprésente, la musique s’infiltre dans les silences et renforce l’intensité dramatique des scènes.
Les Tourmentés s’inscrit parfaitement dans la continuité de l’œuvre de Lucas Belvaux dont le parcours a toujours été marqué par une quête de compréhension de l’être humain à travers des récits ancrés dans la réalité sociale, économique et psychologique. Comme certains de ses films précédents, Les Tourmentés propose une réflexion sur l’individu dans un monde en perpétuel changement, un monde où les valeurs de rédemption et de justice sont sans cesse remises en question. En abordant des thèmes aussi universels que la culpabilité, la rédemption et les rapports humains, Belvaux parvient à offrir une œuvre singulière, à la fois intime et profonde. Les Tourmentés témoigne de l’évolution du réalisateur, qui, au fil des années, a su affirmer et affiner son approche de la psychologie des personnages, tout en restant fidèle à sa vision cinématographique, où le réalisme et l’émotion occupent une place centrale. La capacité du metteur en scène à marier l’intensité des conflits intérieurs à la richesse des personnages et à une narration fine et complexe, confirme, avec Les Tourmentés, que Lucas Belvaux est un cinéaste majeur de notre époque, capable de traiter des sujets difficiles avec une délicatesse et une justesse admirable.
Oscillant entre exploration psychologique profonde et réflexion sur les mécanismes sociaux qui façonnent l’individu, Les Tourmentés est un film qui plonge au cœur de l’âme humaine, qui explore ses zones d’ombre et de lumière, nous confrontant à la complexité de nos choix, de nos erreurs, de nos luttes et des possibles chemins de rédemption, avec une rare finesse. À travers une mise en scène soignée, une écriture fine, un soin porté aux différents postes techniques et des performances d’acteurs remarquables, le film parvient à capturer l’essence de personnages déchirés par des conflits intérieurs intenses et des dilemmes moraux, et réussit autant à questionner le spectateur qu’à le toucher en plein cœur. Bouleversant et captivant.
Steve Le Nedelec
Photos Copyright David Koskas – BIZIBI

Les Tourmentés, un film de Lucas Belvaux avec Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham, Déborah François, Mahé Boujard, Baptiste Germain, Jérôme Robart… Scénario : Lucas Belvaux d’après son roman. Image : Guillaume Deffontaines. Décors : Stanislas Reydellet. Montage : Mathilde Muyard.Musique : Frédéric Vercheval. Producteurs : Emmanuel Agneray et Patrick Quinet. Productions : Bizibi – Artémis Productions – UGC – Studio Exception – Auvergne Rhône-Alpes Cinéma – RTBF – Shelter Pro – Proximus – BE TV – Canal + – Ciné+OCS – Région Auvergne-Rhône-Alpes – La Région Île-de-France. Distribution (France) : UGC Distribution. (Sortie le 3 septembre 2025). France – Belgique. 2025. 1h40. Couleur. Tous Publics.