Les Amants – Louis Malle

Louise de Vilmorin était membre du Jury du Festival de Cannes l’année du sacre du Monde du Silence en 1956. Pourtant la romancière ne rencontre Louis Malle qu’à la première d’Ascenseur pour l’échafaud. « Passé vingt-cinq ans personne ne m’intimide, mais les très jeunes gens célèbres me terrorisent et comme j’avais cru comprendre qu’il avait moins de vingt-cinq ans, ma timidité m’incitait à me tenir à l’écart du scintillement de sa soudaine renommée. » C’est l’un des frères de Louis Malle qui la reconnaît à la sortie du cinéma et la guide vers le cinéaste. A peine les premiers mots échangés que Louis Malle tire de sa poche un petit livre « Je voudrais savoir ce que vous en pensez. » Il s’agit d’une œuvre parue en 1777, Point de lendemain de Dominique Vivant, Baron de Denon. Cette courte nouvelle est le point de départ du film : Les Amants.

C’est la première fois qu’un cinéaste fait confiance à Louise de Vilmorin, plusieurs de ses romans avaient fait l’objet d’adaptation cinématographique : Le lit à colonnes par Roland Tual, Julietta par Marc Allégret et Madame de… par Marcel Ophuls, sans qu’aucun ne fasse appel à l’écrivaine. « Comme il y a 25 ans, Gaston Gallimard m’a fait pleinement confiance et a édité mon premier livre, ce n’est qu’en 1958 que je suis tombée sur un cinéaste qui m’a également fait confiance : c’est Louis Malle qui me proposa de travailler avec lui. »

Jeanne Tournier est mariée à un riche directeur de journal, Henri. Ils ont une petite fille et vivent près de Dijon, dans un château. Jeanne s’ennuie et n’est pas heureuse. Elle prend l’habitude d’aller à Paris visiter son amie Maggy. Par son entremise, Jeanne rencontre Raoul. Petit à petit des liens entre eux se créent. Henri qui se doute de quelque chose demande à Jeanne d’inviter ses amis parisiens au château. Le jour de leur venu, Jeanne tombe en panne sur la route. Un jeune automobiliste Bernard la ramène chez elle. Pour le remercier, Henri l’invite à passer la soirée au château… Dans la nuit, Jeanne se donne à Bernard… au matin, elle abandonne son mari, sa petite fille, son ancien amant et part avec Bernard.

Les Amants est un grand rôle pour Jeanne Moreau écrit pour elle. L’interaction entre l’actrice et le personnage est telle qu’il porte le même prénom. Avant d’être étiquetée femme adultère, Jeanne est avant tout une femme qui a besoin d’air, qui étouffe dans le monde bourgeois, snobe et stérile dans lequel elle évolue. Son mari, un homme plus âgé, est à l’image de la société française bourgeoise de l’époque, patriarcale et réfractaire à tout changement qui ne serait pas sous son contrôle.

Louis Malle ose dans la France de la fin des années 50, où la morale catholique est extrêmement présente, le portrait d’une femme adultère sans porter de jugement, c’est-à-dire sans la condamner. C’est un véritable outrage aux bonnes mœurs. Il ose aussi une scène d’amour entre les deux amants qui scandalise non seulement en France, mais aussi aux Etats-Unis où le film est interdit dans plusieurs états. Le scandale est tel que la Cour suprême est saisie, ce qui la conduit à déterminer les critères pour la pornographie, critères dans lesquels le film de Louis Malle n’entre pas. Si la scène incriminée entre Jeanne et Dubois-Lambert est aujourd’hui bien chaste, il n’est toutefois pas si courant de voir de nos jours sur les écrans des amours adultères, l’infidélité féminine est toujours sanctionnée.

La mise en scène de Louis Malle, que l’on peut considérer comme classique, est impeccable. Il dirige ses acteurs avec une grande sûreté, parfaitement choisis : Jeanne Moreau, pour la deuxième fois, Jean-Marc Bory, Alain Cuny, José Luis de Villalonga, Judith Magre. Il faut aussi lui reconnaître une grande maturité dans son approche des sentiments. Ajoutons que la photographie en noir et blanc d’Henri Decae dans  la longue séquence de nuit dans le jardin est admirable.

 Les Amants est présenté en septembre au Festival de Venise, c’est un triomphe… et provoque un scandale. L’Osservatore Romano condamne le film comme œuvre diabolique.  A l’heure du palmarès Les Amants partage le Lion d’Argent, Prix spécial du jury,  avec La Sfida (Le défi) de Francesco Rosi, le Lion d’Or est attribué à L’Homme au pousse-pousse (Muhomatsu no issho) du japonais Hiroshi Inagaki. Le scandale et la polémique suscités par Les Amants ne rebutent pas le public qui malgré son interdiction aux mineurs lui fait un triomphe. Le film termine sa carrière avec plus de 2,5 millions d’entrées. Louis Malle, fort de ce succès, va changer totalement de registre avec son film suivant… Zazie dans le métro

Fernand Garcia

 

Rétrospective Louis Malle à la Cinémathèque Française du 14 mars au 1er Avril 2018.

Les Amants est disponible en DVD et Blu-ray chez Gaumont

Les Amants un film de Louis Malle avec Jeanne Moreau, Alain Cuny, Jean-Marc Bory, Judith Magre, Jose-Luis Villalonga, Gaston Modot, Claude Mansart, Georgette Lobbe, Patricia Garcin… Scénario : Louis Malle & Louise de Vilmorin. Dialogues : Louise de Vilmorin d’après Point de lendemain de Dominique Vivant, Baron de Denon. Directeur de la photographie : Henri Decae. Décors : Bernard Evein & Jacques Saulnier. Montage : Leonide Azar. Musique : Sextor à cordes N°1 en si bémol majeur, op. 18, de Brahms. Production N.E.F. Nouvelles Editions de Films. France. 1958. 91 minutes. Noir et blanc. Dyaliscope. Format image : 2.35 :1. Interdit aux moins de 16 ans puis Tous publics (depuis 1999). Lion d’argent, Festival de Venise.