Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? – Amandine Fredon & Benjamin Massoubre

Jean-Jacques Sempé et René Goscinny sont amis. Ils se retrouvent au bistro et échangent sur la vie. Ils aimeraient travailles ensemble. Goscinny écrit des histoires pour la bande dessinée, Sempé est dessinateur. Petit à petit, ils imaginent les aventures d’un enfant de leur époque, le petit Nicolas, de ses parents, de ses amis et des mille et une péripéties de sa vie quotidienne…

Le petit Nicolas nous montre une époque disparue, pour ceux qui ont connu le siècle dernier, un grand sentiment de nostalgie nous envahit, certes tout n’était pas rose, mais se dire que les enfants pouvaient aller seuls à l’école, que la violence et les faits de société n’avaient pas encore submergé les familles, oui une certaine tristesse se juxtapose aux dessins. Goscinny et Sempé nous racontent le quotidien d’enfants des années 60. L’un, Goscinny, sur sa machine à écrire, raconte des moments de vie qui aujourd’hui encore nous parle par la dose de tendresse et d’humour qui irrigue son imagination. L’autre, Sempé, avec ses crayons, capte avec précision et beauté l’innocence de l’enfance. Le petit Nicolas est une merveille d’équilibre entre texte et dessin.

Pour la première fois, le cinéma nous propose une adaptation du Petit Nicolas en dessin animée. Le film d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre est une réussite. Graphiquement, le film reprend avec bonheur le style de Sempé. Le scénario est un balancement entre la vie de René Goscinny et de Jean-Jacques Sempé et les histoires du Petit Nicolas, un peu plus même puisque leur création entre en scène dans le quotidien des deux auteurs. La surprise du film est de raconter leur destin et le processus créatif qui menait à cet espiègle personnage.

René Goscinny est évidemment une légende, mais à taille humaine, comme un membre de la famille, ses histoires pour Astérix et Obélix, Lucky Luke, Iznogoud, Le Petit Nicolas, ses gags, son humour, sa tendresse, ont accompagné notre enfance, il suffit de replonger dans ses albums ou dans un Pilote pour retrouver l’énergie de sa jeunesse. Né le 14 août 1926 à Paris, le petit René émigre avec ses parents en Argentine. Il suit toute sa scolarité au Collège français de Buenos Aires. Il y découvre la liberté, la pampa, ses grands espaces qu’il retrouvera plus tard dans les westerns. Le tango ensorcelle les âmes de la vie. Il se passionne pour la bande dessinée et commence à écrire et a dessiné de petites histoires. Le temps des vacances, après un long voyage en transatlantique, René retrouve sa famille en France.

Nous sommes dans l’entre-deux-guerres. Déjà, des bruits de bottes tapent sur les chemins de l’Europe. Elle éclate et la famille française de Goscinny, juive, est déportée et disparaît dans l’horreur de la Shoah. Un seul oncle, imprimeur, reviendra de l’enfer à la Libération. A dix-sept ans, René perd son père, et plonge sa petite famille dans la précarité. Il travaille dans une petite agence de publicité et ses premiers textes et dessins sont publiés dans le bulletin interne du collège français. En 1945, il s’embarque, avec sa mère, pour New York. Après un passage dans l’année française pour son service, il tente sa chance dans la grande pomme. Temps difficiles, mais René est heureux. Il rencontre Harvey Kurtzman, le futur fondateur de Mad (et inspiration de Pilote) et Morris, le dessinateur de Lucky Luke. De retour en France, au début des années 50, il vit de sa plume, comme journaliste et auteur de scénario pour la BD. En 1958, à la demande de Sempé, il écrit le Petit Noël du Petit Nicolas, pour Sud-Ouest, c’est un succès. Le petit écolier est lancé. Par la multitude de ses personnages, René Goscinny donne ses lettres de noblesse à la BD. Il décède, un jour triste, forcément, le 5 novembre 1977. « Tintin s’incline devant Astérix » déclare Hergé. Dans la pléiade du cœur, Goscinny est toujours bien vivant.

« Quand j’étais gosse, le chahut était ma seule distraction » Jean-Jacques Sempé n’était pas un premier de la classe, il est même renvoyé pour indiscipline du Collège moderne de Bordeaux, ville où est né le 17 août 1932. Son père est représentant de commerce. Il se déplace à vélo dans la ville afin de placer, des conserves de thons, sardines, anchois auprès des épiceries. Une vie de misère. A la maison, ses parents se disputent violemment. Son père noie la médiocrité de son existence dans l’alcool. L’enfance de Sempé est grise. Il n’en voudra pas à ses parents « ils se sont débrouillés comme ils ont pu ». La radio une échappatoire, une fenêtre sur un monde meilleur. Il connaît, tous les horaires des émissions. Il adore Ray Ventura est son orchestre.  A 18 ans, Sempé monte à la capitale. Paris est une fête pour le jeune homme. Il vit au rythme des clubs de jazz et du cinéma. Grâce à avec son formidable trait de crayon, il débute une carrière de dessinateur de presse. Avec Le Petit Nicolas, Sempé et Goscinny mettent en mots et en images des souvenirs d’enfances, réels ou sublimés. Sempé entre à Paris Match en 1956 pour en devenir l’une des plus importantes des signatures du magazine. Il atteint une consécration internationale avec ses magnifiques couvertures pour le New Yorker.

Le film raconte cette touchante histoire d’amitié autour d’un personnage finalement indémodable. Le scénario d’Anne Goscinny (la fille de René), de Michel Fessler et de Benjamin Massoubre, entremêle les souvenirs personnels, la petite à la grande histoire des deux auteurs. Le film évolue par séquence comme une comédie musicale, évoqué à plusieurs reprises, dans un rythme parfaitement soutenu dans une imbrication impeccable des deux auteurs et de huit histoires du Petit Nicolas.

Le style visuel est un enchantement pour l’œil. Le film aussi est un beau voyage éclatant de couleur propre à plusieurs villes : Buenos Aires, New York et bien sûr Paris, ses quartiers, Saint-Germain-des-Prés, Montmartre, des années 50 et 60, voyage musical dans la playlist de Sempé, Duke Ellington, Claude Debussy, Michel Legrand… Le Petit Nicolas est présenté en première mondiale au Festival de Cannes en mai 2022, quelques mois après, le 11 août 2022, Jean-Jacques Sempé pose définitivement les crayons sur la feuille blanche.

Le Petit Nicolas est désormais orphelin, mais ses aventures dessinent toujours sur les visages des jeunes lecteurs et spectateurs, ce fin trait de joie qui rend le monde plus beau. Alors, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?

Fernand Garcia

Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? un film d’Amandine Fredon & Benjamin Massoubre avec les voix de Alain Chabat, Laurent Lafitte, Simon Faliu… Scénario : Anne Goscinny, Michel Fessler et Benjamin Massoubre d’après l’œuvre de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé. Auteur graphique : Jean-Jacques Sempé. Direction artistique : Fursy Tessier. Directrice de l’animation : Juliette Laurent. Montage : Benjamin Massoubre. Musique : Ludovic Bource. Producteurs : Aton Soumache, Lilian Eche, Cédric Pilot et Christel Henon. Coproduction : Align. Production : On Classics (Mediawan) et Bidibul Productions. Distribution (France) : BAC Films (sortie le 12 octobre 2022). France -Luxembourg. 2022. 1h22. Couleur. Tous Publics. Sélection Officielle en Séance Spéciale au Festival de Cannes, 2022. Cristal du long métrage au Festival d’Annecy 2022.