Corman – Poe

Roger Corman a 34 ans a déjà 26 films derrière lui quand il se lance dans la réalisation de La Chute de la maison Usher en 1959. Il ne se doute pas qu’il entame avec ce film une série d’adaptation d’Edgar Allan Poe. De 1960 à 1964, les huit films qu’il tourne adapté des nouvelles de l’écrivain comptent parmi ses plus belles réussites. Le « mariage » entre Edgar Allan Poe et cinéaste par-delà le temps, donne naissance à un cycle exceptionnel.

En 1959, Roger Corman en a plein les bottes de films de monstres, il souhaite passer à autre chose. Il propose à ses producteurs Samuel Z Arkoff et Jack H. Nicholson d’AIP, une adaptation de La Chute de la maison Usher. Les deux producteurs sont sceptiques, malgré la réalisation dans les années 30 de plusieurs adaptations d’Edgar Allan Poe, l’écrivain n’est plus au goût du jour. Corman emporte leurs adhésions en suggérant que le monstre du film soit la maison. L’idée séduit les propriétaires de l’AIP, qui les yeux sur le box-office, se rendent compte des succès du cinéma gothique avec le retour des héros classiques Dracula et Frankenstein sous la houlette de la Hammer en Angleterre. Ce sang neuf apportés par la concurrence, les inspirent. Corman abandonne le noir et blanc de ses petites productions pour le Scope – couleur en vogue.

Le scénario est l’œuvre d’un jeune auteur, Richard Matheson (33 ans) qui avait fait sensation avec sa première nouvelle Je suis un monstre, et dont L’homme qui rétrécit qu’il adapte, d’après son roman, pour Jack Arnold est un formidable succès. Après La Chute de la maison Usher, Matheson écrit trois autres adaptations pour Corman, La Chambre des tortures (1961), L’Empire de la terreur (1962) et Le Corbeau (1963). Ses scénarios, combinant parfois plusieurs nouvelles, restent des exemples d’adaptations intelligentes. La réussite des films est telle que le nom de Matheson reste associé, à tort, à l’ensemble de la série.

Roger Corman est devant un problème : qui pour incarner Roderick Usher ? Il lui faut un acteur d’envergure capable de transmettre au spectateur un sentiment d’hypersensibilité morbide. Il a une grande idée confiée le rôle à Vincent Price, qui vient de connaître de grands succès dans le cinéma fantastique dont La mouche et Le retour de la Mouche. Sa stature, sa classe naturelle, son sens de l’humour et ses improvisations parfaitement en adéquation avec les attentes du réalisateur, font merveille. Vincent Price tourne dans 7 films de la série, Roger Corman le dirige dans un autre film, Tower of London (1962) en dehors des adaptations de Poe, non pour American International Pictures, mais pour United Artists.

Roger Corman, blinde l’équipe technique avec ceux qui ont galéré sur ses productions de misère pour les Drive-in. Pour la photographie en couleur, il retrouve Floyd Crosby, grand chef-opérateur, oscarisé en 1930 pour Tabou de Murnau et responsable de celle du Train sifflera 3 fois. Banni d’Hollywood depuis son inscription sur la funeste liste noire, Floyd Crosby travaille régulièrement pour Corman depuis son premier film, Cinq fusil à l’Ouest (Five Gun West, 1955). Crosby, signe 20 films pour Corman dont 6 films de la série Poe, laissant livre court à sa créativité pour une photographie exceptionnelle.

Avec Floyd Crosby, l’autre personnalité essentielle à la réussite de la série est Daniel Haller, directeur artistique. Collaborateur de longue date de Corman, il signe les décors, mettant à profit son sens de l’image, de la composition et de l’économie. Il réutilise et réaménage intelligemment ses décors tout au long de la série. Il pioche dans les stocks de l’Universal, ainsi des éléments de Spartacus de Stanley Kubrick sont recyclés dans la série. Il fera toute la série, même si son nom n’apparaît pas sur les deux derniers films, La Tombe de Ligeia (1964) et Le Masque de la mort rouge (1964), pour des raisons syndicales. Pilier essentiel du système Corman et de l’AIP. Daniel Haller passe à la réalisation avec Le Messager du diable (Die, Monster, Die !, 1965) adaptation de La couleur tombée du ciel de H.P. Lovecraft. Dans les années 70, Haller signe un amusant film de SF, Buck Rogers au XXVe siècle (Buck Rogers in the 25th Century, 1979).

Le budget de La Chute de la maison Usher est plus important qu’à l’habitude, mais Corman garde les bonnes habitudes, il tourne vite, en trois semaines toutes les scènes sont dans les boîtes. Bien sûr, Corman prépare méticuleusement chaque scène, rien n’est laissé au hasard. Le montage bouclé, Roger Corman est déjà sur d’autres films, Ski Troop Attack, un film de guerre et Atlas, un péplum, mais l’incroyable succès de La Chute de la maison Usher, le plus gros succès de l’AIP, entraîne immédiatement la mise en chantier de nouvelles adaptations de Poe. L’A.I.P. et Corman coiffent au poteau les autres studios qui avaient ressorti des placards les œuvres de Poe.

Aux côtés de Vincent Price, Corman fait appel à d’autres vedettes d’Hollywood pour la série : Peter Lorre, Basil Rathbone, Boris Karloff, Lon Chaney, Jr, Ray Milland (pour L’enterré vivant, l’unique film sans Price), de magnifiques Screams Queens : Hazel Court, Debra Paget, Jane Asher, Barbara Steele, et des jeunes prometteurs : Mark Damon, John Kerr, Jack Nicholson, Patrick Magee… Corman a l’intelligence, tout en changeant de genre, de se renouveler de film en film.

Les « Poe », permettent à Roger Corman d’accéder à une reconnaissance critique inattendue. Ces succès auront aussi un autre impact : remettre sur le devant de la scène cinématographique Edgar Allan Poe. Depuis, les adaptations de ses nouvelles vont se multiplier aux quatre coins de la planète, en France, en Italie, en Pologne ou au Japon. Poe n’en finit pas d’inspirer les cinéastes, polar, fantastique, horreur, comédie dessins animés, animations, ses œuvres fascine toujours autant.

Les huit films de Roger Corman sont des classiques du cinéma fantastique, des perles au panthéon de l’histoire du cinéma. Indémodable.

Fernand Garcia

Sidonis – Calysta propose, l’anthologie complète des films Corman – Poe dans un coffret collecteur. Les huit films sont disponibles pour la 1ère fois en blu-ray (combo DVD), dans des reports des reports impeccables. La liste des films par ordre de réalisation :

1 La chute de la maison Usher (House of Usher) avec Vincent Price, Mark Damon, Myrna Fahey… (1960)

2 La chambre des tortures (The Pit and the Pendulum) avec Vincent Price, Barbara Steele, Luana Anders… (1961)

3 L’Empire de la Terreur (Tales of Terror) avec Vincent Price… (1962)

4 L’Enterré vivant (The Premature Burial) avec Ray Milland, Hazel Court… (1962)

5 La Malédiction d’Arkham (The Haunted Palace) avec Vincent Price, Debra Paget… (1963)

6 Le Corbeau (The Raven) avec Vincent Price, Peter Lorre et Boris Karloff… (1963)

7 La tombe de Ligeia (The Tomb of Ligeia) avec Vincent Price, Elizabeth Shepherd… (1964)

8 Le Masque de la Mort Rouge (The Masque of the Red Death) avec Vincent Price, Hazel Court, Jane Asher… (1964)

En bonus : Des présentations de Christophe Gans, Olivier Père, Bertrand Tavernier et Patrick Brion. Des interviews de Vincent Price et Joe Dante un documentaire Roger Corman et le Cinéma et Barbara Steele. L’éditeur ajoute à ce remarquable ensemble, un DVD bonus : Le Monde de Roger Corman ou les exploits d’un rebelle à Hollywood ; ainsi qu’un livre retraçant l’aventure des huit films : Les démons de l’esprit de Marc Toullec (152 pages). Format d’origine respecté et son en version originale avec ou sans sous-titres français et version française. Cerise sur le coffret pour les précommandes les 8 affiches de la série offerte. Un must pour les vraies DVDthèques.