Le Mercenaire de minuit – Richard Wilson

Matt Weaver (George Segal), soldat confédéré, revient chez lui après des semaines de marche. La guerre est finie. Personne ne l’a attendu. A son arrivée, il découvre avec stupeur que sa maison a été vendue et que sa fiancée Ruth (Janice Rule) s’est mariée. Fou de rage, il prend les armes contre Sam Brewster (Pat Hingle), le grand argentier de la ville. Mais Brewster a plus d’un tour dans son sac, il décide d’engager un mercenaire pour le mettre hors d’état de nuire…

Le premier mot qui vient à l’esprit concernant Le mercenaire de minuit (Invitation to a Gunfighter) c’est : étrange. Et ce western l’est par bien des aspects. Il laisse un sentiment d’inachevé tant les thèmes qu’il aborde sont multiples. On ne peut pas dire que le film manque d’ambition, c’est même l’inverse, c’est ce qui en fait une sorte de sur-western mais c’est aussi sa limite.

Son personnage principal est incarné, et c’est la grande force du film, par Yul Brynner. On pourrait dire qu’il cabotine et c’est tant mieux tant Brynner domine le film de sa stature. Il est le gunfighter du titre original. Jules Gaspard d’Estaing, personnage baroque au nom imprononçable par les habitants de la ville. C’est un créole né en Nouvelle-Orléans d’un père noble français (d’Estaing) et d’une mère noire. A la suite d’une escale de sa diligence, il décide de rester dans cette petite ville. Il représente le destin. On s’attend à ce qu’il fasse feu en permanence, il n’en sera rien. C’est sur sa présence féline, différente, que Richard Wilson va baser sa mise en scène. Il est le révélateur des accommodements les plus bas et crapuleux des habitants. Plus le film avance plus ce personnage atypique gagne en profondeur. Froid et mécanique au début (il ne prononce sa première phrase qu’au bout de 25 minutes !), il devient un être de chair torturé par son passé et le poids de son père (tout comme Matt). Il se place sans cesse entre l’ombre et la lumière. Il est la vérité que les gens refoulent au fin fond de leur conscience. Le plus surprenant, quoique parfaitement conventionnel, est l’histoire d’amour que Wilson met en place avec Ruth, remariée depuis à un ivrogne manchot. Esquisse d’un « ménage à trois » où la femme est tiraillée entre trois profils totalement différents.

Encore une fois, Richard Wilson aborde trop de thèmes: la guerre de Sécession, la spoliation des combattants, les rapports de classes, l’exploitation des hommes, la place de la femme, etc. qu’il en résulte parfois une certaine irritation. C’est un film en dent de scie. Il faut reconnaître que la mise en scène de Richard Wilson est bien trop sage et uniforme pour dynamiser son sujet (co-écrit avec sa femme Elizabeth). Il est parfois à la limite du grotesque comme dans la séquence où le gunfighter embauché s’enfuit à la vue de Brynner. Si Pat Hingle tire son épingle du jeu, avec une performance très théâtrale, il n’en va pas de même de Janice Rule (Ruth) bien trop fade pour un rôle qui devrait faire tourner les têtes. Comment le gunfighter peut-il tomber amoureux d’elle au premier regard ? Mystère. Rule, bonne actrice, n’apporte rien de palpitant à son personnage. Il faut dire que la costumière ne l’a pas gâtée, avec ses tenus parfaites pour une mormone. George Segal rame à faire exister son personnage d’antiesclavagiste engagé dans l’armée sudiste alors que les gens de la ville sont Unionistes ! Parmi les habitants, on remarque Brad Dexter l’un des 7 mercenaires (1960) et  Clifton James qui allait connaitre son heure de gloire en incarnant le truculent shérif J.W. Pepper dans deux James Bond d’affilée : Vivre et  laisser mourir (1973) et L’homme au pistolet d’or (1974).

Le Mercenaire de minuit (curieux titre français) est le septième film d’un cinéaste peu connu : Richard Wilson. Ancien régisseur du Mercury Theater d’Orson Welles, il est l’un de ses collaborateurs en particulier sur It’s All True. Ses meilleures réalisations restent ses films noirs dont l’excellent Al Capone (1959) avec dans le rôle-titre Rod Steiger, époustouflant. En 1993, il coréalise un documentaire intégrant des parties du film d’Orson Welles : It’s All True, remarquable à plus d’un titre.

Le Mercenaire de minuit est une curiosité qui tient la route grâce à la composition d’Yul Brynner, et, rien que pour lui, c’est un plaisir de cinéma.

Fernand Garcia

Le Mercenaire de minuit est édité en combo Blu-ray-DVD (master haute définition) par Sidonis/Calysta dans l’indispensable collection Western de légende, référence du genre. Une très riche section bonus accompagne cette édition. Deux présentations du film : François Guérif trouve le film intéressant malgré des aspects irritants (8 minutes); quant à M. Cinéma de minuit Patrick Brion, il revient sur les westerns de 1964 et analyse positivement ce western très original (6 minutes). Yul Brynner, L’homme qui devint un roi, documentaire américain sur Yul Brynner raconté par ses enfants et ses amis (John Frankenheimer, Eli Wallach, etc.) l’histoire d’une vie mouvementée des rues de Vladivostok à Hollywood en passant par Paris. Document pour la télévision au style ultra-classique mais une mine d’informations sur l’acteur (57 minutes). Enfin la bande-annonce américaine du Mercenaire de minuit et une galerie de photos (d’affiches) complètent l’onglet des bonus.

Le Mercenaire de minuit  (Invitation To A Gunfighter) un film de Richard Wilson avec Yul Brynner, Janice Rule, Pat Hingle, George Segal, Brad Dexter, Alfred Ryder, Clifford David, Strother Martin, Clifton James… D’après une histoire d’Hal Goodman et Larry Klein. Adaptation : Alvin Sapinsley. Scénario : Elizabeth et Richard Wilson. Directeur de la photographie : Joseph MacDonald. Matte painting : Albert Whitlock. Décors : Robert Clatworthy. Montage : Robert Jones. Musique : David Raksin. Producteur : Richard Wilson. Production : The Kramer Company – United Artists. Etats-Unis. 1964. Couleur (DeLuxe). 92 minutes. Format image : 1.85 :1. 16/9e compatible 4/3 DTS-HD VF et VOST. Tous Publics.