Le Maître du monde – William Witney

A regarder de près, Jules Verne a toujours eu le vent en poupe. Dès les origines du cinéma, ses romans ont été adaptés. Le premier film répertorié Les Enfants du Capitaine Grant de Ferdinand Zecca, date de 1901, 50 mètres de pellicule pour Charles Pathé. En 1954, Walt Disney signe son premier triomphe au cinéma, hors dessin animé, avec 20 000 lieues sous les mers (20 000 Leagues under the Sea) réalisé de main de maître par Richard Fleischer avec Kirk Douglas et James Mason. Le tour du monde en 80 jours (Around the World in 80 Days, 1956), est une autre grosse production (avec pas moins de 40 vedettes internationales, dont David Niven, Shirley MacLaine, Cantiflas, Marlene Dietrich) réalisé par Michael Anderson pour Michael Todd utilisant son procédé Todd-AO  70 mm. Voyage au centre de la terre (Journey to the Center of the Earth, 1959) est une belle réussite dirigée par Henry Levin pour la 20th Century Fox avec James Mason. La France n’est pas en reste avec Michel Strogoff (1956) coproduction Franco-italo-germano-yougoslave avec Curd Jürgens et Geneviève Page, réalisée par l’italien Carmine Gallone. Tous ces films rencontrent de grands succès à travers le monde.

L’année de mise en chantier du Maître du monde par l’American International Pictures, pas moins de 6 autres films sont prévus, dont le formidable L’île mystérieuse (Mysterious Island) et ses superbes effets spéciaux signés par le grand Ray Harryhausen. En bons producteurs, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson se lancent à leur tour dans une adaptation de Jules Verne. Ils réunissent l’argent nécessaire en pré-vendant le film aux salles. Ils engagent une partie de l’équipe de La Chute de ma maison Usher (1960) de Roger Corman, leur premier grand succès en couleurs : Vincent Price, le décorateur Daniel Haller et surtout Richard Matheson pour le scénario.

Richard Matheson adapte fort habillement deux romans de Jules Verne : Robur le conquérant et sa suite Le maître du monde. Robur est un ingénieur fou, enfin pas complètement, qui à bord d’un immense navire volant, l’Albatros, ne déclare rien de moins que la guerre à la civilisation dans une volonté « humaniste ». Le scénario de Richard Matheson est ambitieux. Si le film est la plus importante l’AIP de l’année, il n’en reste pas moins une production « modeste » selon des critères des grands studios de l’époque.

Daniel Haller conçoit un très beau navire volant, mais le film prêche au niveau des effets spéciaux (trop de transparences). Pour ses grandes scènes d’attaques de l’Albatros en différents lieux de la planète, Arkoff et Nicholson décident d’utiliser des stocks shots, des chutes spectaculaires non utiliser de grosses productions, pêle-mêle de Lady Hamilton (1941) d’Alexander Korda, des Quatre Plumes blanches (The Four Feathers, 1939) de Zoltan Korda et de Henry V (1944) de Laurence Olivier, entre autres. Afin de mener à bien le projet, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson engagent un vétéran des sérials, William Witney.

Le moins que l’on puisse dire est que William Witney a de l’expérience. Comme beaucoup de futurs réalisateurs des temps héroïques, Witney, commence au bas de l’échelle chez Mascot Pictures, une petite société de production. Il occupe tous les postes de concierge à électro. Fort de son expérience, il franchit un seuil en entrant au département montage de la Republic Pictures. Polyvalent, il est assistant réalisateur avant de devoir remplacer Ray Taylor en 1937 sur The Painted Stallion. A 19 ans, sa carrière de réalisateur est lancée. Il devient un des pros des sérials, un peu l’équivalent des réalisateurs de séries TV actuel.

Il forme avec John English, un des duos de réalisateurs de ses petits films à épisodes les plus fameux. Dick Tracy, Fu Manchu, Cow-boy, frêle jeune vierge, savant-fou, sont quelques-uns des personnages que l’on rencontre au fil des ses films, avec un principal but, tenir le public en haleine afin de le faire revenir au cinéma, la semaine suivante pour la suite. A la disparition du serial, Witney poursuit dans la série B avec quantité de western (son genre de prédilection) avec le populaire Roy Rogers. Au fil des films, il s’est imposé comme une des chevilles ouvrières de la Republic. Des westerns tournés rapidement, un à deux semaines, Witney ne visait pas une reconnaissance des Oscars.

Aux premiers signes d’essoufflement du western, il passe à la télévision. Stories of the Century (1954 – 1955), l’histoire d’un détective qui traque des hors-la-loi pour la compagnie des chemins de fer, est un gros succès TV. Désormais, Witney, se partagera entre épisodes de séries et films pour le grand écran. Lassie, Mike Hammer, la première série avec Darren McGavin, Zorro avec Guy Williams, Les Mystères de l’Ouest, Bonanza, Le Virginien et compagnie…

Au milieu de toutes ces séries, il réalise l’intéressant (et violent) L’Evadé de l’île du Diable (I Escaped from Devil’s Island) avec Jim Brown en 1973, et signe un dernier film, Showdown at Eagle Gap, un western, en 1982 ! Cette coproduction entre les Etats-Unis, le Mexique et l’Allemagne est difficilement accessible. William Witney est décédé en 2002 à 86 ans. Selon certaines sources, il aurait participé, en tant que réalisateur de seconde équipe à la séquence de chasse au renard de Pas de printemps pour Marnie (Marnie, 1964) d’Alfred Hitchcock. Quentin Tarantino cite William Witney au générique de fin de Kill Bill : Volume 1 (2003), parmi les influences du film.

A ce moment de la carrière de Charles Bronson n’est pas encore une star. Après Mitraillette Kelly (Machine Gun Kelly, 1958) de Roger Corman, il est à nouveau en tête d’affiche d’une production American International Picture. Son visage commence à devenir familier des spectateurs, entre autres, à la suite du triomphe des 7 mercenaires (The Magnificent Seven, 1960) de John Sturges. Pourtant, ce sont des productions européennes qui vont faire de Bronson, une star internationale. Alors qu’il tourne en Espagne, son agent, lui propose un rôle refusé par Richard Widmark, dans Adieu l’ami (1968), un buddy movie, avec Alain Delon. Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il west, 1968), de Sergio Leone, l’installe définitivement au fronton des salles. A la fin des années 60, Charles Bronson est un acteur sur qui on monte un film. Aux Etats-Unis, il attendra le succès du Justicier dans la ville (Death Wish, 1974), pour être finalement reconnu.

Dans Le Maître du monde, Bronson incarne un personnage quelque peu similaire à celui de Kirk Douglas dans 20 000 lieues sous les mers. D’ailleurs, le film entretient pas mal de similitudes avec le film de Richard Fleischer, ce qui était déjà le cas des romans de Jules Verne, abordant les mêmes thèmes. Bronson a déjà une présence, mais reste en deçà de ce qu’il peut donner à l’écran. Il est le héros positif face à l’idéaliste fou Robur.

Robur est incarné par Vincent Price. Robur, le personnage littéraire, anticipe sur Nemo, ce qui explique cet air de famille à l’écran. Mais l’interprétation de Vincent Price est différente de celle de James Mason. L’acteur après le triomphe de La Chute de la maison Usher (1960) de Roger Corman, est une valeur sûre de l’AIP. Il démarre une seconde carrière quasi intégralement dédiée au cinéma fantastique. La popularité de Vincent Price ira grandissant jusqu’à devenir un des grands noms du genre. Dans Le Maître du monde, Vincent Price, théâtral à souhait, cabotine à merveille.

Fernand Garcia

Le Maître du monde, une édition DVD et combo (Blu-ray – DVD) de Sidonis Calysta, master HD, en compléments : un document exceptionnel (réalisé en 2001) Richard Matheson, Storyteller, un entretien avec l’auteur de Duel, génie de la nouvelle et brillant scénariste. Matheson évoque son amour du cinéma fantastique, des productions de Val Lewton, et plusieurs de ses films. « Tout ce que j’écrivais avait un rapport avec ma vie » et souvent, le déclic venait d’ « un mauvais film avec une bonne idée mal réalisée ». Matheson explique sa méthode de travail, l’attention aux dialogues, au rythme, « Vincent Price, par exemple, ne changeait jamais mes dialogues » et de son admiration pour les grands acteurs (Price, Lorre, Rathbone…) et quelques réalisateurs, dont Jacques Tourneur (50 minutes). La bande-annonce américaine (2.30) clôt la section des bonus.

Le Maître du monde (Master of the World) un film de William Witney avec Vincent Price, Charles Bronson, Henry Hull, Mary Webster, Richard Harrison, David Frankham, Vito Scotti… Scénario : Richard Matheson d’après Robur le Conquérant (1886) et Le maître du monde (1904) de Jules Verne. Directeur de la photographie : Gil Warrenton. Décors : Daniel Haller. Montage : Anthony Carras.  Musique : Les Baxter. Producteurs associés : Bartlett A. Carre et Daniel Haller.  Coproducteur : Anthony Carras. Producteur exécutif : Samuel Z. Arkoff. Producteur : James H. Nicholson. Production : Alta Vista Productions – A.I.P. American International Pictures. Etats-Unis. 1961. 102 minutes. Magna Color. Pellicule 35 mm. Format image : 1,85 :1. 16/9e . Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. Tous Publics.