Le Lion et le vent – John Milius

Maroc, 1904. Le chef berbère El-Raisuli « le Magnifique » (Sean Connery) entre avec ses cavaliers le quartier européen de Tanger. Il enlève Eden Perdicaris (Candice Bergen), une jeune Américaine, et ses deux enfants. Aux Etats-Unis, le président Theodore Roosevelt (Brian Keith) est en pleine campagne électorale pour sa réélection. Il décide d’utiliser cet enlèvement pour faire une démonstration de la force et de la puissance des Etats-Unis…

John Milius n’aura jamais aussi inspiré que pour Le Lion et le vent. Pour sa deuxième réalisation, il laisse libre cours à son amour pour le cinéma d’aventure dans le sillage de Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, 1962) de David Lean. Le Lion et le vent s’inspire d’un fait réel. Milius en scénariste talentueux va triturer cette histoire pour en faire une aventure épique et grandiose, tellement jouissif qu’on aimerait la croire vraie.

John Milius, est un scénariste de premier plan à Hollywood, son style de dialogue, imparable et cynique ajouté à une construction de scène dynamique, est particulièrement efficace et identifiable. On lui doit nombre de scènes mémorables comme le monologue de Robert Shaw dans Les dents de la mer (Jaws, 1975). S’avouant trahit par tous les réalisateurs qui ont porté à l’écran ses scénarios, pourtant, de très bons films au final (Jeremiah Johnson, Juge et hors-la-loi) Milius passe à la réalisation avec une petite série B : Dillinger (1973), un excellent film de gangsters avec Warren Oates. Le film est une succès. Le Lion et le vent, sa deuxième réalisation, est une œuvre plus ambitieuse. La production est plus lourde, et le producteur Herb Jaffe doit faire appel à deux studios, la Metro Goldwyn Mayer et la Columbia, pour boucler le budget.

John Milius donne à sa mise en scène un cachet épique, visuellement superbe. Le film est entièrement tourné en Espagne, le résultat est bluffant. Les décors de Gil Parrondo, aussi bien intérieurs qu’extérieurs, nous promènent du Moyen-Orient aux Etats-Unis, sans la moindre fausse note. Gil Parrando est un fidèle des productions de Ray Harryhausen : Le 7ème voyage de Sinbad (The 7th Voyage of Sinbad, 1958), Les Voyages de Gulliver (The 3 Worlds of Gulliver, 1960) La Vallée de Gwandi (The Valley of Gwandi, 1969), mais surtout de Franklin J. Schaffner grâce à qui, il obtient deux Oscars coup sur coup pour Patton (1970) et Nicolas et Alexandre (Nicholas and Alexandra, 1971). Un très grand décorateur espagnol.

Quant à la photographie de Billy Williams, en Panavision anamorphique et technicolor, elle est à la hauteur de ses illustres prédécesseurs dans les grandes épopées des années 60. Milius enchaîne les morceaux de bravoure avec un formidable sens du grand spectacle. Le Lion et le vent est aussi une œuvre personnelle où l’on retrouve les obsessions de Milius (les armes, la violence), ainsi que sa fascination pour des personnages, virils, puissants, plus grands que nature.

Curieusement, Sean Connery n’est pas le premier choix de John Milius, qui pensait à deux acteurs de Lawrence d’Arabie : Omar Sharif (qui a refusé) et Anthony Quinn, aucun regret à avoir. Sean Connery est majestueux. Il est dans une période magique, après le Milius, il enchaîne avec deux chefs-d’œuvre : L’Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King, 1975) de John Huston et La Rose et la flèche (Robin and Marian, 1976) de Richard Lester. Milius soigne l’apparition de Sean Connery, assis sur le rebord d’une fontaine, c’est le héros avec son aura de glamour, de charme et de mystère. A cette image d’Épinal, Milius, ajoute des pointes d’humour, ainsi, à la suite de son entrée en scène, il se retrouve incapable de dompter un cheval, un comble pour un chef berbère ! La relation entre l’Américaine et le chef berbère démarre sur une note humoristique. Milius fignole leur rapport sur la base d’un affrontement homme-femme à ce sens de la réplique qui faisait tout le sel des comédies américaines des années 40/50.  La présence de John Huston au générique, une des grandes admirations de John Milius, renvoi aussi à l’idée du couple Bogart/Hepburn d’African Queen (1951).

Katherine Hepburn était le premier choix de Milius pour incarner Eden Pedecaris, elle devait être la grand-mère, avant que la production ne décide de rajeunir le personnage et d’en faire la mère des enfants. Faye Dunaway est alors choisie pour le rôle. Elle est une star, mais épuisée par une succession de tournage, elle abandonne Le Lion et le vent à quelques jours du début des prises de vue. Candice Bergen la remplace tout droit sortie de La Chevauchée sauvage (Bite the Bullet, 1975) de Richard Brooks. Candice Bergen se retrouve pour la deuxième kidnappée après l’étrange et violent Les charognards (The Hunting Party, 1971). Son personnage n’est pas très éloigné de celui du film de Don Medford, même énergie, même confrontation avec son ravisseur, et même fascination réciproque.

Brian Keith est épatant en Theodore Roosevelt, ses dialogues sont formidables, son monologue sur le grizzly comme emblème de l’Amérique, est un vrai régal. Il est la personnification plus que parfait du 26e Président des Etats-Unis. Truculent, excessif, frondeur, Keith incarne toutes les facettes d’un président au sommet du pouvoir, avec ce qu’il faut de pragmatisme, de démesure et de mysticisme. Son interprétation est à compter parmi les meilleures d’un président. Brian Keith, enfants de la balle, fils d’acteurs, il grandi sur les routes allant de théâtre en théâtre. Il apparaît pour la première fois au cinéma à trois ans dans Calomnie (Pied Piper Malone d’Alfred E. Green) en 1924 ! Magnifique second rôle, on le retrouve dans Nightfall (1956) de Jacques Tourneur, Le Jugement des flèches (Run of the Arrow, 1957) de Samuel Fuller, New Mexico (The Deadly Companions, 1961) de Sam Peckinpah, Reflets dans un œil d’or (Reflections in a Golden Eye, 1967) de John Huston, Yakuza (1974) de Sydney Pollack, Nickelodeon (1976) de Peter Bogdanovitch et dans des séries TV à la pelle. Atteint d’un cancer du poumon en phase terminale, il se suicide en 1997.

Si Candice Bergen à déjà été kidnappée, le jeune acteur Simon Harrison, le sera à son tour de nouveau, avec sœur et mère, dans Intervention Delta (Sky Riders, 1976) de Douglas Hickox. Pour accompagner ses images majestueuses, John Milius demande à Jerry Goldsmith de composer une partition dans l’esprit de celle de Maurice Jarre pour Lawrence d’Arabie. Goldsmith s’exécute, mais avec son immense talent, il va aller plus loin en livrant une partition somptueuse, l’une de ses plus belles, un bonheur. Renforçant et propulsant le film vers une dimension mythique.

Le Lion et le vent, ne reçu pas l’accueil qu’il aurait mérité à l’époque, la personnalité controversée de Milius, sa participation à des films considérés (à tort) comme fasciste (L’Inspecteur Harry et sa suite Magnum Force) et ses provocations dans la presse, le disqualifient aux yeux d’une critique embuée par la bien-pensance. Aveuglement dommageable, qui les fit passer à côté d’un des plus beaux films d’aventures des années 70. John Milius ne retrouvera pas ce souffle épique dans la suite de sa carrière, même s’il connut quelques superbes réussites, Graffiti Party (Big Wednesday, 1978), sur le surf une de ses passions, ou Conan, le barbare (Conan the Barbaian, 1982). Il sombre dans la caricature avec L’Aube rouge (Red Dawn, 1984), histoire abracadabrantesque de l’invasion des Etats-Unis par l’Union soviétique.

Le Lion et le vent n’est ni plus ni moins que l’expression de la magie du cinéma dans toute sa splendeur.

Fernand Garcia

Le Lion et le vent, un somptueux combo (DVD et Blu-ray) des Editions Rimini, en HD. En suppléments : John Milius, la genèse d’un mythe: une présentation éclairante du film et de son cinéaste par Samuel Blumenfeld, journaliste au Monde (43 mn). Un commentaire audio consacré à la musique de Jerry Goldsmith (VOST) et réalisé par Yavar Moradi, Clark Douglas, Jens Dietrich et W. David Lichty, animateurs du podcast The Goldsmith Odyssey. Un commentaire audio illustré uniquement par les partitions musicales du film que les quatre fans de Goldsmith ont récupérés dans leurs archives. S’ajoute à ce formidable ensemble, un livre : John Milius, le prisonnier du désert de Stéphane Chevalier et Christophe Chavdia (116 pages).

Le Lion et le vent (The Wind and the Lion) un film John Milius avec Sean Connery, Candice Bergen, Brian Keith, John Huston, Geoffrey Lewis, Steve Kanaly, Vladek Sheybal, Deborah Baxter, Simon Harrison, Polly Gottesman, Roy Jenson… Directeur de la photographie : Billy Williams. Décors : Gil Parrondo. Effets spéciaux : Alex Welton. Coordination cascades : Terry Leonard. Montage : Robert L. Wolfe. Musique : Jerry Goldsmith. Producteur : Herb Jaffe. Production : Columbia Picture – Metro-Goldwyn-Mayer. Etats-Unis. 1975. 120 minutes. Metrocolor. Panavision anamorphique. Format image : 2,39:1. 16/9e. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. Dolby Digital. Tous Publics.