La Mif – Fred Baillif

La Mif, un titre tiré de l’argot français (le verlan) pour la famille, qui est précisément ce qui manque à tous les protagonistes du film. C’est une fiction proche du documentaire tournée dans un foyer pour jeunes.

Inspiré d’histoires vraies, La Mif a été nominé six fois pour les prix du cinéma suisse et a remporté plusieurs prix dont : Festival international du film de Berlin 2021, Prix Génération 14Plus,  deux prix au Zurich Film Festival 2021 : Compétition Focus, Prix du film œcuménique, un prix au Giffoni Film Festival 2021 : Prix CGS, deux prix à FIFF Namur 2021 : Bayard d’Or du Meilleur film et Prix Agnès, trois prix à Seminci 2021 : Prix Ribera del Duero du meilleur réalisateur, Mention spéciale du jury pour les performances d’acteur, Prix José Salcedo du meilleur montage, Arras Film Festival 2021 : Atlas d’Argent de la Réalisation, deux prix au Castellinaria 2021 : Prix Tre Castelli et Prix du Public Longs métrages.

Le sujet sur les adolescentes est actuellement à la mode au cinéma : Adolescentes, en banlieue parisienne, Foxfire, confessions d’un Gang de filles, Mignonnes, ou à New York : Never Rarely Sometimes Always, Rocks...

La Mif est proche du film Entre les murs de Laurent Cantet (2008) et Rocks de Sarah Gavron (2019).  Cependant, La Mif comme Rocks, en dépit de leurs sujets forts, nous prive d’un peu d’émotion. On ne ressent pas rapidement de l’empathie ou trop d’attachement pour les personnages malgré leurs très sincères et émouvantes difficultés. Pour être juste, la caméra et le montage dans Rocks sont un peu plus inventifs alors que La Mif penche plus vers le jugement et l’histoire se déroule de manière moins organique.

Réalisé par Fred Baillif, Genevois autodidacte, ancien basketteur et lui-même ancien éducateur, le cinéaste maîtrise parfaitement une narration non linéaire. Sa mise en scène est très sobre. Il s’efface derrière son sujet tout en nous faisant découvrir des personnages un peu agressifs, peu cultivés et perdus, à l’image de notre société actuelle. Ces portraits sont décrits à travers leurs propres expériences et également à travers des flashbacks. Le cinéaste nous entraîne dans un voyage social, pessimiste à travers le jeu de très bonnes jeunes actrices à une dynamique d’ensemble bien répartie entre des scènes qui commencent souvent par une bagarre entre les filles dans un couloir. Le film pose la question de la signification de l’espoir : devons-nous faire face à notre propre traumatisme, l’accepter et continuer à vivre avec ? Les filles et la directrice réalisent-elles ce fait ?

Au cœur de ce foyer d’accueil, un fait divers dévoilera les difficultés de sept adolescentes séparées de leurs familles ainsi que leurs éducateurs et éducatrices qui échouent partiellement à leur apprendre l’empathie. Audrey, 18 ans, a une relation sexuelle avec un jeune de 14 ans, ce qui pose problème car la jeune fille est majeure mais pas le jeune garçon. Cet événement va provoquer des changements au foyer qui devient un endroit réservé seulement aux filles et les éducateurs doivent dorénavant veiller rigoureusement sur ces filles.

En revanche, la directrice, de la maison, figure maternelle, chaleureuse et plus souple tente de comprendre les problèmes de ces jeunes. Elle a besoin de ces filles autant qu’elles ont besoin d’elle pour leur stabilité mutuelle, solidifiant les rôles interconnectés de la parentalité sans sentimentalité excessive. Elle devra par ailleurs affronter les failles d’un système qui a oublié les valeurs au profit d’une rigidité et d’une rigueur morale excessive et, par une accumulation de règles, on arriverait presque à oublier les multiples facettes de l’adolescence: «  Faire l’amour n’est pas un crime et les pensionnaires ne sont pas des détenus », a-t-elle déclaré aux membres de l’administration.

Le cinéaste a répété avec ses jeunes actrices pendant deux ans avant de tourner le film qui révèle, grâce à une part d’improvisation durant le tournage de seulement deux semaines, la nature des traumatismes familiaux que chacune d’entre elles a pu subir. Le projet a failli tomber à l’eau quelques semaines avant le tournage. L’auberge où le tournage était prévu a changé de directrice et la nouvelle direction a paniqué décrétant que le projet était dangereux pour les filles.

Les comédiennes sont de véritables pensionnaires de foyers et ne sont pas des actrices professionnelles. Elles jouent chacune un rôle très proche de leurs expériences ou ayant vécu des situations similaires inspirées des expériences de leurs amies ou leurs proches. Mais elles inculquent aussi leurs propres attitudes, homosexualités, angoisses, mensonges, et abus, qu’ils soient sexuels, psychologiques ou auto-infligés – comme dans la profonde culpabilité ressentie par l’une des filles, Justine, qui cherche la valeur détruite par son passé même avec des parents aimants dans un milieu privilégié contrairement aux autres filles. Quant à Claudia Grob, qui joue Lora, elle exerce le métier de directrice de foyer comme son personnage.

C’est un film qui n’est pas larmoyant sur le sort de ces filles. Il nous questionne sur le métier d’éducateur et son utilité ? Il dépeint sans profondeur une administration rigide. Il se contente de raconter les problèmes de ces adolescentes et interroge un peu la position des adultes vis-à-vis des mineures sur des sujets divers concernant ces filles.

La caméra-vérité du cinéaste enregistre également que, bien que ces filles soient victimes de l’horreur parentale et de la complicité de membres silencieux de la famille, ces mêmes adolescentes de ce foyer sont toujours traitées par le conseil d’administration comme si elles étaient en quelque sorte des délinquantes.

Baillif observe les éducateurs et l’administration de ces foyers. Essaient-ils de les protéger des dures réalités du monde, même lorsque ces filles ont chacune subi un traumatisme ou l’inverse ?

Ces jeunes filles acceptent-elles la situation dans laquelle elles se trouvent ? Sont-elles vraiment délinquantes ? Est-ce leurs fautes ou est-ce le déclin social, moral, économique et politique que traversent les démocraties occidentales, qui est dans l’air du temps, mettant en péril l’existence même de notre mode de vie selon le brillant mathématicien et philosophe Condorcet ?  Heureusement, nous rassure-t-il, la réalisation de son pronostic n’est pas une fatalité. A la fin de sa vie, il confie à l’Esquisse sa foi intacte dans la capacité des hommes à faire progresser leur condition. Espérons-le !

Le film est découpé en 7 chapitres, un chapitre pour chaque protagoniste. Dans le dernier, on suit la gérante du foyer, où l’on découvre que sa fille s’est suicidée. Elle s’effondre ! On se demande qui est là pour qui ? La directrice du foyer, la charismatique mais au bout du rouleau, Lora ou les filles ? Plusieurs points de vue, comme dans certains films tous inspirés du Rashômon d’Akira Kurosawa. Mais où est la vérité et où est le mensonge ? Rien n’est manichéen ! Pourtant, ces adolescentes dans ce film qui oscille entre fiction et documentaire, retrouvent plus ou moins une nouvelle famille, une communauté qu’elles n’ont jamais connue auparavant et le film de Fred Baillif mérite bien ce titre.

Le cadrage du caméraman Joseph Areddy comporte de nombreux zooms et de longs gros plans sur les visages sûrement sensibles aux tensions entre les filles et leurs performances impressionnantes mais pouvant déconcerter certains spectateurs ou plaire à d’autres.

La musique répétitive apporte aussi peu au film dans les moments tristes ou dans les moments drôles : les choix musicaux sont un peu lourds – extraits classiques de pièces de Bach et Mozart – malgré l’utilisation puissante du son dans un environnement souvent bruyant.

Cette manière de monter le film chez Baillif est très innovante et remarquable. A certaines occasions les scènes sont répétitives avec un style multi-perspectif où le cinéaste rejoue plusieurs fois les événements clés, chaque répétition successive avec l’avantage d’un aperçu nouveau des personnages participants. Entre deux dialogues ou deux scènes, il y a de longs moments de silence où il ne se passe pas grand-chose. Tout au long, on s’interroge sur le passé et l’avenir des protagonistes sans vraiment savoir où elles vont finir. Mais c’est peut être justement la volonté du cinéaste de nous laisser penser à la citation de l’écrivain Hervé Bazin: Une vie sans avenir est souvent une vie sans souvenir.

Dans l’ensemble, c’est un bon film qui peut garder le spectateur accroché à l’écran.

Norma Marcos

La Mif un film de Fred Baillif avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia Da Costa, Amélie Tonsi, Amandine Golay, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy… Image : Joseph Areddy. Mixage sonore : David Puntener. Ré-Enregistrement Mix : Maxence Ciekawy. Montage sonore : Maxence Ciekawy. Musique : Grégoire Maret. Producteurs : Frédéric Baillif, Véronique Vergari et Agnès Boutruche. Production : Freshprod, RTS Radio Télévision Suisse. Distribution France : L’Atelier Distribution (sortie France le 9 mars 2022). Suisse. 2021. 112 minutes. Couleur. DCP. Son : 5.1. Tous Publics.