La chute de l’Empire romain – Anthony Mann

180 après J.C., l’Empereur Marc-Aurèle (Alec Guinness) se prépare à lancer ses légions contre les Germains à la frontière du Danube. Une nuit d’encre, froide, César écoute l’oracle. L’aveugle (Mel Ferrer) ne trouve pas le cœur de la colombe. Les augures ne sont pas bons. Ce qui confirme les craintes de Marc-Aurèle. Mais pour Timonides (James Mason) rien n’arrête le mouvement du temps. Au matin, arrivent Livius (Stephen Boyd) et ses légions…

La chute de l’Empire romain entre dans la catégorie des très grands spectacles. Il ne suffit pas d’avoir des moyens financiers considérables pour être capable de mener à bien un projet d’une telle ampleur. Anthony Mann réussit à mettre en scène ce drame avec un brio impressionnant dans une structure dramatique shakespearienne. La première partie se concentre sur les derniers jours de Marc-Aurèle. La mise en scène d’Anthony Mann est « carrée » à l’image de l’Empire romain. Tout est ordre, parfaitement réglé. Le long défilé des gouverneurs, une formidable trouvaille, donne une idée précise des frontières de l’Empire à son apogée. Marc-Aurèle est à la fin de sa vie, dans les coulisses, des politiques préparent sa succession. Anthony Mann part de l’hypothèse d’un complot contre l’Empereur. Dramatiquement, cela lui permet de développer une intrigue forte, la rivalité entre Livius et Commode, fils de Marc-Aurèle. Une intrigue amoureuse entre Livius et Lucilla (Sophia Loren), la fille de Cesar. Lucilla, proche de son père, fini pas s’opposer à son frère. L’après Marc-Aurèle est une guerre de pouvoir.

La deuxième partie, est mise en scène d’une manière différente. A la continuité de la première partie, Anthony Mann opte pour des effets de cassure, de discontinuité, à l’ordre s’estompe au profit de l’anarchie. Mann épouse le conflit et la stratégie des deux Romains. Commode est l’Empereur, brutal, il a une volonté de domination, en rupture frontale avec l’ère de son père Marc-Aurèle. Mais les choses sont plus complexes, Livius n’est pas un tendre non plus, il mène des combats et des représailles tout aussi barbares. La guerre n’est pas une partie de plaisir, et la ligne entre bons et méchants est parfois bien difficile à définir. La politique, avec ses accords et intérêts croisés entre ennemis, est parfaitement et clairement illustrés.

Anthony Mann ne décrit pas précisément la chute de l’Empire, mais les prémices de son effondrement. Le scénario tente d’inscrire le propos dans son époque (la guerre froide) et de coller à la politique extérieure des Etats-Unis. Le long discourt de Timonides (James Mason), Grec affranchi, au Sénat, est un bréviaire du monde vu par les Etats-Unis. La gouvernance du monde, le multiculturalisme, curieusement ce que défend Timonides est finalement contredit par le film puisqu’elles deviennent en partie les causes du début de la fin. Les barbares ne s’assimilent pas. Rome est miné de l’intérieur et la classe dirigeante est pourrie par la corruption. Dans une manœuvre politique, habille, Commode achète chaque soldat de l’armée qui se retourne contre Livius. Mann met en place tous les éléments de la catastrophe.

La confrontation finale entre Commode et Livus dans un carré militaire, séquence magistrale, la société du spectacle n’existe que pour rendre l’essentiel, c’est-à-dire les manœuvres des élites, invisible, voire indéchiffrable par le peuple. Commode, qui avait instrumentalisé les jeux du cirque, est pris à son propre piège. Commode et Livius, à cet instant du récit, sont fini. Contrairement à la prodigieuse séquence de poursuite en char dans la forêt de la première partie, où ils dominaient le monde, ils ne sont plus désormais que des pantins.

Le rôle de Livius est refusé par Charlton Heston au profit d’une autre superproduction de Samuel Bronston, Les 55 jours de Pekin (55 Days at Peking, 1963). Il était certainement l’acteur idéal pour interpréter ce personnage. Il rejette le scénario et la perspective de retravailler avec Sophia Loren, après Le Cid. Bronston et Mann se tournent vers Kirk Douglas qui refuse à son tour, et finalement, Stephen Boyd, Messala dans Ben-Hur, hérite du rôle. L’échec commercial de La chute de l’Empire romain, lui sera imputé, de manière injuste, mais il est certain que Boyd est le maillon faible du film. Il lui manque non seulement le charisme propre aux héros, mais il a bien du mal à exister face à Alec Guinness, James Mason et surtout Christopher Plummer.

Samuel Bronston et Anthony Mann piochent dans la distribution de Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean, pour les principaux rôles, on retrouve ainsi au générique : Alec Guinness, Omar Sharif et Anthony Quayle. Si Omar Sharif n’a que quelques lignes de dialogues, il en va autrement d’Alec Guinness. Il est impérial en Marc-Aurèle, et bénéficie de très bonnes scènes avec James Mason.

James Mason, acteur d’une grande classe, deux ans après l’érotomane Humbert Humbert de Lolita (Stanley Kubrick, 1962), se glisse dans la peau du philosophe grecque affranchie, compagnon d’esprit de l’empereur Marc-Aurèle. Il réussit à rendre crédible et surtout émouvante la séquence des barbares. Sophia Loren est au firmament après son Oscar pour La Ciociara en 1962 et le triomphe du Cid. Elle obtient un cachet record d’un million de dollars pour La Chute de l’Empire romain égalant au passage celui d’Elizabeth Taylor pour Cléopâtre (1963). Mais elle aussi a du mal à faire exister son personnage. Stephen Boyd retrouvera Omar Sharif et James Mason pour Genghis Khan (1965), superproduction d’Irving Allen et Euan Lloyd réalisé par Henry Levin.

La direction artistique de La chute de l’Empire romain est exceptionnelle. Les décors et costumes de Veniero Colasanti et John Moore, comptent parmi les belles réussites de l’histoire du cinéma. Reconstitution méticuleuse de la Rome antique, des temples, des forts, etc. Un travail colossal de construction et d’harmonisation des couleurs. Les séquences sous la neige sont, parmi d’autres, une véritable splendeur. L’utilisation de l’écran large, l’Ultra Panavision 70 mm, est époustouflante. Anthony Mann retrouve le grand directeur de la photographie Robert Krasker après avoir collaboré ensemble sur Le Cid (1962). Krasker est non seulement un grand maître du noir et blanc expressionniste, Oscar pour Le troisième homme (The Third Man, 1949) de Carol Reed, mais aussi du Technicolor d’Henry V (1939) de Laurence Olivier à Senso de Luchino Visconti. Il signe une troisième et dernière photographie pour Anthony Mann : Les héros de Télémark en 1965. Robert Krasker, des grands noms de la photographie, aujourd’hui un peu oublié.

Ridley Scott réalise avec Gladiateur  (2000) un remake caché de La chute de l’Empire romain. A revoir aujourd’hui, il ne fait aucun doute, comme le signale Jean Douchet, que l’avantage est à Anthony Mann. La chute de l’Empire romain, production gigantesque, reste un spectacle total et exaltant.

Fernand Garcia

La chute de l’Empire romain une édition limitée (1 blu-ray film, 2 DVD, film et bonus et livre) de toute beauté de Rimini Edition en complément : L’anti-héros selon Anthony Mann par Jacques Demange, critique à Positif (12 minutes). Un empire nommé Bronston par Samuel Blumenfeld, critique Monde. Passionnante évocation de la carrière du producteur Samuel Bronston (20 minutes). La chute de l’empire hollywoodien par Jean-François Rauger, critique, historien et programmateur de la cinémathèque française. Retour sur les diverses causes de l’échec commercial du film d’Anthony Mann (12 minutes). Une superbe analyse de Jean Douchet, lu en voix-off sur les images correspondantes du film, une leçon de cinéma par l’exemple brillante et intelligente (31 minutes). Requiem par Claude Aziza, maître de conférences honoraire de Langues et de littératures latines à la Sorbonne-Nouvelle et historien du cinéma. Il revient sur l’histoire de l’empire romain, même si le film de Mann regorge d’inexactitude, le mouvement d’ensemble et juste (43 minutes). Cette édition s’accompagne d’un magnifique livre rédigé par Stéphane Chevalier, dédié à Christopher Plummer (96 pages).

La chute de l’Empire romain (The Fall of the Roman Empire) un film d’Anthony Mann avec Sophia Loren, Stephen Boyd, Alec Guinness, James Mason, Christopher Plummer, Anthony Quayle, John Ireland, Omar Sharif, Mel Ferrer, Eric Porter, Finlay Currie, Andrew Keir… Scénario : Ben Barzman, Basilo Franchina & Philip Yordan. Consultant : Will Durant. Directeur de la photographie : Robert Krasker. Réalisateur seconde équipe : Yakima Canutt. Direction artistique et costumes : Veniero Colasanti et John Moore. FX : Alex Weldon. EX Visuel : Francisco Prosper. Montage : Robert Lawrence. Musique : Dimitri Tiomkin. Producteur associé : Jaime Prades. Producteur associé : Michael Waszynski. Producteur : Samuel Bronston. Production : Samuel Bronston Productions. Etats-Unis. 1964. 185 minutes. Technicolor. Ultra Panavision 70. Format image : 2.35 :1. 16/9e Son : Version originale avec ou sans sous-titres français DTS-HDMA 5.1 et Version française DTS-HDMA – Mono Dual 2.0. Tous Publics.