La Chevauchée sauvage – Richard Brooks

A l’orée du XXe siècle, le Western Press organise une course d’endurance de 700 miles dans l’Ouest sauvage. A la clé, 2 000 dollars pour le vainqueur. Sam Clayton (Gene Hackman) est chargé par le riche propriétaire J.B. Parker de conduire son cheval Tripoli jusqu’à la ligne de départ. Sur place, Sam fait la connaissance des participants : un vieux cow-boy Mister (Ben Johnson), Carbo, un jeune chien fou (Jan-Michael Vincent), tout entier dans la mythologie de l’Ouest américain et de ses mythiques as de la gâchette, un mexicain (Mario Arteaga) qui littéralement Bite the Bullet (mord la balle), doit coûte que coûte gagner pour sa famille, un dandy anglais (Ian Bannen), une femme Miss Jones (Candice Bergen), dont le cœur bat comme une porte de saloon, et enfin son vieil ami Luke Matthews (James Coburn). D’abord retissant Sam décide à son tour de prendre part à la course…

A partir de figures archétypales du genre, Richard Brooks nous livre avec La Chevauchée sauvage un western de toute beauté. Il retrouve dans un cinémascope admirable toute la splendeur des grands espaces, des plaines du désert et de ses villes en pleine mutation. Aux décors s’ajoutent la beauté des rapports humains, francs, vrais et sincères. « Je voulais faire un film sur des individus qui éprouvent des sentiments les uns envers les autres. Des sentiments forts. Des individus plus grands que nature car ils ont un code éthique. » Richard Brooks (in Positif n°175, novembre 1975). La réussite est totale.

L’ouverture est un modèle de construction, Richard Brooks dans un impeccable montage parallèle unit l’homme, la nature et la modernité dans une simultanéité des actions. Sam en chemin pour rejoindre le train de la Western Press porte secours à un poulain dont la mère vient de mourir. Alors que tout se met en place pour la course, Sam prend son temps. Il donne le poulain à un jeune enfant avant de poursuivre son chemin. L’accélération mécanique des temps modernes ne le concerne pas. Sam est resté un homme de l’Ouest, contrairement à Luke qui s’est adapté à la nouvelle époque, au capitalisme. Pourtant, ils partagent une même vision du monde, leurs illusions s’en sont allées au rythme de l’apparition des rides sur leurs visages. Sam participe à une course où tout est balisé, la grande aventure des pionniers de l’Ouest est bien loin. La course n’est qu’une machine publicitaire pour le journal faite pour engranger les dollars. C’est la transformation d’un monde: le chemin de fer remplace les diligences, la moto – les chevaux.

Dans la mise en scène de Brooks, aucune trace de nostalgie pour l’ancien monde. Ce terrain ne l’intéresse pas. Les légendes en prennent pour leur grade, que se soit Buffalo Bill (par les révélations d’une prostituée) ou Theodore Roosevelt, héros des nouveaux riches, et dont la présidence fut marquée par l’utilisation de mensonges héroïques. Ainsi l’évocation de la fameuse bataille de San Juan Hill, dernière guerre territoriale de l’Amérique, dont la réalité du terrain est bien éloignée de la légende. Charge absurde dont Sam (Gene Hackman) fut l’un des acteurs. Séquence magique où il se confie en ouvrant son cœur à l’unique femme de la compétition (Candice Bergen) tout en luttant contre le vent. Moment immense d’un homme face à ses souvenirs dans un espace sauvage dont le vide est accentué par la place des corps dans le cadre. Puis, quelques effets sont à couper le souffle comme celui d’un concurrent (au ralenti) qui dans un effort désespéré poursuit la course tandis qu’un autre le double (à vitesse normale). Les sentiments exprimés par le film et cadre majestueux de l’histoire sont si purs que la partie concernant les bagnards est en trop. Curieusement, l’action spectaculaire qu’elle entraîne est inutile, en tant comme spectateur, la simple contemplation nous est amplement suffisante.

La distribution est remarquable, il y a une réelle complicité entre Hackman et Coburn, ils se complètent parfaitement. La stature de Gene Hackman en fait un acteur idéal pour le western. Oscarisé en 1972 pour sa composition du policier Jimmy « Popeye » Doyle dans French Connection (de William Friedkin), Gene Hackman connaît alors la plus belle période de sa carrière. Il enchaîne succès et rôles marquants, survivant d’une catastrophe dans L’aventure du Poséidon (de Ronald Neame, 1972), clochard magnifique dans L’Epouvantail (de Jerry Schatzberg, Palme d’Or 1973), agent secret dans Conversation Secrète (de Francis Ford Coppola, Palme d’Or, 1974). C’est une star, en 1975, outre La Chevauchée sauvage, il tourne La Fugue d’Arthur Penn, Les Aventures de Lucky Lady de Stanley Donen et French Connection 2 de John Frankenheimer, que des bons choix. En 1992, Hackman reçoit son deuxième Oscar pour le crépusculaire Impitoyable (Unforgiven) de Clint Eastwood dernier chef-d’œuvre du genre.

James Coburn est un aristocrate du western, d’une élégance naturelle, il est repéré dès ses débuts avec son second rôle dans Le salaire de la haine (de Paul Wendkos, 1959), son personnage de lanceur de couteau des 7 mercenaires (John Sturges, 1960) en fait une vedette. Il devient un compagnon de route du grand Sam Peckinpah pour trois films admirables: Major Dundee (1965), Pat Garrett et Billy the Kid (1973) et Croix de fer (1977). L’une de ses plus belles créations est sans l’ombre d’un doute celle de John Mallory, Irlandais désabusé, membre de l’IRA, pendu au cœur de la révolution mexicaine dans Il était une fois la Révolution de Sergio Leone (1971).

Révélée par Sidney Lumet dans Le Groupe (1966), Candice Bergen donne avec le personnage de Miss Jones l’une des meilleures interprétations de sa carrière. L’univers du western ne lui était pas inconnu on l’avait admirée dans Le Soldat Bleu (de Ralph Nelson, 1970) et dans Les Charognards (The Hunting Party, de Don Medford, 1971) où elle donnait déjà la réplique à Gene Hackman, deux westerns pour le moins singuliers et particulièrement violents.

Point de violence dans La Chevauchée sauvage mais l’occasion pour Richard Brooks d’une traversée de la mythologie du western, avec ses lieux: le désert, la montagne, ses paysages rocailleux, la rivière, la ligne de chemin de fer. Troisième et dernier western pour Richard Brooks, après La dernière chasse (The Last Hunt) en 1956 et Les Professionnels (The Professionnels) en 1966, on peut considérer celui-ci comme un adieu au genre. Sa fin admirable célèbre le triomphe de l’amitié, valeur dévaluée, mais qui transcende les hommes. C’est grand et beau à pleurer.

Fernand Garcia

La Chevauchée sauvage est édité pour la première fois en Blu-ray (et DVD) dans une magnifique édition spéciale, image et son superbement restauré, par Sidonis/Calysta dans la bien nommée collection Western de légende. En compléments : Une belle présentation du film par l’un des meilleurs connaisseurs français de Richard Brooks, Patrick Brion. Auteur d’un remarquable livre sur le cinéaste, Brion, évoque son admiration pour ce dernier western de Brooks, pour lui, non seulement un sommet du genre mais surtout l’un des derniers chefs-d’œuvre du western américain. Enfin une galerie de photos et la bande-annonce américaine, complètent cette très belle édition que tout amoureux du cinéma doit posséder dans sa DVDthèque.

La Chevauchée sauvage (Bite the Bullet) un film de Richard Brooks avec Gene Hackman, James Coburn, Candice Bergen, Ben Johnson, Ian Bannen, Jan-Michael Vincent, Robert Donner, Jean Willes, Mario Arteaga, Sally Kirkland, Dabney Coleman, Buddy van Horn… Scénario : Richard Brooks. Directeur de la photographie : Harry Stradling, Jr. Décors : Robert Boyle. Montage : George Grenville. Musique : Alex North. Producteur : Richard Brooks. Production : P/B VistaCompany – Columbia Pictures. Etats-Unis. 1975. 126 mn. Couleur. Panavision Anamorphique. Format image : 2.35 :1. 16/9e Son : VOSTF Stéréo et 5.1. VF. Tous Publics.